Surprise, incompréhension et inquiétude ont accueilli la décision de Sophie Brochu de quitter son poste de PDG d’Hydro-Québec au beau milieu de son mandat alors qu’elle avait mis plusieurs grands chantiers en route pour assurer l’avenir de la société d’État.

« Pour quelqu’un comme moi, c’est le meilleur job au monde », admet-elle lors d’un entretien avec La Presse. Elle assure du même souffle être sereine et convaincue d’avoir pris la bonne décision.

Son départ survient quelques mois à peine après le différend très public qui l’a opposée au nouveau ministre responsable d’Hydro-Québec, Pierre Fitzgibbon, sur l’avenir de l’organisation, mais la principale intéressée se garde bien de confirmer cette explication la plus évidente pour tout le monde.

« Il n’y a jamais de bons moments pour partir, et c’était le temps propice pour moi et pour Hydro-Québec », a-t-elle répété.

La vraie raison de son départ reste toutefois ouverte, surtout que la PDG assure n’avoir rien d’autre sur sa planche après le 11 avril.

Je ne vais nulle part, je ne suis pas malade et je ne veux pas faire plus d’argent. Je n’ai aucun plan.

Sophie Brochu

Une rumeur l’envoie à la tête de Radio-Canada. Le mandat de l’actuelle PDG, Catherine Tait, vient à échéance en juillet, et la règle de l’alternance veut que le prochain patron soit francophone.

La Presse écrivait l’automne dernier que des libéraux rêvent d’avoir Sophie Brochu pour cheffe, mais la principale intéressée a encore écarté fermement cette possibilité mardi.

L’automne dernier, Sophie Brochu avait menacé de démissionner si M. Fitzgibbon décidait de privilégier le développement économique et faire du Québec le « Dollarama » de l’électricité.

« Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’attirer un nombre indu de kilowattheures industriels qui veulent payer pas cher, et après ça, de construire des barrages pour les alimenter parce qu’on manque d’énergie », avait-elle expliqué en entrevue à Paul Arcand au 98,5 FM.

« Tant que le cadre de gouvernance à l’intérieur du gouvernement d’Hydro-Québec est sain et qu’on est capables de faire valoir les grandes prérogatives du besoin du système énergétique, je vais être là, avait-elle ajouté. Mais si, pour une raison ou pour une autre, je voyais que ce système était à risque, eh bien, j’aurais de sérieuses discussions avec mon actionnaire. »

Pour tenter de calmer le jeu, et dans un geste rarement vu lors de la formation d’un Conseil des ministres, François Legault a annoncé qu’il réunirait Sophie Brochu et Pierre Fitzgibbon au sein d’un Comité sur l’économie et la transition énergétique qu’il présiderait lui-même.

« Je poursuis à vos côtés », avait fait savoir Mme Brochu après l’annonce de la formation du comité.

Sophie Brochu se dit encore aujourd’hui rassurée par l’existence de ce comité des priorités et rassurée par ce qu’elle a entendu à la première réunion. « Ce siège au comité des priorités, ce n’est pas le siège de Sophie Brochu, c’est le siège d’Hydro-Québec. »

Sophie Brochu a informé le bureau du premier ministre de sa démission lundi, 24 heures avant d’en faire l’annonce officiellement. Son mandat de cinq ans se serait terminé en 2025.

C’est une lourde perte pour François Legault en ce début d’année. Il était parvenu à recruter Sophie Brochu en 2020, après des années de tentatives infructueuses, selon son propre aveu.

« Je tiens à remercier Sophie Brochu pour sa contribution en tant que PDG d’Hydro-Québec. Comme je lui ai dit, ça a été un plaisir de travailler avec elle sur de grands chantiers déterminants pour l’avenir du Québec comme l’entente avec New York et le développement de la filière éolienne », a commenté M. Legault sur Twitter.

M. Fitzgibbon a remercié Sophie Brochu pour sa contribution, lui aussi sur Twitter. « Merci Sophie Brochu. Tu es une leader naturelle et dynamique, une inspiration pour plusieurs, a-t-il écrit. Je suis certain que tu continueras d’influencer et de tracer la voie pour de nombreux décideurs de demain. »

Des chantiers à peine amorcés

Sophie Brochu est entrée en fonction le 1er avril 2020, en pleine pandémie. Aussitôt arrivée, elle a mis de côté le plan stratégique à peine déposé par son prédécesseur pour dessiner une nouvelle vision d’avenir pour la société d’État.

