Quelle est la dernière fois qu’une personne vous a affirmé qu’elle avait eu le temps d’accomplir tout ce qu’elle souhaitait : réaliser ses ambitions professionnelles, réussir l’équilibre travail-famille, s’investir dans la communauté et conserver la forme physique et mentale ?

À part les menteurs ou les gens qui exagèrent, qui peut tenir de tels propos ? Posons maintenant une question quelque peu différente : est-il possible d’avoir le sentiment d’avoir réussi sa carrière sans sacrifier sa vie affective et familiale ?

PHOTO MATHIEU BÉLANGER, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Charest, ex-président et chef de la direction d'Industrielle Alliance

À mon avis, il y a une méthode pour être capable de répondre positivement à cette question et c’est d’écrire le plus précisément possible ce que l’on veut accomplir dans chacun des quatre volets de sa vie, soit les volets professionnel, communautaire, familial et personnel. Pour aller à l’essentiel, tout doit être contenu sur une page, et cette page devient en quelque sorte votre étoile polaire.

Il y a 30 ans, Charles Taylor écrivait que, de tout temps, des gens ont sacrifié leur vie personnelle à leur carrière, mais que la nouveauté est que c’en est devenu une attente de la société : tu rates ta vie si tu rates ta carrière. D’où l’importance de bien réfléchir à notre vie hormis la carrière et d’avoir le courage de faire des choix en se libérant du conformisme social.

Dans mon cas, le déclic m’est venu en lisant le livre À chacun sa mission, de Jean Monbourquette, qui a été publié au moment où j’ai accédé au poste de chef de la direction de mon entreprise. Ma mission communautaire est ainsi devenue : utiliser ma position pour soutenir des causes, populaires ou pas, qui m’apparaissent importantes et entraîner le maximum de dirigeants d’entreprise à être actifs en philanthropie par des dons personnels et d’entreprise.

Ma mission était accompagnée d’une personne inspirante, en l’occurrence Lucien Paquet, un religieux de Saint-Vincent-de-Paul, et coiffée d’une affirmation catégorique : je connais le plaisir d’être tourné vers les autres. Ce genre de mission comporte trois avantages : il sert de guide pour accepter ou refuser les demandes d’autrui, sert de barème pour évaluer le niveau de satisfaction lors de la dernière ligne droite de sa vie et évite de tomber dans le piège d’avoir des réactions plus ou moins positives concernant les accomplissements d’autrui (non, je n’ai pas fait ce qu’un voisin ou collègue a réussi, j’ai fait un choix différent que j’assume).

Je partage ma mission à titre d’exemple, sachant que chaque personne a sa motivation et sa situation particulières.

Ma mission familiale était la suivante : développer, en harmonie avec ma conjointe, l’autonomie de nos trois enfants et les soutenir dans leur développement. La personne inspirante pour ce volet était ma mère et l’affirmation catégorique était : ma famille est mon client le plus important. Un bel engagement… qu’il m’a été difficile de livrer bien que j’aie eu l’aide inestimable de ma conjointe qui a décidé, à l’âge de 37 ans, de consacrer ses énergies à la famille… au désarroi de ses amis.

John Stuart Mill écrivait en 1869 : « Without domestic justice, social justice is never going to be achieved for women » (Sans justice à la maison, la justice sociale ne sera jamais atteinte pour les femmes). Il avait tellement raison de laisser entendre que la répartition des tâches entre les conjoints est inégale en raison de la supposée nature profonde des femmes : comme si c’était normal qu’elles pensent aux repas, aux devoirs, à tout, quoi. La mission familiale a donc besoin d’être discutée, ou plutôt négociée avec votre conjoint.

Ma mission personnelle était des plus simples : ne pas sacrifier sa santé à n’importe quel autre avantage et maintenir certaines amitiés. Quant à la mission professionnelle, je doute que vous ayez besoin de mon aide pour la déterminer. Je crois que trois ingrédients sont requis pour avoir du succès, soit l’ambition, le focus et l’action. À mon avis, la rédaction d’une mission donne du focus et invite à l’action.

Il ne reste donc qu’une seule chose, soit d’avoir une mission ambitieuse. C’est ce que je vous souhaite.