Un peu à l’image du gars qui a acheté Remington parce qu’il aimait son rasoir, le président de Nolinor Aviation, Marco Prud’homme, a propulsé sa jeune équipe de marketing sur le marché parce qu’elle avait obtenu un succès retentissant sur TikTok.

Détachée de Nolinor en mai 2022, l’agence BDK se spécialise dans l’identité de marque et sa pertinence sur les réseaux sociaux.

Et Marco Prud’homme, qui en est demeuré l’actionnaire et le mentor, ne nourrit aucune angoisse devant le branle-bas provoqué par l’interdiction des applications TikTok sur les téléphones cellulaires des employés de l’État.

« Je n’ai pas d’inquiétude à ce niveau », assure l’homme d’affaires.

Pour une raison très simple : pour l’instant, TikTok est toujours la plateforme la plus efficace pour faire connaître ce que les entreprises veulent y faire connaître. Et au premier chef, elles-mêmes.

Nolinor a fait son apparition sur TikTok il y a deux ans. « Je suis un peu gêné de ça, mais on est rendus à 988 000 abonnés », relève Marco Prud’homme.

Dans le dossier du recrutement, c’était difficile de faire connaître notre entreprise auprès des jeunes. Et depuis deux ans, c’est l’inverse. On reçoit des CV toutes les semaines, du Québec, mais aussi de partout à travers le monde.

Marco Prud’homme, président de Nolinor Aviation

Parce que le succès et l’expérience acquise en marketing sur les réseaux sociaux n’étaient pas au cœur des activités de Nolinor Aviation, il a aidé sa jeune équipe à lancer sa propre agence, nommée BDK.

Elle a bien sûr conservé Nolinor parmi ses clients.

« On a eu un succès extraordinaire. On va frapper dans les prochaines semaines le million d’abonnés sur TikTok avec Nolinor Aviation », souligne sa directrice, stratégie, Karyane Boisjoli-Desjardins.

Malgré la jeunesse de l’entreprise, elle non plus n’est pas préoccupée par la tourmente TikTok.

« En ce moment, ce n’est pas quelque chose qui nous inquiète », déclare-t-elle.

En matière de portée, il n’y a rien qui est comparable. Surtout si on s’adresse à une population entre 18 et 32 ans, c’est sur TikTok que ça se passe en ce moment.

Karyane Boisjoli-Desjardins

« On le sait que lorsqu’une plateforme gagne en popularité et croît de façon exponentielle comme TikTok l’a fait cette année, ça vient avec des enjeux et des discussions. Si on considère en plus d’où vient la plateforme, il était clair qu’il allait y avoir des questions. Nous ne sommes pas une agence spécialisée en sécurité. Pour nos clients, on continue de pousser la plateforme comme étant un moyen extraordinaire d’aller rejoindre une clientèle cible. »

Marketing d’influence

Le marketing d’influence a lui aussi trouvé une voix de stentor sur TikTok. Fondée en 2018, l’agence Clark Influence s’est rapidement trouvé une niche sur la plateforme chinoise.

« On a été une des premières agences à accompagner les marques sur TikTok au Canada, informe son président Nicolas Bon. On était persuadés que ça allait avoir un impact majeur. »

Il dit comprendre la décision des gouvernements, qui ont notamment des préoccupations de sécurité nationale, mais il relève que ces mêmes gouvernements utilisent TikTok pour rejoindre leur propre clientèle cible.

« On travaille en ce moment même avec plusieurs ministères et plusieurs entités du gouvernement », confie-t-il.

« La guerre de l’attention se fait sur TikTok. Le temps d’écoute sur TikTok est exceptionnel, les audiences sont là. C’est un terrain absolument magnifique pour tout annonceur ou pour toute marque. Je pense qu’à moins de scandales à répétition, ce n’est pas près de changer. Il y a tellement d’opportunités qui peuvent être saisies avec cette plateforme que je vois mal les entreprises emboîter le pas au gouvernement. »

L’opinion d’un président

En effet, à titre de président de Nolinor Aviation, Marco Prud’homme n’est pas prêt à bannir TikTok.

« En tant qu’entrepreneur, vous réalisez que lorsque les gens sont rivés à leur écran ou intéressés par une plateforme, on a intérêt à y faire la promotion de nos services pour se faire connaître. Actuellement, c’est TikTok. Peut-être que dans un an, ce sera autre chose. Et à ce moment-là, on ajustera le tir, mais je pense que comme toute entreprise, il faut être là où les gens sont présents. »

Et même les entreprises qui jugeraient nécessaire de faire barrage à TikTok ne réussiront pas à fermer totalement les vannes, fait valoir Yosr Kooli, responsable du département numérique et comptes corporatifs à l’agence Bicom.

« Fermer l’accès à TikTok ou interdire son utilisation n’empêchera pas l’employé d’y accéder : il a ses appareils électroniques personnels, avance-t-elle. TikTok est une plateforme qui se distingue par son audience et la diversité de son contenu, mais aussi par la diversité de ses créateurs, qui trouvent enfin une plateforme où ils peuvent s’exprimer. » Ils trouveront toujours une manière de le faire.

Avec un peu de distance

Ces opinions, qu’on soupçonne ne pas être totalement désintéressées, sont confirmées par Sylvain Amoros, professeur associé à HEC Montréal, où il donne le cours de marketing numérique et de médias sociaux.

« Je n’ai pas de boule de cristal, mais j’aurais tendance à dire qu’il n’y aura pas ou peu d’effets à court terme », professe-t-il.

Il y a à peine deux semaines, il a révisé les données pour son cours sur les médias sociaux, ce qui lui permet d’aligner quelques « statistiques assez fraîches ».

Aujourd’hui, TikTok est utilisé par 27 % des Canadiens selon la dernière étude de Léger Marketing. On parle quand même de près de dix millions de Canadiens qui utilisent TikTok aujourd’hui.

Sylvain Amoros, professeur associé à HEC Montréal

L’application TikTok a été téléchargée un milliard de fois en 2020, rappelle-t-il.

« Je ne suis pas certain que les utilisateurs vont arrêter d’utiliser l’application parce qu’au niveau de l’expérience usager, c’est définitivement la meilleure – ce que montre aussi sa progression statistique. Les marques vont où le consommateur se trouve, et aujourd’hui, le consommateur est sur TikTok. »

Sur les 30 milliards de dollars de revenus publicitaires réalisés en 2020 par TikTok et sa version chinoise, les deux tiers ont été gagnés en Chine, assène-t-il enfin.

« À mon avis, ils s’en foutent pas mal qu’il y ait de petites coupures à gauche et à droite. »