L’industrie de la construction doit se moderniser en récupérant les matériaux, parfois encore bons, sur les chantiers et cesser de les jeter simplement parce que c’est moins cher et plus efficace, affirme la FTQ-Construction dans un plan de transition présenté à ses membres et accepté à l’unanimité. Des solutions appuyées par Équiterre, Greenpeace et Recyc-Québec.

Avec 1,3 million de tonnes de déchets par année, l’industrie de la construction du Québec est en train d’ériger des villes entières dans les sites d’enfouissement.

Que ce soit sur les grands chantiers ou quand vous rénovez votre cuisine, par souci d’efficacité et pour limiter des coûts, les entrepreneurs vont démolir, jeter et reconstruire avec des matériaux neufs, et même en gaspiller.

Les résidus de CRD (construction, rénovation, démolition) ont augmenté de 40 % de 2011 à 2020.

« Le plan répond à des malaises que les travailleurs vivent dans leur pratique de tous les jours », affirme en entrevue Philippe Lapointe, conseiller aux communications à la FTQ-Construction, qui représente 85 000 membres travailleurs de l’industrie. « Il y a beaucoup de craintes face au gaspillage de matériaux sur les chantiers et les membres ont été rassurés et soulagés de voir qu’il existe des solutions. »

Le plan du syndicat vise à changer l’industrie de la construction en prévoyant une façon de construire durable dès la conception des bâtiments. « Plutôt que d’opter pour du “prêt-à-démolir”, il faut former le patronat, les concepteurs, les ingénieurs, les architectes à intégrer une vision durable de la construction et former aussi les employés qui les bâtiront », explique-t-il.

Greenpeace, qui a eu des mésententes par le passé avec le syndicat, a été agréablement surpris de constater la profondeur de la réflexion de la FTQ-Construction.

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Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

Historiquement, ce syndicat n’avait pas comme priorité les changements climatiques. Je vois qu’il y a un virage majeur qui s’est opéré. C’est une super bonne nouvelle. La FTQ-Construction a adopté les bases de ce qui pourrait accélérer le genre de révolution dont on a besoin dans le bâtiment.

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

Équiterre appuie aussi ce genre d’initiative dans un contexte de pénurie de matériaux, où l’économie circulaire peut être une des solutions. « Ça démontre que les enjeux environnementaux ne restent plus dans le sillon de l’environnement », indique de son côté Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales.

La solution Brique Recyc

Réutiliser 100 % des briques sur un chantier est loin d’être une utopie. La solution existe. Elle a été inventée au Québec en 2021 par Maçonnerie Gratton et fait épargner temps et argent.

« On jette de bons matériaux aux ordures, parce que c’est plus payant, ça n’a pas de bon sens », indique Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton et vice-président de l’Association des entrepreneurs en maçonnerie du Québec.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Machine Brique Recyc

La machine Brique Recyc fonctionne si bien que la France, avec une pénurie de briques et des règlements stricts, se l’arrache. Une entreprise américaine souhaite obtenir le contrat de distribution pour les États-Unis, tandis qu’ici, Maçonnerie Gratton et Atwill Morin l’utilisent pour des chantiers au Québec et en Ontario.

« Jour après jour, je voyais qu’on mettait de la brique de haute qualité et en bon état dans des conteneurs à déchets pour reposer de la brique neuve trouée qui n’a que 3 pouces ½ au lieu de 4 », explique Tommy Bouillon.

La machine peut être montée dans les échafaudages. Elle permet de déconstruire un mur, de récupérer les briques, de les nettoyer et de reconstruire le mur, et ce, même dans des rues exiguës, avec quatre employés plutôt que cinq.

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Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton

Les villes de la planète entière sont constituées de briques. On a un entrepôt d’argile sur nos murs. Pourquoi aller faire des mines à ciel ouvert gigantesques ? Les villes doivent mettre des règles qui incitent à la décarbonation des bâtiments.

Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton

Selon les calculs de Maçonnerie Gratton, en utilisant 30 machines 200 jours par année, le Québec pourrait nettoyer 4,8 millions de briques par an. « Ce qui ferait baisser le bilan carbone pour le bâtiment de 185 000 tonnes de CO2 annuel. »

Solutions testées

Le laboratoire d’accélération en économie circulaire du secteur de la construction du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) de l’École de technologie supérieure (ÉTS) est en train de tester des solutions avec 14 projets, dont la rénovation d’un duplex à Montréal, la récupération de portes et fenêtres changées dans le résidentiel et le commercial ainsi que la déconstruction d’un bâtiment en Gaspésie.

« C’est comme si les bâtiments étaient des produits jetables, dans le fond, constate Hortense Montoux, chargée de projet du lab construction. Les matériaux ne sont pas assemblés en fonction de pouvoir les désassembler pour les réemployer. »

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Hortense Montoux, chargée de projet au CERIEC

Les bâtiments ne sont pas conçus pour être démontés à la fin de leur vie. On veut aller vite et on prévoit qu’ils seront démolis.

Hortense Montoux, chargée de projet au CERIEC

La chercheuse note plusieurs freins à la réutilisation des matériaux, notamment la réglementation. Elle salue le plan de la FTQ-Construction, car les acteurs de terrain sont un levier, dit-elle, « pour transférer les connaissances qu’on est en train de générer avec nos projets ».

Recyc-Québec soutient aussi toutes les initiatives de réutilisation et de revalorisation des matériaux. Les travaux de l’un de ses comités vérifient si les pratiques de tri à la source sur les chantiers, d’intégration de matières recyclées ou de développement de marchés potentiels de réemploi pourraient être améliorées. En avril 2021, de l’aide financière a été accordée pour l’adoption de meilleures pratiques de tri à la source du bois.

Les changements climatiques et leurs épisodes de chaleur extrême ont des effets sur les travailleurs de la construction. « On ne veut pas être à la remorque. On doit s’adapter et on veut être prêts », conclut Philippe Lapointe, de la FTQ-Construction.

Quelques solutions proposées dans le plan de transition de la FTQ-Construction

• Fin du règlement du plus bas soumissionnaire

• Inclusion de critères d’économie circulaire dans les contrats publics

• Incitatifs financiers pour encourager l’utilisation de matériaux recyclés

• Assujettissement de la rénovation à la loi R-20 (Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction) pour assurer la compétence de la main-d’œuvre qui exécute les travaux

• Mesure fiscale sur la quantité de déchets produits durant le chantier de construction et envoyés au lieu d’enfouissement