Depuis une vingtaine d’années, les consommateurs deviennent plus conscients de l’impact que leurs achats et leur mode de vie ont sur la planète. Ils ont développé des comportements à l’avenant. Mais lorsque les prix augmentent, comment rester fidèle à ses valeurs écoresponsables devant les étalages de commerces ?

Écologique rime souvent avec économique

« On voit que les gens réfléchissent à ce qu’ils achètent. Pour nous, c’est très positif », lance Andréanne Laurin, cofondatrice des épiceries écologiques Loco qui ont maintenant quatre boutiques à Montréal.

La montée des prix mènerait donc à une remise en question de la façon de consommer pour une partie de la population.

« On voit des gens qui essaient le tempeh pour la première fois parce que c’est beaucoup moins cher que la viande. Ils apprécient chaque dollar dépensé », dit-elle.

Certains choix se font plus facilement que d’autres, comme le retour à la cuisine mijotée à la maison plutôt que la sortie au restaurant.

PHOTO MORGANE CHOQUER, ARCHIVES LA PRESSE

Andréanne Laurin, cofondatrice des épiceries écologiques Loco

L’adoption d’un mode de vie plus écologique favorise la cuisine à la maison, avec des aliments entiers, plus nourrissants.

Andréanne Laurin, cofondatrice des épiceries écologiques Loco

L’épicière note aussi que l’automne donne envie de cuisiner. Elle remarque, depuis la rentrée, le retour de sa clientèle qui s’était beaucoup gâtée pendant l’été en voyage et au resto, après deux années de pandémie.

Les gestes écologiques en consommation sont souvent les plus économiques, explique Nathalie Ainsley, conférencière pour l’Association québécoise zéro déchet, membre du collectif Mères au front.

Le calcul est facile à comprendre : « La réduction de la consommation mène aussi à une réduction des dépenses », dit-elle.

Un exemple tout simple : garder ses choses plus longtemps.

« Est-ce que je fais cet achat parce que j’en ai besoin ? demande Nathalie Ainsley. Est-ce que j’ai autre chose à la maison qui ferait l’affaire ? »

Même chose pour le transport. « Garder son véhicule plus longtemps est un beau geste écologique », dit-elle.

D’autant que le transport, avec la nourriture, pèse lourd dans le portefeuille et le bilan énergétique individuel. En économisant de ce côté-là, on libère du budget pour des dépenses durement frappées par l’inflation, mais qui nous tiennent à cœur.

« Avec tout l’argent que j’économise en consommant moins, j’en ai en masse pour acheter mon bio ! », lance Nathalie Ainsley.

Autre idée simplissime : remplacer ce qui est à usage unique. « Ça aurait un impact économique gigantesque dans le budget familial », dit-elle.

Se poser de bonnes questions

D’abord, il faut réévaluer notre consommation globale, explique la sociologue Laurence Godin, professeure à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval.

Ce qui veut dire, oui, d’acheter moins, mais aussi de modifier certains comportements habituels et que l’on ne remet jamais en question. Laurence Godin a participé à un projet de recherche en Suisse, il y a quelques années. On a demandé aux gens de diminuer de moitié la quantité de lavages faits dans une semaine et de baisser le chauffage dans la maison. « L’idée n’était pas de geler, mais de se sentir confortable », explique-t-elle.

En plus des réductions des comptes d’eau et d’électricité, les participants ont économisé beaucoup de détersif et de temps. Tout cela n’ayant pas du tout eu d’incidence négative sur leur bien-être.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Laurence Godin, professeure à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval

L’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM confirme que l’on tend vers une consommation plus sobre. Sa vigie 2021 a mesuré l’impact de la pandémie sur nos habitudes de consommation. « Les mesures sanitaires semblent refouler l’attraction vers les valeurs de l’hyperconsommation : 81,2 % ont pris l’habitude de moins magasiner au cours du dernier mois », apprend-on dans ce rapport.

