Nous traitons depuis plus de 15 ans les dossiers de francisation d’une quarantaine d’entreprises dont les affaires se font toutes ou presque à l’extérieur du Québec, ce qui exige qu’elles fonctionnent le plus souvent en anglais. Ces entreprises se sentent visées par l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui cherche à les franciser à tout prix et délaissées par la loi 96 qui les a oubliées⁠1.

Nous sommes leurs mandataires auprès de l’OQLF : nous gérons pour eux et avec eux leur dossier de conformité. Nos clients sont des entreprises américaines ou européennes qui viennent s’installer au Québec afin de profiter d’une main-d’œuvre qualifiée. Ce sont aussi des entreprises québécoises dont les marchés se sont principalement développés à l’étranger. Nous faisons en sorte qu’elles respectent le droit des Québécois à des communications en français bien qu’elles doivent continuer, la plupart du temps, à faire des affaires en anglais avec le reste du monde.

La loi 96 est venue imposer à tous les employeurs une formule de réduction des effectifs bilingues dont l’application arbitraire par l’Office mène déjà à des abus de pouvoir qui provoquent des mises à pied et dont certains cas se retrouveront bientôt devant les tribunaux. Au lieu de mobiliser les forces vives de nos entreprises, la loi 96 vient nous diviser par une coercition inutile et par des complications administratives qui seront étendues en 2025 aux entreprises d’au moins 25 employés :

  • les délais de production des formulaires et des rapports ont été réduits de moitié alors que l’Office peut étirer leur traitement sur 24 mois avant de délivrer une attestation ;
  • la formule de réduction du bilinguisme est difficile à mettre en place sans revoir toutes les descriptions de poste, l’ensemble des tâches et des qualifications du personnel, le flux et l’importance des communications en anglais, ainsi que la réorganisation du travail, alors que nous sommes en pénurie de main-d’œuvre généralisée ;
  • l’OQLF peut désormais imposer à toute entreprise de moins de 100 employés un comité de francisation bicéphale, mécanisme notoirement inefficace dans les entreprises du secteur privé où il n’y a que peu de syndicats⁠2, parce que ses membres sont doublement occupés à effectuer le travail pour lequel ils sont engagés et ignorants en général du processus de francisation ;
  • la loi 96 a privé les entreprises de la possibilité de se faire représenter auprès de l’Office par des gens qualifiés, en visant notamment notre entreprise et les avocats⁠3. Obligerait-on les entreprises à payer leurs impôts en leur refusant le droit de se faire représenter auprès de Revenu Québec par des comptables et des fiscalistes ? C’est ce que la loi 96 a fait en spécifiant à dessein que le représentant de l’entreprise auprès de l’Office devait être un membre de la direction.

Depuis le 1er juin 2022, le contact quotidien avec une autre langue que le français dans l’accomplissement des tâches, les relations fréquentes avec l’étranger et la nature des tâches, comme la recherche scientifique dont les publications sont majoritairement en anglais, par exemple, ne sont plus des raisons suffisantes pour exiger l’utilisation d’une autre langue que le français⁠4. La vision de cette publication est si restrictive qu’elle annule toutes les raisons pour lesquelles, par ailleurs, il est justifié dans la Charte d’utiliser une autre langue que le français, selon les formulaires d’admissibilité à une entente particulière de l’OQLF. Quelle contradiction entre l’OQLF et la Charte !

Cela se traduit dans la réalité par de nouvelles mesures de généralisation du français imposées par l’OQLF à des sièges et centres de recherche ne pouvant généraliser l’utilisation du français et ayant signé des ententes particulières, ententes qui donnent le droit à celles-ci d’utiliser une autre langue de fonctionnement avec l’étranger parce que leurs relations extérieures sont constantes et complexes. Or, les gens de l’OQLF ne sont nullement qualifiés pour dire aux entreprises comment elles devraient s’organiser pour travailler et n’ont aucune légitimité pour obliger indirectement les travailleurs, malgré l’avis des tribunaux, à travailler en français sans tenir compte du contexte. Nous invitons le ministre et le premier ministre à reformuler l’article qui exclut les mandataires comme nous et les avocats de la discussion avec l’OQLF et à revoir la façon dont l’OQLF applique la Charte à des entreprises dont toutes les affaires ou presque se font à l’étranger. Il en va de la santé économique du Québec.

* Autres signataires : Simon Perreault, président, Technologies GoTo Canada Ltée, Bryan Mongeau, directeur de la technologie, Compagnie Broadsign Canada, Mario Tremblay, président-directeur général, RobotShop inc., Pierre Meunier, président, Rexfab inc., Beatrice Niedermann, présidente, BND Conseil inc., François Godin, directeur associé en chimie, X-Chem inc./Intelisyn Pharma, Martin Villeneuve, président, Distech Contrôles inc., Robert Piccioni, président, Les Transports Fuel inc., Nadia Damiani, présidente, Camion Fuel inc., ainsi que 28 autres entreprises qui nous ont signalé leur appui et qui ne peuvent être identifiées par crainte de représailles ou pour des raisons juridiques.

1. La loi 96 n’a pas rénové l’article 144 qui permet les ententes particulières pour les sièges et l’OQLF applique l’article 46.1 à des entreprises qui ont de telles ententes pour annuler l’effet de l’article 144.

2. En 2021, 23 % des employés dans les entreprises du secteur privé au Québec étaient syndiqués, selon l’Institut de la statistique du Québec.

3. L’article 139.1, renforcé par l’article 213.1, élimine la possibilité qu’un avocat puisse représenter l’entreprise auprès de l’Office, selon l’avis même de nos juristes, ce qui élimine aussi les mandataires comme GP Conceptal.

4. Aide-mémoire à l’intention des employeurs sur l’exigence relative à la connaissance d’une autre langue que le français, Office québécois de la langue française, 2022