Dans les supermarchés du pays, le prix d’un contenant de deux litres de lait 2 % et celui des boissons de soja, d’amande ou d’avoine du même format sont pratiquement équivalents, révèle le Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, dans un rapport qui sera publié cette semaine. À prix équivalents, bien des consommateurs pourraient pencher pour l’option de rechange au lait, selon Jordan LeBel, professeur titulaire de marketing alimentaire à l’Université Concordia.

« C’est un pour un dans le prix, je pense que ça va favoriser les boissons alternatives, soutient l’expert. La tendance lourde veut que si c’est alternatif, c’est meilleur. L’alternatif jouit d’une aura ‟meilleur pour toi”, ‟meilleur pour la planète”. Par comparaison, le lait fait face à plein de critiques et d’associations sur l’empreinte carbone, sur la maltraitance des animaux. »

À noter que la Commission canadienne du lait (CCL) a récemment recommandé une hausse du prix du lait à la ferme de 2 cents le litre, soit 2,5 %, à partir du 1er septembre. Il s’agit de la deuxième augmentation cette année. La CCL avait également donné son aval en début d’année à une hausse de 8,4 %. Celle-ci est entrée en vigueur le 1er février.

À l’autre bout de la chaîne, le prix du lait affiché dans les réfrigérateurs des supermarchés est déterminé au Québec par la Régie des marchés agricoles. Des audiences à ce sujet se tiendront vendredi. Les consommateurs pourraient donc avoir une fois de plus à payer davantage. Le prix du lait au détail varie d’une province à l’autre.

Ce que dit le rapport ?

Premier constat : en épicerie, les clients ont le choix entre deux types de produits dont le prix est comparable, et ce, dans dix provinces du Canada. Aux fins de comparaison, les chercheurs ont analysé le coût d’un carton de deux litres de lait 2 % avec des formats équivalents pour les boissons végétales entre janvier et juin 2022. Les produits biologiques n’ont pas été pris en considération. Au Québec, par exemple, le lait s’est vendu en moyenne au cours des six premiers mois de l’année 4,44 $, contre 4,34 $ pour les boissons végétales. Il s’agit de l’un des endroits au pays où les boissons de substitution se vendent le moins cher.

En combinant les résultats de toutes les provinces, le lait se vend 5 % moins cher que les produits laitiers de substitution.

Extrait du rapport du Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie

En supermarché, le prix du lait a connu une hausse de 25 % au Canada depuis janvier, alors que celui des boissons de soja et autres a augmenté de 31 %, a-t-on également constaté.

Ces conclusions surprennent le directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois. « Pour les produits alternatifs, j’ai de la misère à comprendre pourquoi on suit la même courbe que le lait, reconnaît-il. Ça me surprend parce que l’une de ces catégories [le lait] est lourdement influencée par un mécanisme de fixation de prix au fédéral et au provincial, dans le cas du Québec. »

Ainsi, il s’attendait à ce que les boissons de soja, par exemple, affichent un prix nettement inférieur. Contrairement à Jordan LeBel, M. Charlebois ne croit pas que cette quasi-égalité fera passer les consommateurs d’une catégorie à l’autre.

L’industrie du lait

Ces résultats surprennent également le Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ), mais pour des raisons différentes de celles évoquées par le directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire. « Les chiffres qui sont là me surprennent un peu. Je pensais que les produits substituts étaient plus chers que le lait, ça ne semble pas être le cas », indique Charles Langlois, président-directeur général du CILQ. « Les prix sont pas mal nez à nez. Ultimement, c’est aux consommateurs de choisir », ajoute-t-il.

Pour le moment, il ne croit pas que les ventes de lait souffriront de cette égalité entre les prix, mais reconnaît tout de même qu’il y a de la compétition.

Oui, ça nous préoccupe. On sait très bien que la consommation baisse. C’est sûr que plus il y a d’offres, plus il y a de la compétition. Mais en général, on nous conseille de prendre les produits les moins transformés. Le lait a un avantage que les autres n’ont pas.

Charles Langlois, président-directeur général du Conseil des industriels laitiers du Québec

« Selon nos données, le lait demeure avantageux et compétitif, ajoute François Dumontier, directeur communications et affaires publiques pour les Producteurs de lait du Québec. L’ensemble du secteur alimentaire et agricole subit des hausses de coûts. Malgré tout, l’engouement pour les produits laitiers demeure. »

Les boissons de substitution

Les hausses du prix du lait au détail – dont l’une pourrait survenir à l’automne au Québec – joueront en faveur des boissons de soja, d’amande et d’avoine si elles sont produites localement, soutient pour sa part Ignace Daher, vice-président ventes et marketing d’Aliments Natura, entreprise située à Saint-Hyacinthe. « En théorie, l’augmentation du prix du lait devrait jouer automatiquement en faveur des boissons végétales depuis qu’elles sont devenues une alternative sérieuse au lait », a-t-il écrit dans un courriel envoyé à La Presse alors qu’il était à l’étranger.

« Or, les facteurs responsables de l’augmentation des prix affectent autant les boissons végétales que le lait, mais à quelques détails près, la pression est moins élevée sur le prix quand elles sont faites localement et avec des ingrédients locaux comme le soja et l’avoine. »

Il ajoute néanmoins que son entreprise a peu de contrôle sur le prix affiché au détail.

N’oublions pas que le prix des boissons végétales n’est pas légiféré. Donc les détaillants font ce qu’ils veulent pour le prix de nos boissons, contrairement au lait.

Ignace Daher, vice-président ventes et marketing d’Aliments Natura

Réhabiliter la vache

Pour Jordan LeBel, la forte présence des boissons végétales et la hausse possible du prix du lait ont de quoi inquiéter les producteurs. « Oui, il y a des changements, ça brasse. Si tu es un industriel laitier, il faut que tu te demandes comment placer tes pions pour faire face à ça. »

Il souligne que la vache est devenue l’emblème de « tout ce qui va mal en agriculture aujourd’hui ». « La vache qui pète, la vache qui est maltraitée », illustre-t-il.

« Et l’un des bénéfices, c’est que les consommateurs se disent [qu’en boudant le lait], ils n’endossent pas la mauvaise vache, la vache qui détruit la planète. Par contre, les consommateurs ne voient pas les ravages de l’industrie de l’amande en Californie, qui est en train d’assécher les cours d’eau. Il n’y a pas un choix alimentaire qui est à zéro empreinte en ce moment », tient-il toutefois à rappeler.