SVP, pas d’écoculpabilité

« Nos valeurs ont radicalement changé dans les 20 dernières années », confirme Rory Smead, professeur associé au département de philosophie de l’Université Northeastern à Boston, spécialiste de l’évolution du comportement du consommateur.

« Nous avons notamment découvert que nos achats ont des impacts sur la main-d’œuvre, ce qui a mené à la popularité des produits certifiés équitables », cite-t-il en exemple.

Et quel effet aura maintenant la hausse des prix sur ces belles valeurs ?

Les gens réagissent différemment et leurs moyens influencent grandement les choix, dit-il.

Pour certains qui ont des comportements déjà réfléchis, si la pression économique est trop forte, ça peut mener à une remise en question de l’engagement, explique ce professeur américain : « À quel point ça me tient à cœur ? Est-ce que mon petit geste a vraiment un impact ? »

Pour beaucoup ce n’est plus un choix. Si l’achat écoresponsable est plus cher, il ne se fera pas. « Quand à l’épicerie vous avez le choix entre du café équitable ou pas de café du tout, le choix est facile à faire », ajoute Rory Smead.

Même si cela va contre un comportement bâti sur des années de réflexion.

« Est-ce que les gens sont moralement responsables de ces grands enjeux ? demande Rory Smead. Il y a deux courants de pensée en philosophie : oui ou non ! »

Pour Nathalie Ainsley, la réponse est non, l’individu n’est pas responsable, mais oui, chaque geste compte.

Le geste individuel n’est pas suffisant, mais il est essentiel.

Nathalie Ainsley, conférencière pour l’Association québécoise zéro déchet, membre du collectif Mères au front

« On ne demande pas d’en faire plus à ceux qui n’en ont pas les moyens », précise toutefois Nathalie Ainsley.

Si certaines personnes doivent abandonner des pratiques durables faute de moyens, il faut éviter la culpabilité, insiste la professeure de l’Université Laval Laurence Godin.

Pour éviter qu’une culpabilité ne s’installe, la sociologue conseille de prendre le taureau par les cornes.

« La réponse à l’écoanxiété, dit-elle, c’est l’action. »

Concrètement, quelqu’un qui doit laisser de côté son poulet bio parce qu’il coûte trop cher aura peut-être intérêt à s’impliquer dans un projet communautaire, dit-elle.

Une cuisine collective, par exemple, qui permettrait de reprendre le contrôle et d’être dans l’action.

« Il s’agit de s’intégrer dans des groupes de durabilité », précise Laurence Godin.

Rester fidèle à ses principes

Les produits de soin et les produits ménagers

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Quand Les Mauvaises Herbes ont germé, en 2014 avec le blogue Les Trappeuses, on commençait à parler de zéro déchet. Les produits fabriqués à la maison gagnaient en popularité. En quelques années, le blogue est devenu boutique virtuelle, puis boutique ayant pignon sur rue, en 2019. « On voyait l’engouement, explique Marie Beaupré, cofondatrice de l’entreprise. Les gens nous demandaient constamment où acheter les ingrédients pour faire nos recettes. On y a vu une opportunité d’affaires. »

Est arrivée la pandémie. Pour Les Mauvaises Herbes, ç’a été une explosion des ventes en ligne : les gens n’allaient plus dans les commerces et se cherchaient des activités. Résultat : la jeune entreprise a vu ses ventes tripler.

Mais cette hausse fulgurante était circonstancielle. Et maintenant, le contexte économique vient chambouler tout ça, de nouveau. Il impose une période de stabilisation.

Aux Mauvaises Herbes, l’inflation a des vents contraires. On peut se lancer dans la fabrication de concoctions avec des ingrédients naturels, pour la maison ou le corps, par souci d’économie. Ce qui amènerait une nouvelle clientèle. À l’inverse, des clientes actuelles peuvent délaisser les produits non essentiels, car il faut bien faire des coupes quelque part.

