Depuis que la pandémie a fait entrer le travail à distance dans les mœurs, il y a près de trois ans, les entreprises ont négocié une « nouvelle normalité » dans un environnement qui, selon certains, donne l’avantage aux travailleurs : l’embauche a été difficile, les démissions ont été populaires, et les employeurs ont été bien placés pour tenir compte des préférences des travailleurs.

Cette époque est révolue. Alors que le marché du travail reste tendu, même si beaucoup prévoient que les États-Unis vont tomber en récession, la plupart des économistes s’attendent à davantage de licenciements et à moins d’ouvertures de postes dans les mois à venir, les entreprises repensant leur mode de fonctionnement. La semaine dernière, Amazon a annoncé qu’elle allait supprimer 18 000 emplois, soit environ 6 % de ses effectifs, et Salesforce a déclaré qu’elle prévoyait licencier 10 % de ses employés, soit environ 8000 personnes. Goldman Sachs se prépare à licencier pas moins de 4000 personnes.

À mesure que le lieu de travail évolue, certains PDG éminents y voient une occasion de faire revenir leurs employés au bureau. En mai 2021, David Solomon, PDG de Goldman Sachs, a dit aux travailleurs de se préparer à revenir le mois suivant afin d’encourager une plus grande collaboration en personne et une culture partagée. Elon Musk a mis fin à la « politique de travail à distance » de Twitter dans son premier courriel aux employés après avoir acquis la société, l’année dernière, en disant qu’il exigerait d’eux qu’ils travaillent au moins 40 heures par semaine du bureau. Bob Iger n’a pas exigé qu’ils travaillent du bureau lorsqu’il a repris la direction de Disney en novembre, mais il aurait déclaré aux employés : « Je m’inquiète à long terme de l’impact négatif sur les personnes qui ont décidé de ne pas passer autant de temps au bureau ». (Disney a depuis annoncé qu’elle exigerait le retour au bureau au moins quatre jours par semaine.)

Mais l’expérience du travail à distance induite par la pandémie est-elle sur le point de prendre fin ? Les économistes qui étudient l’évolution vers des lieux de travail plus flexibles estiment que c’est peu probable, malgré la pression exercée par certains des PDG les plus en vue du monde.

La nouvelle normalité

L’année dernière, le travail à distance s’est stabilisé à des niveaux bien supérieurs à ceux d’avant la pandémie, selon les données compilées par un groupe de chercheurs de l’Université de Stanford, de l’Université de Chicago et de l’Instituto Tecnológico Autónomo de México.

En 2019, environ 5 % des journées de travail rémunérées à plein temps aux États-Unis ont été accomplies à distance, selon les données du recensement. Mais lorsque le groupe de recherche a commencé à recueillir des données pour l’enquête américaine sur les modalités et les attitudes de travail (SWAA), un sondage mensuel auprès des travailleurs, cette proportion a bondi à plus de 60 % en mai 2020. Depuis un an, le pourcentage oscille autour de 30 %.

Nous sommes tous revenus aux tendances prépandémiques en matière d’achats en ligne, mais incontestablement en retard en ce qui concerne le travail en ligne.

Nick Bloom, professeur d’économie à Stanford et coauteur de l’enquête mensuelle

La situation de travail à distance la plus courante, selon la SWAA et un certain nombre d’autres enquêtes, est désormais le travail hybride, les employés passant certains jours au bureau et d’autres à distance. Les entreprises, les secteurs d’activité et les situations individuelles varient considérablement quant aux préférences et à la faisabilité du travail à distance, mais en moyenne, les deux parties ont des idées similaires sur le temps idéal à passer au bureau.

Dans l’enquête SWAA de décembre, les travailleurs capables de faire leur travail à domicile ont déclaré qu’ils préféraient travailler à distance environ 2,8 jours par semaine. Leurs employeurs prévoyaient de les autoriser à travailler à domicile environ 2,3 jours par semaine. Ce n’est pas un grand écart dans les attentes.

