Chez Viandes Rheintal, le quartier de bœuf coûte environ 1100 $. Bien que cette somme puisse paraître considérable, l’entreprise qui se spécialise dans la transformation de viande biologique en vend beaucoup plus qu’avant, selon la propriétaire Guylaine Buecheli. Et elle n’est pas la seule.

Demi-porc, quartier de bœuf, agneau entier. La demande pour de grosses pièces de viande est en hausse depuis quelques mois, constatent plusieurs éleveurs et transformateurs, joints par La Presse, qui vendent directement à la ferme. Un souci d’économie et la volonté de remplir un congélateur acheté par plusieurs au début de la pandémie pourraient expliquer en partie ces changements dans la façon de consommer, analysent-ils.

« Je vends beaucoup plus de quartiers de bœuf et de porc », confirme Mme Buecheli, dont l’entreprise se situe à Bécancour, dans le Centre-du-Québec. Pour ses « gros formats », elle a enregistré une hausse de ses ventes oscillant entre 5 % à 7 %. Ces chiffres sont plutôt surprenants, reconnaît-elle. « On est quand même dans le haut de gamme. Et il faut le payer tout de suite, le montant », souligne-t-elle. « Il y a une économie à faire en fin de compte, ajoute-t-elle toutefois. Si on achète toutes ces pièces-là au détail, ça revient plus cher. »

À Saint-Cyprien-de-Napierville, en Montérégie, Laurie-Anne Généreux, copropriétaire de la ferme Les Bouchées doubles, note elle aussi une propension à acheter « du volume ». Elle calcule avoir deux fois plus de demandes pour de la carcasse depuis quelques mois. « Je remarque vraiment une hausse d’intérêt pour l’achat à la carcasse autant dans le veau que dans le porc et l’agneau. Les gens veulent vraiment acheter du gros volume parce que, au kilo, le prix est plus avantageux. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Laurie-Anne Généreux et Jean-Philippe Fortin, copropriétaires de la ferme Les Bouchées doubles

Selon elle, en achetant un animal entier, le filet mignon de veau peut revenir à 13 $ le kilo, comparativement à 50 $ le kilo dans certaines boucheries. Mme Généreux estime également qu’en faisant l’achat d’un porc entier — vendu à partir de 850 $ à sa ferme —, une famille composée de quatre personnes qui mange du porc en moyenne une fois par semaine aura de la viande dans son congélateur pendant un an.

Bien qu’il s’agisse d’une grosse somme à débourser au départ, Laurie-Anne Généreux assure que ses prix demeurent compétitifs par rapport aux supermarchés. « Avant l’inflation, on était un peu plus chers qu’à l’épicerie, reconnaît-elle. Depuis l’inflation, on n’a pas augmenté nos prix. On produit nous-mêmes notre foin. Il n’y a pas d’intermédiaire, à part l’abattoir. Ça nous permet de nous garder une certaine marge. On a préféré absorber la légère inflation. »

Les effets de la pandémie

En plus de l’inflation, qui pousse les consommateurs à trouver des façons de dépenser autrement, la pandémie, caractérisée par de nombreux problèmes d’approvisionnement, expliquerait cet engouement pour les quartiers de bœuf ou autre agneau entier.

« Pendant la pandémie, les gens vivaient avec la peur d’en manquer », rappelle Marie-Philippe Saint-Vincent, propriétaire de la ferme du même nom.

« Les gens ont un petit peu paniqué », a également noté Laurie-Anne Généreux. Au début de la pandémie, elle a senti beaucoup d’inquiétude chez certains consommateurs qui appréhendaient une pénurie d’aliments.

Selon les deux femmes, bon nombre de consommateurs qui ont pris l’habitude de se procurer un demi-bœuf — parfois partagés par plusieurs familles — ont continué de le faire.

Beaucoup de gens ont acheté des congélateurs pendant la pandémie. Même qu’à un moment donné, il n’y en avait plus sur le marché.

Carole Marcoux, copropriétaire de l’entreprise Le porc de Beaurivage

Chez Best Buy, par exemple, les ventes de congélateurs ont augmenté de 200 % entre 2019 et 2020, confirme Thierry Lopez, directeur du marketing. À l’époque, la Santé publique recommandait à la population d’éviter de faire de nombreuses sorties au supermarché.

Maintenant que les gens ont davantage d’espace pour entreposer, ils sont plus enclins à acheter en plus grande quantité, estime Mme Marcoux.

À Huntingdon, aux Fermes Valens, où l’on produit de la viande biologique, la directrice des ventes, Judith Fouquet, note elle aussi de nouveaux comportements chez ses clients, surtout en raison de l’inflation. Les produits que l’entreprise met en promotion trouvent preneurs en un temps record. Les filets de porc à prix réduits se sont envolés en deux jours, alors que normalement, les stocks s’écoulent au bout d’un mois, raconte-t-elle. Et au poulailler, les ventes d’œufs ont augmenté. « Les gens veulent aussi acheter des protéines moins dispendieuses. On remarque différents comportements qui sont tous liés à la même affaire. »