« Je pense que si on était dans un marché 100 % cosmétique, explique Marie Beaupré, on aurait été plus durement éprouvées par l’inflation. »

Pour poursuivre sa croissance, le groupe a néanmoins dû modifier son offre. Les produits essentiels vont prendre plus de place, puisque les plus superficiels se vendent moins.

Avec la diminution de notre pouvoir d’achat, comment la clientèle peut-elle rester fidèle à ses principes de consommation s’il y a peu d’argent à la fin du mois ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie Beaupré, propriétaire des Mauvaises Herbes, une marque de cosmétiques et de produits naturels

La question alternative, selon moi, est pourquoi on reste dans un système économique qui force les individus à déroger à leurs valeurs simplement pour survivre ?

Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises Herbes

Pour Marie Beaupré, le grand luxe du fait maison, c’est le temps.

« Elle est là, la limite du grand public, poursuit-elle. Tu as une strate de gens qui n’a pas l’énergie, la structure, le temps à mettre pour cette transition écologique là. C’est bien de parler de beaux principes, d’avoir plein de belles idées et des méthodes pour faciliter la transition et la mettre en application, mais si tu n’as pas le temps parce que tu travailles au salaire minimum et que tu as un enfant à nourrir, je ne vais pas te forcer à faire ton déodorant. C’est correct que tu choisisses celui qui est en rabais à la pharmacie. »

Les vêtements

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Quand Alexandrine Beauvais-Lamoureux a voulu acheter des vêtements en harmonie avec ses principes de consommation, elle a cru que ça serait assez simple.

On établit d’abord les valeurs importantes, puis on évalue les besoins et les moyens.

Premier constat : il est très difficile de trouver des vêtements en harmonie avec ses valeurs écoresponsables à petits prix, surtout si on souhaite qu’ils soient conçus ici et, encore mieux, faits ici.

L’étudiante au bac en relations internationales et droit international à l’UQAM s’est alors tournée vers la gamme éthique d’une grande chaîne internationale.

Le prix était bon, les prétentions de la marque, tout autant. Et puis, les vêtements écoresponsables de H&M n’ont pas passé le test : l’entreprise suédoise est poursuivie aux États-Unis par une cliente qui affirme avoir été bernée par ses produits « Conscious choice ». Les aspirations vertes de l’entreprise ont été largement contestées sur la place publique. H&M vient d’annoncer qu’elle retirera cette gamme aux Pays-Bas après qu’un organisme gouvernemental a statué que la démarche derrière cette étiquette n’était pas claire.

H&M vend ses vêtements environ le huitième du prix que je paierais dans une boutique du Plateau. Mais en réalité, il n’y a rien de vrai dans tout ça. Je me suis rendu compte que ça n’était que de l’écoblanchiment.

Alexandrine Beauvais-Lamoureux, étudiante au bac en relations internationales et droit international à l’UQAM

La jeune femme ne s’est pas laissé décourager pour autant.

Étape suivante : se tourner vers les vêtements de seconde main. L’offre est abondante et les prix sont bons, en ligne comme chez des organismes tels Renaissance ou le Village des Valeurs.

Ce qui mène à un nouveau questionnement : le pouvoir d’achat augmenté dans une boutique de produits d’occasion peut-il avoir un effet grisant et mener à une surconsommation ?

Oui, répond l’étudiante, qui est aussi fondatrice de l’organisme d’éducation aux violences sexuelles Scène et sauve.

Pour Alexandrine Beauvais-Lamoureux, la consommation éthique et durable doit aller de pair avec une certaine conscience sociale.

« Le vêtement est aussi un droit à la dignité », dit-elle. Si la surconsommation des uns limite le pouvoir d’achat des autres et encourage l’achat inutile, on n’est donc pas plus avancé.

L’étudiante a trouvé l’option qui lui convenait le mieux : acheter ses vêtements de seconde main, mais dans des boutiques indépendantes où l’on choisit minutieusement les pièces. On en trouve de plus en plus à Montréal.

« Ça permet d’atteindre un équilibre, dit-elle, entre une conscience environnementale, une conscience sociale et mon porte-monnaie. »