Alors que la facture d’épicerie s’alourdit, sans que les consommateurs puissent toujours en connaître les raisons, la Commission canadienne du lait (CCL) pourrait faire preuve de plus de transparence pour justifier les hausses de prix auxquelles elle consent, soutiennent des acteurs de l’industrie.

La ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, a même cru bon de faire un rappel à l’ordre en ce sens à la Commission. « Je vous demande d’assurer le leadership nécessaire afin que la CCL, dans le respect de son mandat, réponde aux priorités suivantes : examiner le processus décisionnel de la CCL concernant l’établissement des prix du lait et assurer une communication plus claire et transparente auprès des consommateurs canadiens et des autres intervenants du secteur laitier », a-t-elle écrit en juin, dans une lettre de mandat envoyée à la présidente de la CCL, Jennifer Hayes.

L’organisme gouvernemental, qui réglemente le prix du lait à la ferme, a recommandé la semaine dernière une hausse de 2 cents le litre, soit 2,5 %, à partir du 1er septembre. Il s’agit de la deuxième augmentation cette année. La CCL avait également donné son aval en début d’année à une hausse de 8,4 %. Celle-ci est entrée en vigueur le 1er février. À l’autre bout de la chaîne, le prix du lait affiché dans les réfrigérateurs des supermarchés est déterminé au Québec par la Régie des marchés agricoles. Des audiences à ce sujet se tiendront d’ailleurs en juillet. Le coût des produits laitiers comme le yogourt n’est toutefois pas réglementé et il est établi à la suite de négociations entre les détaillants et les transformateurs.

S’il ne remet pas en question le travail de la Commission, Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill, croit que des efforts doivent être déployés pour mieux expliquer les décisions prises.

Oui, les producteurs ont besoin de plus d’argent. Tout coûte plus cher. Il n’y a pas de raison de penser que les producteurs sont épargnés par ça. Mais il y a une façon de passer des messages, et la CCL ne l’a pas.

Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill

« Si on fait un parallèle, au Québec, on a la Financière agricole qui s’occupe de l’assurance récolte, de l’assurance stabilisation des revenus agricoles, c’est facile [avec elle] de voir les statistiques, les méthodes de calculs. »

Il déplore le fait que la CCL n’en fasse pas autant. « On a une augmentation de 2,5 % qui, je pense, est justifiée. Mais elle arrive après une hausse de 8,4 % et le consommateur se sent déjà pris à la gorge. Je pense qu’on réglerait beaucoup de problèmes si, de façon claire et limpide, on disait : voici ce que ça coûte aux producteurs pour produire un hectolitre de lait. Le consommateur veut savoir. »

Pas facile de s’y retrouver

Selon Luc Boivin, directeur de la fromagerie Boivin, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la réprimande de la ministre Bibeau a « peut-être » fait évoluer les choses, même s’il croit que la façon dont la CCL explique ses décisions peut encore être améliorée.

« On a 34 classes de lait, précise-t-il. Beaucoup de transformateurs ne comprennent même pas comment ça marche, imaginez les consommateurs. Y aurait-il lieu de simplifier le système pour qu’il soit plus compréhensible ? Ce sont des questions qu’il va falloir se poser. »

Du côté du Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ), le président-directeur général, Charles Langlois, soutient pour sa part que la CCL « fait tout son possible ». « Si elle arrivait dans les journaux et qu’elle expliquait tous les fins détails des calculs, je ne suis pas sûr que les consommateurs s’y retrouveraient. Elle essaie de trouver une façon plus pédagogique. Mais ce n’est pas toujours simple. »

« Ça demeure un processus qui est très ouvert, ajoute M. Langlois. Cette année, quand [la CCL] a eu une demande d’augmentation de la part des producteurs, elle a avisé tout le monde. »

Quand on a une augmentation du prix des légumes, on n’a pas les fins détails. Le lait n’est pas différent. La seule différence, c’est qu’avec le lait, vous avez un prix plancher qui assure un revenu aux producteurs.

Charles Langlois, PDG du Conseil des industriels laitiers du Québec

M. Langlois rappelle par ailleurs que si les consommateurs veulent savoir si la hausse consentie aura un effet sur le prix de leur pot de yogourt ou de leur paquet de fromage, ces explications ne relèvent pas de la CCL. Celle-ci n’a pas d’autorité sur le prix du lait de consommation vendu au détail, insiste-t-il.

Pour sa part, la Commission assure qu’elle reconnaît et respecte « l’intérêt public ». « Même avant la publication de la lettre de mandat, nous avions commencé à adapter nos communications pour répondre aux attentes des Canadiens et Canadiennes, écrit Chantal Paul, directrice de services intégrés à la CCL, dans un courriel envoyé à La Presse. Certaines de ces adaptations sont déjà visibles (la foire aux questions sur notre site Web, des sessions de suivi avec les parties prenantes consultées) même si la CCL a dû rendre une décision plus tôt que prévu. Nous continuerons de publier les rajustements de prix à l’avance pour donner aux acteurs de la filière laitière le temps de se préparer et pour éviter que les consommateurs aient des surprises en faisant leur épicerie. »