Il y a des raisons évidentes pour lesquelles les employés disent qu’ils aiment travailler à distance : ils veulent éviter le temps et les coûts des trajets domicile-travail ; ils se concentrent mieux sans le bavardage au bureau ; ils pensent que c’est mieux pour leur bien-être d’être à la maison. L’année dernière, lorsque le cabinet de conseil McKinsey a interrogé 12 000 demandeurs d’emploi sur les raisons qui les poussaient à chercher un nouvel emploi, le « travail flexible » est arrivé juste derrière « un meilleur salaire ou un plus grand nombre d’heures » et « de meilleures perspectives de carrière ».

Ce qui est souvent passé sous silence – et l’une des raisons pour lesquelles certains économistes pensent qu’une récession aurait peu d’impact sur l’évolution des modalités de travail –, c’est que permettre aux employés de travailler en dehors du bureau peut également profiter aux entreprises.

Dans une enquête menée par ZipRecruiter, un site de recherche d’emploi, les demandeurs d’emploi ont déclaré en moyenne qu’ils accepteraient une baisse de salaire de 14 % pour pouvoir travailler à distance.

Bien que le marché du travail reste solide, l’économie ralentit, et les entreprises cherchent des moyens de valoriser leurs emplois sans augmenter les salaires. Et nombre d’entre elles disent utiliser le travail à distance pour y parvenir.

« Ce n’est pas qu’il n’y aura pas une certaine perte du pouvoir de négociation des travailleurs », a déclaré Steven Davis, professeur à l’Université de Chicago et coauteur de l’étude SWAA. « C’est juste que de nombreux employeurs ont leurs propres raisons indépendantes de penser que le passage, le passage partiel, au travail à distance est bénéfique pour eux aussi. »

Les dirigeants ont du mal à inverser ces changements

Pour un document de travail publié par le National Bureau of Economic Research, Bloom, Davis et d’autres ont demandé aux centaines de cadres supérieurs d’entreprises interrogés chaque mois par la Federal Reserve Bank of Atlanta s’ils avaient développé le travail à distance afin de « garder les employés heureux et de modérer les pressions sur la croissance des salaires ». Trente-huit pourcent d’entre eux ont déclaré l’avoir fait au cours des 12 derniers mois, dont la moitié des cadres travaillant dans des secteurs tels que la finance, l’assurance, l’immobilier et les services professionnels ; et 41 % ont déclaré qu’ils prévoyaient le faire en 2023.

Les auteurs ont utilisé les estimations des cadres pour savoir combien ils ont économisé en salaires en proposant le travail à distance pour conclure que cela réduirait la facture salariale des entreprises de 2 % sur deux ans.

« Ce n’est pas énorme, a déclaré M. Davis. Mais ce que cela suggère, c’est que le travail à distance présente des avantages non négligeables pour de nombreuses entreprises. »

Un ralentissement économique pourrait même rendre le travail à distance plus, et non moins, intéressant. Recruter plus largement, y compris dans les villes où le coût de la vie est inférieur à celui du siège de l’entreprise, pourrait signifier payer des salaires plus bas (bien que dans certains secteurs, comme la technologie, il semble que les salaires dans différentes villes convergent).

Les travailleurs ayant la possibilité de se connecter à distance peuvent également prendre moins de congés de maladie ou décider de travailler à distance alors qu’ils auraient auparavant pris un jour de congé pour assister au mariage d’un ami ou prolonger des vacances.

« Au cours des derniers mois, de très nombreuses entreprises ont insisté pour que leurs employés reviennent au bureau cinq jours par semaine, avant de revenir sur leur décision au bout d’une semaine environ, après avoir appris qu’elles allaient perdre leurs meilleurs éléments », a déclaré Julia Pollak, économiste en chef de ZipRecruiter.

Le travail à distance, a ajouté Mme Pollak, « n’est pas seulement utilisé comme une sorte d’avantage dans un marché du travail tendu qui va disparaître dans un marché du travail plus lent ».

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.

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