Une guerre de clocher et de grandes inégalités. Voilà ce qu’appréhendent des associations de commerçants qui craignent que Québec adopte au lendemain des élections une nouvelle mouture du projet de loi 44, donnant aux villes la responsabilité de décider des heures d’ouverture des magasins situés sur leur territoire.

Déposé en juin, tout juste avant la fin des travaux parlementaires, le projet de loi — mort au feuilleton — a ramené à l’avant-plan tout le débat entourant les horaires des commerces et un retour possible à une fermeture le dimanche.

« Ça ne tient pas debout », lance sans détour Linda Goulet, présidente des magasins Chaussures Panda, interrogée au sujet du projet de loi. « Il faut que ça soit une loi provinciale, pas municipale, soutient-elle. Sinon, on va avoir de la compétition entre les villes. Ça va être la guerre à couteaux tirés. Quand tu as un réseau avec une vingtaine de magasins, tu gères ça comment ? »

« Si le gouvernement donne ça aux villes, j’ai une petite crainte que ça crée des iniquités régionales », croit aussi Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts. « La seule chose que le gouvernement ne doit pas faire, c’est de créer des iniquités, comme c’est arrivé avec le passeport vaccinal où seuls les magasins de 1500 mètres carrés étaient tenus de l’imposer. Les heures d’ouverture doivent être les mêmes pour tout le monde. »

Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) s’oppose également à cette idée en rappelant notamment que la gestion des heures d’ouverture et des horaires représente déjà un casse-tête pour les détaillants en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

« Techniquement, on pourrait avoir quelque 1000 municipalités qui diraient le dimanche, on ferme, dans d’autres cas, ça serait le lundi, ajoute pour sa part Michel Rochette, président pour le Québec du CCCD. Le projet de loi 44 ferait en sorte qu’il y aurait tous les jours le risque d’une tuile sur telle région, telle ville, tel commerce, tel type de secteur. »

Ça affecterait notamment la capacité des jeunes de pouvoir travailler la fin de semaine. Si, dans une ville X, il ne peut pas travailler le dimanche, il pourrait décider d’aller travailler ailleurs dans un autre secteur.

Michel Rochette, président pour le Québec du CCCD

Le projet de loi 44 vise à « alléger le fardeau réglementaire et administratif ». Plus spécifiquement, l’article 4.2 indique qu’« une municipalité locale peut, par règlement, pour tout établissement commercial situé sur son territoire, prévoir des heures et des jours d’admission différents de ceux déterminés par règlement en vertu de l’article 4.1. Ces heures et ces jours peuvent varier en fonction de la période de l’année ou des établissements qui y sont visés ou de la partie du territoire de la municipalité concernée ».

« Chaque ville a le droit de faire ce qu’elle veut avec tout commerce par voie réglementaire », résume M. Rochette. Bien que ce projet de loi n’ait pas été adopté, son dépôt envoie toutefois un « message clair », estime-t-il.

« Il n’a pas été déposé en juin pour rien, c’était pour envoyer un signal. » Dans ce contexte, le CCCD, la veille de la campagne électorale québécoise, a entamé une série de rencontres avec les différents partis politiques pour leur signifier clairement qu’il estimait que ce projet n’avait « pas de bon sens ».

« Cette réalité-là de transférer à 1000 municipalités le pouvoir de décider des heures d’ouverture, c’est inacceptable, insiste Michel Rochette. On a mentionné aux partis politiques que c’était un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. »

Les municipalités applaudissent

De son côté, l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui a applaudi le dépôt du projet de loi, ne partage pas l’avis et les craintes des commerçants. « On prône l’autonomie municipale, rappelle Patrick Lemieux, porte-parole de l’UMQ. Le projet de loi rejoignait les demandes qu’on avait formulées. »

Il assure que les 1110 municipalités de la province vont appliquer les règles d’ouverture « avec discernement ». « Ça ne se fera pas sans tenir compte des réalités locales, assure M. Lemieux. Les municipalités sont en relation directe avec leurs commerçants. »

« L’idée d’allouer davantage de flexibilité aux municipalités afin de prolonger les heures d’ouverture légales des commerces est certainement intéressante », avait pour sa part déclaré Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), dans un communiqué de presse diffusé en juin. « Le cadre actuel, avec des heures légales établies à la grandeur du Québec, est rigide et ne permet que quelques exceptions pour des secteurs touristiques ou dans le cadre d’évènements ponctuels. »

« Dans tout débat sur les heures et jours d’ouverture des commerces, nous comptons défendre les droits des entrepreneurs : aucun recul sur les heures légales ne doit être permis, que ça vienne du gouvernement du Québec ou des municipalités », a-t-il également précisé.

Débat sur les heures d’ouverture

Chose certaine, le dépôt du projet de loi 44 ranime le débat sur les heures d’ouverture. Si les avis sont mitigés sur la façon dont il faut gérer les horaires, notamment en ce qui concerne la fermeture des commerces le dimanche, tous s’entendent pour dire que des consultations doivent avoir lieu.

« On est ouvert à avoir une discussion, mais il faut vraiment mesurer l’ensemble des impacts et ne pas le faire sur le coin de la table », affirme Jean-Guy Côté, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD).

« On aimerait avoir une discussion préalable avant que ça revienne sur le tapis. C’est un enjeu qui est plus large que juste donner ça aux municipalités, ajoute-t-il. Tu ne fais pas ça avec deux-trois amendements dans un projet de loi sur l’allégement réglementaire. Il y a une loi sur les heures d’ouverture. Si tu veux la réviser, assis tes partenaires et discute avec eux. »