(Stephenville) Le Canada et l’Allemagne affirment qu’un nouveau pacte d’approvisionnement en énergie verte lancera une chaîne d’approvisionnement transatlantique en hydrogène, les premières livraisons étant attendues dans trois ans seulement.

Le premier ministre Justin Trudeau et le chancelier allemand Olaf Scholz ont signé mardi l’accord dans la ville portuaire de Stephenville, à Terre-Neuve-et-Labrador, où ils ont assisté à un salon de l’hydrogène.

L’entente de cinq pages est une « déclaration d’intention » pour créer une alliance sur l’hydrogène entre les deux pays.

Le Canada sera en grande partie responsable de l’augmentation de la production d’hydrogène et l’Allemagne se concentrera principalement sur un corridor maritime pour le transporter à travers l’Atlantique.

Bien que la Russie ne soit pas nommée dans l’accord, le pacte porte autant sur l’énergie que sur l’envoi d’un message au président Vladimir Poutine que l’ère de son pays en tant que superpuissance énergétique mondiale est en danger.

L’Allemagne cherche d’autres formes d’énergie à long terme afin de remplacer les combustibles fossiles, à la fois pour respecter ses engagements climatiques et lui permettre de mettre fin à sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a affirmé mardi en entrevue qu’il ne fait aucun doute que cet accord survient maintenant à cause de Vladimir Poutine et de l’invasion en Ukraine.

« Nous allions de toute façon avoir ces conversations sur l’hydrogène à cause de la transition énergétique, mais nous n’allions pas les avoir aussi rapidement », a-t-il déclaré.

« Presque tous les projets que nous voyons au Canada atlantique ont vraiment vu le jour à la suite de l’invasion. Cela fait partie d’une stratégie pour les Allemands – et finalement toute l’Europe – de dire : ‟Nous n’allons plus dépendre de la Russie". »

Les deux gouvernements sont conscients que cet accord ne résoudra pas le désir immédiat de l’Allemagne de se sevrer du pétrole et du gaz russes, une nécessité étant donné la menace posée par la guerre en Ukraine à la sécurité énergétique européenne.

« Bien avant 2030 »

Bien que le Canada ne produise actuellement presque pas d’hydrogène qui correspondrait aux objectifs de l’accord, les deux pays pensent qu’un nouveau corridor commercial d’hydrogène peut être opérationnel « bien avant 2030 » et que les premières livraisons sont possibles en 2025.

Cela exige que les projets canadiens soient examinés et obtiennent des permis, qu’ils soient construits et produisent du carburant, et que des options d’expédition réalisables soient mises en place au cours des trois prochaines années.

L’accord ne précise pas la quantité d’hydrogène que le Canada et l’Allemagne pensent pouvoir expédier d’ici là.

« C’est absolument ambitieux, mais une partie des objectifs fixés est que vous devez être ambitieux pour forcer l’action », a reconnu M. Wilkinson.

La signature de l’accord a eu lieu à Stephenville, puisqu’une entreprise locale projette de construire une usine de production d’hydrogène sans émission de gaz à effet de serre, et que la municipalité accueille une foire commerciale cette semaine.

Le maire de la ville, Tom Rose, a déclaré en entrevue qu’à ses yeux, l’endroit et les infrastructures déjà existantes en font le lieu parfait pour un tel projet. Il croit que la région pourrait bien devenir « le pôle de l’énergie verte en Amérique du Nord ».

Le ministre Wilkinson a déclaré que les projets qui utilisent l’énergie éolienne terrestre ont un délai plus court que l’éolien en mer, mais a reconnu que la production initiale serait assez faible.

« Je pense qu’il est raisonnable de dire que nous pouvons y arriver d’ici trois ans, mais si nous n’atteignons pas 2025 et que nous sommes en 2026, en fixant 2025, c’est toujours un objectif assez ambitieux », a-t-il avancé.

Il faudra également du temps pour que la demande allemande s’intensifie, a déclaré M. Wilkinson. Cela nécessitera des changements d’infrastructure, comme des améliorations de la tuyauterie dans les maisons pour utiliser l’hydrogène pour le chauffage.

« Bleu » versus « vert »

L’Allemagne a une préférence marquée pour l’hydrogène « vert », qui est produit en divisant les molécules d’eau à l’aide d’une électrolyse alimentée par des énergies renouvelables.

Mais le Canada cherche également à produire de grandes quantités d’hydrogène « bleu », du type dérivé du gaz naturel, mais avec des émissions de dioxyde de carbone, emprisonnées par la capture de CO2 et stockées sous terre.

À l’heure actuelle, presque tout l’hydrogène produit au Canada – environ 3 millions de tonnes en 2020 – est fabriqué à partir de gaz naturel sans technologie de capture du carbone. Ce type d’hydrogène est appelé « gris ».

L’Allemagne n’interdit pas l’hydrogène bleu, mais n’y consacrera pas d’argent public. Cela dit, la majeure partie de l’hydrogène bleu du Canada proviendra de l’Ouest canadien, et l’expédier en Europe n’est pas plus faisable que d’acheminer du gaz naturel de l’Alberta et de la Colombie-Britannique vers l’Europe.

Tout hydrogène bleu exporté de l’Ouest canadien cherchera à atteindre les marchés américains ou asiatiques.

L’accord comprend une exigence pour les deux pays de développer une méthode convenue d’un commun accord pour définir « l’hydrogène propre, à faible émission de carbone et renouvelable ».

Mais il est soigneusement élaboré pour noter la préférence de l’Allemagne pour l’hydrogène vert tout en reconnaissant le désir du Canada que les deux types soient inclus.

Le Canada a l’intention de s’appuyer sur les programmes de financement existants, y compris le Fonds pour les carburants propres de 1,5 milliard de dollars, mais mettra des fonds supplémentaires sur la table en cas de besoin, a déclaré le ministre Wilkinson.

Partenaire de choix

S’exprimant en matinée à l’occasion d’un forum d’affaires Canada-Allemagne à Toronto, Justin Trudeau a déclaré que le Canada se tenait aux côtés de ses alliés européens en augmentant l’approvisionnement énergétique mondial alors que la Russie continue d’armer ses exportations de combustibles fossiles.

« Il n’a jamais été aussi clair pourquoi nous devons accélérer la transition verte, a indiqué M. Trudeau. Et vous ne devriez avoir aucun doute que le Canada a ce qu’il faut pour être un fournisseur d’énergie propre dans un monde [zéro émission nette]. »

M. Scholz a déclaré que le Canada est le partenaire de choix de l’Allemagne pour que le pays cesse de dépendre de la Russie en matière d’énergie.

« Cela signifie augmenter nos importations d’énergie. Nous espérons que l’énergie canadienne jouera un rôle majeur à cet égard », a soutenu M. Scholz.

« Mais la tâche à accomplir est bien plus importante que la simple diversification de notre approvisionnement énergétique. Pour nous, ce qui nous attend n’est rien de moins que la plus grande transformation de notre économie, de nos infrastructures et de notre mobilité depuis le début de la révolution industrielle. »

M. Scholz a indiqué que son pays visait à devenir neutre sur le plan climatique d’ici 2045, tout en restant un pays industrialisé de premier plan au monde.

Le chancelier Scholz et le vice-chancelier Robert Habeck, qui est responsable des dossiers de l’énergie, prennent part à une tournée de trois jours au Canada cette semaine.