Le déménagement de l’agence de communication marketing Cossette de ses grands bureaux au 17étage d’un édifice montréalais dans des espaces de cotravail (coworking) non loin, il y a quelques mois, a frappé l’imaginaire. D’autres entreprises du centre-ville vont-elles lui emboîter le pas, alors que les directions remettent en question leur modèle de travail depuis le début de la pandémie ?

Les lieux de cotravail ne font pas la joie que des jeunes pousses et petites technos. IBM l’a confirmé il y a quelques années en s’installant, jusqu’en 2020, à une adresse new-yorkaise de WeWork.

Au Québec, alors que la pandémie redéfinit les règles de la flexibilité au travail jusqu’à remettre en question la location à long terme d’espaces dans des tours de bureaux, Cossette a changé d’univers et fait un saut dans la constellation WeWork. En novembre 2021, l’antenne montréalaise de l’agence quittait ses 86 000 pieds carrés d’espaces pour 35 000 pieds carrés sur un étage entier, rue Sainte-Catherine Ouest.

« Le bail arrivait à échéance, raconte Louis Duchesne, président, Québec et Est canadien. On devait décider de renouveler ou pas. On a profité de la COVID pour se questionner sur le travail à distance. »

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Louis Duchesne, président, Québec et Est canadien, chez Cossette

On s’est dit que ce serait une belle opportunité de choisir un espace collaboratif en guise d’expérimentation. On ne pouvait prédire comment allait changer notre façon de travailler. Allons apprendre sans nous engager en signant un bail de 10 ans.

Louis Duchesne, président, Québec et Est canadien, chez Cossette

L’agence a amené à sa suite ses 500 employés dans des bureaux qui lui sont spécialement destinés. Cossette a son propre étage. « Les autres membres WeWork ne peuvent travailler à notre étage, mais nous pouvons aller dans les autres espaces, confirme Louis Duchesne. Ce n’est pas une pure solution de coworking. C’est ce qui nous a allumés. C’était plus ou moins envisageable d’aller dans un endroit essentiellement collaboratif. On sentait le besoin d’avoir notre maison. »

Un tel déménagement peut être associé à une perte de prestige… « On a pensé à ça, admet Louis Duchesne. Mais on est en 2022. La pandémie a été un accélérateur des valeurs importantes en entreprise. Pour offrir une expérience intéressante aux employés, on ne peut plus juste se définir dans un espace de bureaux. Même la haute direction n’a pas de bureau assigné. L’idée est de choisir son espace selon les tâches à accomplir, quand on vient au bureau. »

Les règles ont changé

La COVID-19, main dans la main avec la crise de la main-d’œuvre, a bousculé les désirs et les priorités des employés et forcé les entreprises à remettre en question leur lieu de travail. Le camion de déménagement s’invite désormais dans la réflexion ! « On a vendu certains meubles et œuvres d’art aux employés, on en a donné d’autres à des organismes, à des encans, on a emporté certaines pièces avec nous », énumère Louis Duchesne.

D’autres entreprises de taille suivront-elles ? « Je doute que des entreprises majeures fassent un tel saut à long terme, répond Mathieu Turnier, associé principal de l’agence immobilière commerciale Colliers. Mais la demande de flexibilité va augmenter. En ces temps incertains, la plupart des entreprises y pensent pour une solution à court terme, car elles n’ont pas besoin de faire des travaux, meubler, câbler. Le cotravail offre tous les services clés en main, alors que les coûts de construction ont explosé. »

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Mathieu Turnier, associé principal chez Colliers

Actuellement, peu d’organisations sises au centre-ville de Montréal mettent la clé sous la porte. « Ça s’est stabilisé au dernier trimestre, dit Mathieu Turnier. On voit plus des entreprises qui ne reprennent pas tous leurs pieds carrés ou qui réaménagent leur espace actuel. Les tours de bureaux sont plus vides qu’auparavant, mais c’était le cas avant la pandémie. »

Cap sur les banlieues

Si rares sont les directions qui adoptent la formule Cossette (et ses agences sous l’ombrelle de Plus Compagnie), beaucoup pensent ouvrir des bureaux satellites dans des espaces de cotravail en banlieue pour se rapprocher de leurs employés.

« Des entreprises plus traditionnelles nous appellent depuis le début de la pandémie, constate Francis Talbot, fondateur de Montréal CoWork. Mais on doit les éduquer. Certaines s’attendent à payer moins. Or, c’est souvent plus cher le pied carré, mais elles payent pour la flexibilité. On peut réduire ou augmenter l’espace chaque année. »

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L’espace de cotravail de 2C2B Coworking, à Boisbriand

Pendant ce temps, les espaces pour bureaux se multiplient autour de Montréal. Selon Colliers, à Brossard, 500 000 pieds carrés d’espaces pour bureaux ont poussé depuis la fin de 2020. Seulement à l’Espace Montmorency à Laval, la superficie neuve s’élève à 300 000 pieds carrés.

En matière de cotravail, à elle seule, l’entreprise 2C2B Coworking, qui offre déjà des espaces à Boisbriand, compte ajouter cinq étages d’espaces à Mascouche, à l’automne. « La prochaine étape sera d’ouvrir sur la Rive-Sud à cause du chantier de trois ans du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, explique la directrice principale Cassy Baillargeon. On veut offrir des pôles Rive-Nord – Rive-Sud aux entreprises. »

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Olga Belkin, Cassy Baillargeon (au centre) et Guillaume Beaudin de 2C2B Coworking

« La quête de bureaux satellites est une tendance venue de l’étranger, explique Olga Belkin, stratège en communication, développement des affaires, de 2C2B. Des agents immobiliers américains nous ont contactés, car ils cherchaient des bureaux satellites en cotravail pour de grandes équipes. La banlieue, près des résidences des employés, les intéresse. C’est ainsi plus facile de recruter. Les très grandes entreprises vont motiver cette tendance : 95 % de celles du Fortune 500 ont des bureaux décentralisés. »

Selon la baladoémission américaine Everything Coworking, il y a une explosion des espaces flexibles en banlieue, indique Cassy Baillargeon. « À Montréal, actuellement, on est à moins de 1 %, affirme-t-elle. Aux États-Unis, avant la pandémie, c’était déjà à 5 %. »

« Notre proposition est complémentaire, ajoute Olga Belkin. Mais les petits espaces offerts présentement en banlieue ne conviennent pas aux grandes entreprises. Parallèlement, en 2021, j’ai lancé l’idée de tester un bureau satellite à plusieurs PDG. Dans des domaines plus traditionnels, on voit plus de rigidité. On sait pourtant que le monde est en changement, qu’on a besoin d’être agile. »

Cossette pourrait rester chez WeWork très longtemps, de l’avis de son président. « Mais la beauté, c’est la flexibilité, dit Louis Duchesne. C’est utopique de signer un bail ferme de 15 ans de nos jours. »