(Drummondville) Face à la pénurie de main-d’œuvre, les employeurs québécois n’ont jamais été aussi nombreux à recruter des travailleurs temporaires à l’étranger. Une option salutaire qui ne fait pas que des heureux.

Quand Daniel Mongrain et Chantal Thibodeau ont voulu recruter des employés en France afin de pourvoir des postes vacants dans leurs huit succursales Tim Hortons à Drummondville, plus tôt cette année, ils se disaient qu’ils ne pouvaient faire autrement.

« On n’avait jamais fait ça, dit M. Mongrain. On ne trouvait plus de main-d’œuvre locale. »

Pour accueillir sept travailleurs français recrutés au moyen du programme Jeunes professionnels d’Expérience internationale Canada (EIC), le couple a fait l’achat de deux maisons à Drummondville, les a meublées, et a acheté deux voitures pour les travailleurs.

Les salaires offerts étaient de 15,35 $ l’heure au bout de deux mois, et le loyer demandé était de 650 $ par mois, électricité, chauffage et internet compris.

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La maison que Daniel Mongrain et Chantal Thibodeau louent à leurs employés

On pense que c’est un bon deal. Plusieurs de nos employés québécois sont jaloux.

Daniel Mongrain

Or, trois employés originaires de France débarqués cet été ont démissionné au bout de quelques semaines à peine, alors que leur contrat devait durer deux ans.

Les raisons évoquées allaient du salaire moins élevé qu’initialement imaginé, en raison des impôts, jusqu’au climat de travail et au coût de la vie.

Mégane Boudou fait partie de ceux qui sont partis.

« Je n’ai pas aimé l’ambiance de travail, et le restaurant n’était pas propre, dit la jeune femme originaire du sud de la France. Je m’attendais aussi à ce que le salaire puisse augmenter avec le temps et que je puisse obtenir plus de responsabilités, mais on m’a dit que ce n’était pas possible. »

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Mégane Boudou

M. Mongrain note que la propreté des restaurants doit être assurée par les employés, et que le salaire était énoncé dans le contrat que les travailleurs ont signé avant d’arriver au Québec.

« On nous avait avertis, beaucoup de gens partent, on s’y attendait », dit M. Mongrain.

Malgré quelques accrocs, le programme Jeunes professionnels, qui permet à des jeunes de 18 à 35 ans de partout dans le monde de rapidement venir travailler au Canada pendant deux ans, est plus populaire que jamais.

MMaxime Lapointe, avocat spécialisé dans le droit de l’immigration, dit faire venir près de 300 jeunes chaque année au Québec avec ce programme.

« Ça se passe généralement bien, les gens aiment leur expérience ici », dit-il.

Une des façons de régler le problème de pénurie de main-d’œuvre serait d’augmenter les quotas dans ce programme, clame MLapointe. « Pour la France, le programme est limité à 2200 personnes cette année. Ça part très vite. »

Pas une solution miracle

Au-delà du programme des Jeunes professionnels, le Programme des travailleurs étrangers temporaires est aussi salutaire pour les employeurs.

Souvent associé aux travailleurs étrangers qui travaillent dans les champs, ce programme sert aussi à combler les besoins d’autres secteurs, comme le secteur manufacturier, deuxième en importance à accueillir des travailleurs étrangers au Québec.

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEC), note que le programme n’est toutefois pas une solution miracle : il en coûte jusqu’à 12 000 $ pour faire venir un travailleur, qui doit ensuite être formé, souvent pendant un an.

« Il y a de la francisation à faire, il faut trouver un emploi pour le conjoint, trouver une place en garderie, à l’école… Et, deux ans plus tard, ils doivent repartir. C’est pour ça que ce n’est pas viable, d’un point de vue économique, et d’un point de vue humain. »

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Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec

Les entrepreneurs, souvent en région, ne comprennent pas pourquoi le gouvernement n’autorise pas les travailleurs à rester plus longtemps.

« Ils sont déjà intégrés. Leur français n’est peut-être pas au niveau requis, mais il faudrait trouver une façon de les accompagner, car les gens se tournent souvent alors vers d’autres provinces canadiennes. »

Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec, souligne que l’employeur a aussi le fardeau d’obtenir une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), qui atteste qu’aucun Canadien n’est qualifié pour le poste à pourvoir.

« Ça peut prendre six mois avant de l’obtenir, dit-il. C’est long, quand on est dans une situation de nécessité. »

Michel Pilon, coordonnateur du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), note que la politique de Services Canada de délivrer un permis de travail fermé, qui lie l’employé temporaire à un seul employeur, n’est pas optimale.

« Les employés n’ont pas de pouvoir d’aller ailleurs si ça ne fonctionne pas », dit-il. Pour rectifier le tir, le RATTMAQ demande depuis des années au gouvernement de délivrer des permis de travail sectoriels.

Quant à Mégane Boudou, elle a fait une croix sur son rêve du Québec. Rentrée en France, elle vient de décrocher un emploi en restauration.

« L’ambiance de travail est bonne, et le salaire correspond à trois fois ce qu’on m’offrait au Québec », dit-elle.