L’Ontario a sa loi sur la déconnexion au travail depuis un an et le Québec traîne la patte. En plein congé des Fêtes, avons-nous le droit de nous déconnecter ?

« Je l’ai dit à mon équipe, que je leur écrivais à des heures bizarres, mais que je ne m’attendais pas à ce qu’ils me répondent », cite en exemple Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH. « Oui, merci, ironise-t-elle, mais ce n’est plus assez à l’aube de 2023. Avec les enjeux de santé mentale auxquels font face les Canadiens, on s’attend à mieux de nos gestionnaires. »

La spécialiste en ressources humaines pourrait passer toutes les vacances des Fêtes à nous relater des comportements de travail hyperconnectés néfastes autant pour les employés que les dirigeants.

« Si j’ai fini ma journée, que je suis en train de jouer avec mes enfants ou de regarder un film avec mon conjoint et que mon patron me texte en écrivant “Demain matin, c’est important, première affaire, viens me voir au bureau”, la soirée ne sera pas pareille, même si c’est d’une niaiserie dont le patron voulait parler. »

« Avec le télétravail, il y a eu un glissement de la culture », renchérit l’avocate en droit du travail et associée chez Langlois Marianne Plamondon.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marianne Plamondon, avocate en droit du travail et associée chez Langlois

Les gens se disent, vu que tu es en télétravail, je peux t’appeler n’importe quand sur ton cellulaire, que tu sois en vacances ou pas.

Marianne Plamondon, avocate en droit du travail

Or, les employés syndiqués sont, en principe, protégés, car ils sont censés être payés chaque fois que l’employeur leur demande de régler un problème en dehors des heures de travail. Ce qui s’appelle des heures supplémentaires. Contrairement aux syndiqués, les professionnels et les cadres ont plutôt un salaire annuel. L’employeur n’a donc pas de limitation dans son droit de demander du travail les soirs et les week-ends, puisqu’il n’a pas à payer les heures supplémentaires, explique l’avocate.

Un an déjà en Ontario

Si de nombreux pays ont déjà une loi sur la déconnexion du travail (voir encadré), au Canada, le gouvernement fédéral y réfléchit depuis quatre ans, parce que le non-respect des périodes de pause a une incidence sur l’anxiété, la dépression et l’épuisement professionnel, rappelle Annie Boilard.

L’Ontario est la seule province qui est passée à l’action. Le seul endroit dans toute l’Amérique du Nord, d’ailleurs.

Depuis juin 2022, sa loi adoptée en 2021 oblige les entreprises de 25 employés et plus à se doter d’une politique de déconnexion, mais n’en précise pas le contenu.

La déconnexion y est définie comme étant le fait de ne pas effectuer des communications liées au travail (courriels, textos, appels téléphoniques, appels vidéo) à l’extérieur des heures de travail.

Comme le contenu est complètement libre, ça laisse beaucoup de place à l’employeur pour créer des exceptions à la déconnexion si les impératifs d’affaires l’exigent, précise Marianne Plamondon.

« J’ai vu des politiques qui indiquent que les employés ont le droit de se déconnecter entre 17 h et 9 h, le week-end et durant les vacances, à moins que le client ne le requière. Donc, qu’est-ce que ça change dans les faits ? Pas grand-chose », analyse l’avocate.

Cependant, la politique de l’Ontario a l’avantage de s’adresser à tous les employés, jusqu’au plus haut cadre de l’entreprise, alors que souvent, les lois encadrent le travail des employés de premier niveau.

S’il est encore trop tôt pour savoir s’il y a eu des plaintes en Ontario, il faut savoir qu’elles ne concerneraient que le fait de ne pas avoir de politique de déconnexion. Aucune sanction n’est prévue si ladite politique n’est pas appliquée.

Aucune loi dans le monde ne garantit un droit à la déconnexion. Il peut y avoir une obligation de mettre en place une politique de déconnexion, mais il n’y a jamais une obligation de résultat au niveau de la déconnexion.

Marianne Plamondon, avocate en droit du travail et associée chez Langlois

Les Québécois peuvent-ils se déconnecter ?

Bien que Québec solidaire ne lâche pas le morceau avec son idée de projet de loi sur la déconnexion au travail présenté en 2018, qu’il a encore abordé la semaine dernière, le gouvernement provincial n’a pas encore senti le besoin de légiférer.

Les vacances, les pauses et le droit de refus de travailler sont protégés en vertu de la Loi sur les normes du travail. Si un employé doit travailler durant ces périodes, il a le droit de ravoir ses journées de vacances ou de se les faire payer.

Si un gestionnaire envoie des courriels à répétition la nuit aux employés et exige qu’on y réponde, l’employé va choisir de déposer une plainte pour harcèlement, observe l’avocate en droit du travail.

Malgré l’absence de loi, des employeurs québécois ont quand même choisi d’édicter une politique de déconnexion, observent Marianne Plamondon et Annie Boilard. Soit parce que les entreprises ont des clients en Ontario ou qu’elles ont des filiales dans cette province et que la loi ontarienne implique même les présidents. Soit, aussi, parce qu’elles veulent se démarquer comme employeurs en ces temps de pénurie de main-d’œuvre.

Afin de délimiter les situations urgentes, une tendance commence à s’instaurer en entreprise, celle d’inscrire dans l’objet du courriel qu’il nécessite une réponse en dehors des heures régulières. « Ça fait partie des bonnes pratiques et les employeurs québécois ont emboîté le pas », remarque Marianne Plamondon.

« Compte tenu de tous les indicateurs préoccupants sur la santé mentale, avons-nous vraiment besoin d’attendre une législation au Québec pour passer à l’acte ? », conclut Annie Boilard.

Trucs pour se déconnecter

Pour les gestionnaires

Faites la promotion des bons comportements, soutient Annie Boilard. « Vous voulez dire à votre équipe “Je m’en vais en vacances, mais ce n’est pas grave, écrivez-moi, je prends mes courriels tous les jours” ? Si c’est le cas, gardez ça secret, car vos employés auront la pression de vous imiter. »

Pour les employés

Ajustez les réglages de vos appareils afin de ne pas recevoir de textos ou de courriels de vos patrons, collègues et clients entre telle heure et telle heure, suggère Annie Boilard.

« Vous pouvez le faire aussi pour ne pas recevoir d’appels de la belle-mère durant les heures de bureau. »

Les pays qui ont balisé la déconnexion

2017 : France, Italie et Philippines 
2018
: Espagne et Belgique 
2020
: Pérou, Chili (pour les télétravailleurs) et Argentine (pour les télétravailleurs)
2021
: Irlande 
2022
: Portugal, Colombie et Ontario (Canada)

Compilation La Presse