Cette nouvelle vision subira-t-elle le même sort que le plan stratégique de son prédécesseur ? « Il n’y a pas un dirigeant sensé qui pense que son plan va rester inchangé », dit-elle à ce sujet.

Sophie Brochu n’a aucun regret à laisser à l’organisation des plans à peine esquissés pour assurer son avenir. « Hydro-Québec, c’est comme la Sagrada Família, ce ne sera jamais fini de construire, image-t-elle. J’aurais pu travailler là jusqu’à 100 ans. »

Les défis à venir sont énormes, selon elle, et si elle a choisi de partir, ce n’est pas parce qu’elle ne se sent pas capable de les affronter.

« Ce n’est pas mon talent », explique celle qui se décrit comme « une architecte » plus habile à faire des plans qu’à les exécuter.

Sophie Brochu a quand même passé 20 ans chez Énergir, mais elle estime qu’Hydro-Québec est un chantier de longue haleine qui exige énormément de ses dirigeants. « Le regard public n’est pas le même », ajoute-t-elle.

Sophie Brochu a pris sa décision de partir après la première réunion du nouveau comité formé pour réconcilier les visions différentes du rôle d’Hydro-Québec dans le développement économique du Québec.

Cette première réunion s’est bien déroulée, selon des sources tant au gouvernement que chez Hydro-Québec.

L’entreprise a obtenu, par exemple, d’être libérée de l’obligation de desservir tous les clients industriels aux besoins de 50 mégawatts et moins, ce qu’elle réclamait depuis longtemps. Le gouvernement avait aussi annulé les appels d’offres qu’il avait annoncés pour de l’énergie supplémentaire en laissant à Hydro-Québec le soin d’en redéfinir les conditions.

Deux semaines avant cette rencontre, Pierre Fitzgibbon mettait déjà la table à une nouvelle stratégie énergétique qui modifierait les pratiques de la société d’État.

Il annonçait son intention de déposer en 2023 « un projet de loi très costaud », « beaucoup plus important pour Hydro-Québec ».

« L’idée, évidemment, c’est de rendre Hydro-Québec plus agile devant la nouvelle réalité énergétique, la réalité qu’il faut s’occuper du développement économique, mais en même temps, comme on l’a dit, s’occuper aussi de la décarbonation de l’économie », disait-il.

C’est au cours de cette conférence de presse que le ministre s’était lancé dans une tirade sur la « sobriété énergétique », un discours nouveau pour le gouvernement.

La PDG démissionnaire n’est pas trop inquiète pour la suite des choses. « Hydro-Québec a toute une équipe de direction », dit-elle.

Ce qui lui donne aussi de l’espoir, c’est l’intérêt nouveau de la population pour la question énergétique, qu’elle a contribué à susciter. « En peu de temps, on s’est mis à faire des choses nouvelles, on a consulté la population, on a ouvert les murs et les rideaux. On a progressé comme société. »

En même temps que Sophie Brochu, Hydro-Québec perdra aussi une autre dirigeante importante, la présidente du conseil d’administration, Jacynthe Côté, qui a déjà annoncé son départ.

La succession à la direction d’Hydro-Québec suscite déjà de l’inquiétude, notamment de la part des employés qui craignent la période d’instabilité qui s’annonce. « Le départ de Sophie Brochu après seulement trois ans en poste fait craindre qu’une influence politique ait pu jouer un rôle dans sa décision », a fait savoir Patrik Gloutney, président du SCFP-Québec, qui représente 15 000 employés salariés d’Hydro-Québec.

Pour Sophie Brochu, le départ simultané de la PDG et de la présidente du conseil d’administration pourrait s’avérer une bonne chose. « Ça permet de nommer un tandem qui travaillera bien ensemble », estime-t-elle.

Dans son communiqué, Hydro-Québec souligne que son conseil d’administration « a joué son rôle et est ainsi en mesure de recommander des candidats et des candidates au gouvernement du Québec », qui fera les nominations.