Si l’épineux dossier de la fermeture des commerces le dimanche ne fait toujours pas consensus, de nombreuses quincailleries québécoises ont néanmoins décidé de revoir leur horaire. Près de la moitié d’entre elles ont réduit leurs heures d’ouverture en 2022, selon une recension effectuée par l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT).

Il s’agit d’un véritable gain pour le président de l’association, Richard Darveau, qui milite depuis des mois pour une réduction des heures d’ouverture afin de permettre aux marchands et à leurs employés de souffler un peu, dans un contexte où l’on manque cruellement de personnel. Ainsi, sur quelque 800 magasins, près de 400 ont fait des changements.

M. Darveau souhaite néanmoins qu’une loi soit adoptée pour obliger les commerces à fermer le dimanche et éviter qu’il y ait de la concurrence déloyale. « S’il y avait une loi, ça mettrait tout le monde sur un pied d’égalité », explique-t-il.

Le président de l’AQMAT avait par ailleurs déjà évoqué l’idée que deux marchands décident ensemble d’avoir des heures d’ouverture similaires. Or, cette pratique est illégale. Le Bureau de la concurrence a avisé M. Darveau qu’il était passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 millions de dollars ou encore d’une peine de prison s’il encourageait ses membres à s’entendre sur des heures d’ouverture communes.

« S’il y avait un mouvement pour fermer le dimanche, on serait les premiers à embarquer », affirme pour sa part Éric Deslongchamps, propriétaire de trois magasins Rona situés à Mont-Laurier, Rivière-Rouge et Maniwaki.

Bien que son commerce soit ouvert sept jours sur sept, M. Deslongchamps fait partie des quincailliers qui ont réduit leurs heures d’ouverture. La raison : le recrutement d’employés lui donnait des maux de tête. Ses magasins sont fermés le jeudi soir. Le vendredi, les activités cessent à 20 h plutôt qu’à 21 h. L’homme d’affaires a pris cette décision même si deux concurrents de taille, Canadian Tire et Home Hardware, sont situés non loin de son magasin de Mont-Laurier.

Quand je passe le mardi soir devant le Canadian Tire, il y a deux autos dans le stationnement. On a réduit les plages horaires qui faisaient le moins mal à l’entreprise.

Éric Deslongchamps, propriétaire de trois magasins Rona situés à Mont-Laurier, Rivière-Rouge et Maniwaki

Selon lui, aucun client ne s’est plaint de ces changements, et ses ventes n’ont pas diminué. Pour le moment, le quincaillier n’a pas l’intention de revenir en arrière, surtout que ses employés lui ont manifesté une grande reconnaissance. « Ça leur fait plus de temps à passer en famille. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’équipe de la quincaillerie Rona Major & Major, à Montréal

Soulager le personnel

C’est aussi pour permettre à son personnel de « souffler » que le magasin Rona Major & Major, une quincaillerie située dans Ahuntsic, à Montréal, ferme désormais à 19 h les jeudi et vendredi. Les journées se terminent à 18 h du lundi au mercredi. « On a fait ça pour réduire la charge de travail des employés, explique la directrice adjointe, Pascale Prud’homme. Après trois ans de pandémie, on était tous épuisés. »

Responsable des horaires et de la gestion des employés, Mme Prud’homme avait également constaté que l’achalandage dans le magasin entre 19 h et 21 h était de moins en moins important. « Des fois, ça coûte plus cher de rester ouvert. »

Forte de ce constat, elle n’envisage pas de revenir aux heures d’ouverture « d’antan ». « De toute façon, je n’ai plus personne qui veut faire [ces quarts de travail-là] », lance-t-elle spontanément. Et bien que les heures d’ouverture aient été réduites, le détaillant, avec une équipe de 48 employés, compte plus de personnel qu’avant. « On a augmenté notre nombre d’employés pour soulager les piliers du magasin. Ça demande plus de gestion de personnel pour moins d’heures de disponibilité », explique Mme Prud’homme, qui ajoute dans la foulée que les nouveaux venus ne sont pas prêts à combler tous les quarts de travail proposés.

À Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, Christian Bélair, directeur général de la quincaillerie Lortie et Martin, ne voit pas le jour où il reviendra à ses anciennes heures d’ouverture. Actuellement, le commerce est fermé le dimanche ainsi que les jeudis et les vendredis soir. Plusieurs nouveaux employés à qui on demande de travailler un samedi sur deux réagissent avec peu d’enthousiasme, raconte-t-il. M. Bélair peine donc à s’imaginer ce qui se passerait si ceux-ci devaient se présenter au travail le dimanche.

On a appris à vivre avec ce nouvel horaire là. Plus on évoluait, plus on se disait que si on recommençait à ouvrir le dimanche et le soir, on risquait d’avoir des horaires extrêmement dilués et une qualité de service à la baisse.

Christian Bélair, directeur général de la quincaillerie Lortie et Martin

Une centaine de personnes travaillaient à la quincaillerie avant la pandémie. On en compte 85 aujourd’hui.

« Les gens viennent nous voir parce que leur puits vient de geler ou que leur souffleuse ne fonctionne plus, illustre-t-il. On doit donner beaucoup de conseils. Donc, si tu divises ça sur sept jours en comptant moins d’employés, tu n’y arrives pas. »