Un Babybel dépourvu de son emballage en filet et préparé sans produit laitier fait son entrée en épicerie. Avec la mise en marché de l’une de ses marques vedettes en version végétale, le Groupe Bel, multinationale spécialisée dans le fromage, entame un véritable virage avec l’intention d’avoir une offre composée à 50 % de produits à base de fruits et de plantes d’ici 2030.

Cette cible est pour le moins ambitieuse, estime toutefois Maurice Doyon, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. « S’ils l’atteignent, je vais être très étonné », affirme-t-il.

Ainsi, le mythique Mini Babybel, produit à Sorel-Tracy depuis 2020, n’est pas disparu. Mais il a maintenant son équivalent végétal, emballé dans un sac de papier recyclable. La cire traditionnellement rouge qui recouvre chaque morceau a pris une teinte verte dans le cas de la formule à base de plantes. Le fromage à tartiner Boursin, également une marque phare du Groupe Bel, est aussi vendu depuis peu en version « sans produit laitier ». Et l’an prochain, le « fauxmage » emballé dans une rondelle sous la marque La Vache qui rit fera son entrée dans les supermarchés américains pour ensuite se retrouver de ce côté-ci de la frontière.

En adoptant cette stratégie, le Groupe Bel ambitionne de « devenir un joueur de premier plan mondialement dans les [solutions de rechange] aux fromages », peut-on lire dans le communiqué diffusé par l’entreprise lundi. Si les trois fromages vedettes vendus au Canada sont tous produits au Québec, leur version végétale sera pour le moment importée d’Europe.

52 %

Selon une étude réalisée par Ipsos en 2021, 52 % des Canadiens ont adopté une alimentation incorporant essentiellement les produits à base de plantes ou souhaitent en consommer davantage dans leur quotidien. Cette statistique, Bel Canada n’hésite pas à s’en servir pour appuyer sa décision d’aller de l’avant avec de nouveaux produits. Or, l’entreprise se défend bien d’entreprendre un virage végétal pour suivre la mode.

« On ne fait pas ça parce que c’est une tendance, mais plutôt parce qu’on sait où on s’en va [d’un point de vue environnemental] », assure Cristine Laforest, directrice générale du Groupe Bel Canada, au cours d’une entrevue accordée à La Presse dans les bureaux fraîchement réaménagés de l’entreprise, situés dans le Vieux-Montréal.

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Cristine Laforest, directrice générale du Groupe Bel Canada

« Avec les changements climatiques, en tant que manufacturier, on croit fermement qu’on doit faire notre part », ajoute-t-elle. Et pour l’entreprise, fournir sa part d’effort passe notamment par une réduction de l’utilisation du lait de vache, qui rappelle dans la foulée que l’élevage de bovins constitue une importante source de méthane contribuant à l’effet de serre.

Mais peu importe l’intention qui les motive, plusieurs grands acteurs de l’industrie laitière commencent à frayer avec le végétal, reconnaît Mme Laforest. Lactalis Canada, connue pour son fromage Black Diamond et son yogourt Astro, a décidé d’élargir son offre en reconvertissant une usine de transformation laitière de Sudbury, en Ontario. Celle-ci sert désormais à la mise en marché de produits végétaux. Saputo commercialise de son côté la marque Vitalité avec des « râpés à saveur de cheddar » et des « tartinades à saveur de crème ».

Parts de marché

Selon les chiffres que Nielsen IQ, société spécialisée en analyse de données relatives à la consommation, a fournis à Bel Canada, les solutions de rechange aux fromages représentent 1,1 % du marché du fromage préemballé au pays, pour un total de 38 millions de ventes.

« Il y a un marché qui est en train de se développer », constate Maurice Doyon. Et la stratégie du Groupe Bel, c’est d’« avoir un pied dedans au cas où ».

« Ça peut vouloir dire que Bel pense que son marché du fromage est saturé, donc qu’il n’aura pas beaucoup de croissance. On peut parier que la croissance sera ailleurs. Dans une gestion du risque d’un portefeuille de produits, ça a du sens. »

Or, M. Doyon se questionne sur les possibilités que l’entreprise réussisse à atteindre son objectif voulant que la moitié de son offre soit constituée de produits à base de fruits ou de plantes d’ici huit ans. « Pour l’instant, ça demeure quand même un produit marginal. »

Il souligne que beaucoup de consommateurs qui ne peuvent consommer de produits laitiers se tournent vers le « fauxmage » un peu par « dépit ».

Avec le tofu ou les produits laitiers ?

Bien que le Boursin ou le Babybel à base de plantes aient réussi à faire leur entrée en magasin, de grandes questions demeurent concernant l’endroit où ils devraient se retrouver dans l’épicerie. « Le “plant base”, c’est le chemin de Compostelle, ce n’est pas facile, ça prend beaucoup d’efforts, confie Cristine Laforest. Les détaillants sont très confus concernant l’endroit où ils doivent les placer », dit-elle, ajoutant dans la foulée que le positionnement en épicerie représente l’un des plus grands obstacles à la vente des produits.

« Pour le Boursin, on le voit autant dans les fruits et les légumes que dans les produits laitiers. » Mme Laforest note par ailleurs que lorsqu’un produit végétal est placé à côté de son équivalent laitier, il se vend beaucoup mieux et jouit de la crédibilité de ce dernier.

Groupe Bel en bref

  • Multinationale française qui produit du fromage depuis 125 ans
  • Produit 400 000 tonnes de fromage par année
  • Acquisitions : Groupe Mom en 2016 (compotes de fruits GoGo Squeez) et All In Foods en 2020 (spécialisée dans les substituts de fromages)
  • Distribue ses produits dans 130 pays
  • Siège social : Suresnes (France)

Capsule Groupe Bel Canada

  • Filiale créée en 2005
  • Fromages produits au Québec : Mini Babybel (Sorel-Tracy), La Vache qui rit (Lévis, partenariat avec la Fromagerie Bergeron), Boursin (Saint-Hyacinthe, partenariat avec Agropur)
  • Nombre d’employés : 82 au siège social et 143 à l’usine de Sorel-Tracy
  • Siège social : Montréal