Au Québec, de plus en plus de gens sautent un repas ou mangent à peine, faute de moyens pour s’offrir des aliments dont les prix ne cessent d’augmenter. Certains vont à la banque alimentaire pour la première fois. Même la Fondation Olo, qui soutient les femmes enceintes et les familles avec de jeunes enfants, voit les demandes d’aide augmenter.

« Tout est en place pour l’aggravation de l’insécurité alimentaire depuis deux ans et c’est ce que les statistiques indiquent », confirme François Fournier, de l’Observatoire québécois des inégalités. Le chercheur évoque la pandémie, la crise du logement, l’inflation et la hausse du prix des aliments.

Quelqu’un vit de l’insécurité alimentaire légère quand il craint de ne pas pouvoir payer son épicerie. Des gens qui se trouvaient dans cette condition voient leur situation se détériorer vers une insécurité modérée ou grave, ce qui veut dire que la quantité et la qualité de leur alimentation sont compromises. Ils devront peut-être sauter des repas et vivre avec la faim.

Selon les chiffres de l’Institut national de santé publique du Québec, de mai 2020 à septembre 2022, la part de la population qui souffre d’insécurité alimentaire modérée ou grave est passée de 8 % à 15 %.

Comme en ce moment les autres dépenses sont également sous pression, particulièrement le budget incompressible consacré au logement, de nombreuses personnes se tournent vers des ressources communautaires pour arriver à se nourrir.

À la Fondation Olo, la hausse du prix des aliments a plusieurs effets. D’abord, il y a une augmentation de la demande de coupons pour aider les familles qui peinent à acheter des aliments essentiels durant la grossesse et les deux premières années de l’enfant. En quantité, il y a eu une hausse de demande de 32 % pour les œufs, de 20 % pour le lait et de 27 % pour les légumes congelés. Ensuite, la montée du prix des aliments touche directement la Fondation qui doit débourser davantage à l’achat.

Sans surprise, les cuisines collectives sont elles aussi plus sollicitées. Et les participants doivent faire des exercices comptables complexes pour arriver à cuisiner des repas avec le budget alloué aux ingrédients.

« L’inflation fait en sorte que les groupes modifient leurs achats », explique Josée di Tomasso, porte-parole du Regroupement des cuisines collectives du Québec.

« Le poulet est devenu rarissime, précise-t-elle. Et ce sont des changements alimentaires imposés. »

Josée di Tomasso explique que, bien qu’avantageux à plusieurs égards, le véganisme a un goût différent lorsqu’il est imposé, même avec la meilleure des recettes.

Même les travailleurs

Au Bol du Carrefour solidaire, à Montréal, on note la diversification de la clientèle. Des travailleurs et des étudiants cognent plus souvent à la porte.

Un grand nombre de travailleurs nous disent qu’ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Avant, ils arrivaient à faire leur épicerie avec les rabais, mais maintenant, ils doivent couper et n’achètent plus de viande ou de beurre.

Sylvie Chamberland, codirectrice générale de l’organisme Au Bol du Carrefour solidaire

On le dit depuis des années, mais la pandémie couplée avec l’inflation a gonflé ce groupe de gens vulnérables : de plus en plus de gens qui travaillent ont recours aux services d’aide communautaire.

Environ une personne sur deux qui souffre d’insécurité alimentaire a des revenus d’emploi, explique le chercheur François Fournier, qui précise toutefois que les salariés vivent davantage avec l’insécurité alimentaire légère que grave.

« Le marché du travail a beaucoup évolué depuis 20 ans, dit-il. Beaucoup d’employés ont des conditions précaires. Des travailleurs pauvres, ça existe. »

Souvent caché

Concrètement, cela veut dire que si votre collègue de travail ne prend pas de pause-lunch, c’est peut-être qu’il n’a pas le temps, mais peut-être aussi qu’il n’a pas les moyens.

Car, explique François Fournier, malgré les conditions socioéconomiques actuelles et le fait qu’on en parle beaucoup, une stigmatisation persiste autour de l’insécurité alimentaire, ce qui rend le sujet difficile à aborder avec ses proches.

Ce tabou peut favoriser l’isolement.

Pour une famille qui arrive juste, recevoir, c’est compliqué. Fêter un enfant, ça n’est pas facile dans un contexte d’insécurité alimentaire. Il y a de réels impacts sur la santé mentale.

François Fournier, chercheur à l’Observatoire québécois des inégalités

Pour les gens qui peinent à joindre les deux bouts, les cuisines communautaires sont un excellent outil, car elles sont très inclusives.

« On commence à voir des cuisines le soir et les week-ends, pour pouvoir accueillir les gens qui travaillent », explique Josée di Tomasso.

En savoir plus
  • 20 %
    Hausse des demandes d’aide alimentaire mensuelles en un an.
    Bilan-Faim 2022, Les Banques alimentaires du Québec
    671 000
    Nombre de personnes aidées chaque mois par les banques alimentaires. Le tiers sont des enfants.
    Bilan-Faim 2022, Les Banques alimentaires du Québec