Après avoir été témoin de nombreux anniversaires, de repas en tête à tête et de dîners d’affaires, Le Goût du large, l’unique restaurant de Natashquan ouvert à l’année, servira ses derniers repas le 30 septembre.

Ceux qui habitent le mythique village du poète et chanteur Gilles Vigneault, situé sur la Côte-Nord, devront parcourir 150 km s’ils souhaitent s’attabler avec famille et amis à l’extérieur de leur résidence. Le restaurant le plus près se trouve en effet à Havre-Saint-Pierre.

Une employée à la plonge âgée de 71 ans, une seule cuisinière pour préparer les plats, des étudiants venus prêter main-forte pendant l’été, mais qui ont récemment délaissé la salle à manger pour retourner sur les bancs d’école, des postes affichés qui n’attirent aucun candidat. Voilà ce qui a forcé les trois propriétaires du Goût du large, qui se disent « complètement dépassées » par la combinaison de leurs tâches administratives, du service aux tables et de la cuisine, à fermer définitivement le restaurant dans un mois. Une décision prise « à contre-cœur », assure au bout du fil Marina Landry, l’une des trois femmes à la tête du principal lieu de rencontre des résidants de Natashquan. Il y a bien le café L’Échouerie, mais il n’est ouvert que pendant la saison estivale, précise Mme Landry.

La nouvelle de la fermeture a été annoncée à la mi-août dans Le Portageur, un journal local. Le restaurant, toujours ouvert, était en vente depuis l’automne 2019. Mais comme aucun acheteur ne s’est manifesté après toutes ces années, on a décidé de mettre la clé sous la porte. Définitivement.

« De ne plus avoir de restaurant du tout, je n’aurais jamais pensé qu’on en viendrait à ça », reconnaît la propriétaire âgée de 58 ans, originaire de l’endroit. Mais voilà que la petite équipe de six personnes, dont l’âge moyen est de 64 ans, manque de souffle et doit se résigner à fermer un lieu de rassemblement qui manquait cruellement de bras, mais certainement pas de clients, assure-t-elle. La rentabilité était au rendez-vous.

Que fera maintenant la population de 277 habitants si elle souhaite se réunir et se divertir à Natashquan ? « Je ne pourrais pas dire, répond Mme Landry avec hésitation. C’est sûr que c’est tranquille. Les gens vont peut-être se rassembler dans les maisons autour d’un café. »

PHOTO FOURNIE PAR CENTRIS.CA

La salle à manger du restaurant, situé sur la berge de la Petite Rivière Natashquan (visible à l’arrière)

Retour en arrière. Le trio, composé de Mme Landry et de deux de ses amies, a fait l’acquisition du restaurant en 2015. C’est une famille, avant elles, qui était aux commandes depuis 1998. Lorsqu’elles ont pris possession du Goût du large – spécialisé dans les poissons et les fruits de mer –, les trois femmes accueillaient leurs clients du matin au soir, sept jours sur sept. « C’est ce qu’on voulait, raconte Marina Landry. C’est la vocation qu’on souhaitait donner au restaurant. »

Avec les années, le manque d’effectifs a commencé à se faire sentir. Elles ont cessé d’offrir des déjeuners, se sont résignées à fermer la fin de semaine et à fonctionner avec un horaire réduit. Puis, depuis le début de l’été, on ne sert plus de repas le lundi.

Au début de l’aventure, Le Goût du large comptait jusqu’à 14 employés pendant la haute saison. « On avait plein de projets », indique la propriétaire avec une pointe de déception dans la voix. L’aménagement d’une terrasse pour permettre aux clients du restaurant, situé aux abords de la Petite Rivière Natashquan, de profiter pleinement du paysage et la construction d’un quai pour accueillir les gens se promenant en kayaks faisaient partie des plans.

Du côté de la Corporation municipale de Natashquan, le directeur général, Denis Landry, se désole de la fermeture de ce restaurant qui compte une soixantaine de places. « Un resto qui ferme dans Hochelaga-Maisonneuve va être remplacé par plusieurs autres », donne-t-il en exemple pour expliquer la situation particulière de Natashquan, où il n’y a qu’un seul établissement de ce genre.

La dévitalisation, on en vit les contrecoups présentement, ajoute-t-il. C’est révélateur d’une situation plus critique à venir.

Denis Landry, directeur général de la Corporation municipale de Natashquan

« À l’époque, on avait l’église, la caisse populaire et le restaurant. Maintenant, ce qu’il reste de lieu de rassemblement dans une communauté, c’est le restaurant, ajoute pour sa part Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec (ARQ). Dans ce cas-ci, c’est un lieu important qui se perd. »

Une relève ?

À quelques semaines de la fermeture, Marina Landry continue d’entretenir l’espoir que des acheteurs se manifestent pour assurer la survie de l’endroit qui sert, en plus de la population locale, un nombre grandissant de touristes. « C’est difficile d’inviter des gens chez vous si tu n’es pas capable de leur offrir à manger. »

« Je souhaite juste qu’une équipe de jeunes dynamiques débarquent ici et le fassent fonctionner, dit-elle. J’ai espoir. Je me dis que c’est impossible que cette entreprise-là ne soit pas reprise. Tu achètes une valeur sûre. Ça fonctionne bien, mais ça prend de l’énergie, beaucoup d’énergie. »

Jusqu’à maintenant, y a-t-il lieu de penser que des acquéreurs potentiels se présenteront à la porte ? « Pour le moment, il ne se passe pas grand-chose… j’avoue. »