Près des deux tiers des Canadiens se disent prêts à « sacrifier une partie de leur vie privée » pour adhérer à un programme de fidélisation, en échange de rabais allant jusqu’à 15 % sur leur facture d’épicerie, de restaurant ou de mets préparés, révèle une étude menée par l’Université Dalhousie.

Or, en réalité, les consommateurs acceptent de révéler leurs données pour des réductions beaucoup moins généreuses. Les cartes et applications destinées à accumuler des points dans les supermarchés — et non dans les autres types de commerces – permettent en moyenne aux clients de bénéficier d’environ 5 % de rabais, selon Hans Laroche, associé chez R3 Marketing.

« Les Canadiens s’attendent à beaucoup plus que ce qu’ils obtiennent réellement », reconnaît Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, dont le rapport sera rendu public mercredi.

Près de 90 % des consommateurs au pays adhèrent à au moins un programme de récompenses. « Le consentement est pratiquement implicite », ajoute-t-il. Selon l’étude LoyauT 2021, réalisée par R3 Marketing et Léger, ce sont près de 13,5 programmes qui occupent le portefeuille ou le téléphone intelligent des Canadiens, contre 8,9 en 2017. Dans la vie de tous les jours, ils en utilisent 7,1, par comparaison à 5,9 il y a quatre ans.

Cette façon d’économiser devient de plus en plus populaire dans un contexte inflationniste. Ainsi, les détaillants, s’ils veulent survivre, ne peuvent faire autrement que de mettre en place un programme de récompenses, affirment les experts consultés.

Ce que dit le rapport de l’Université Dalhousie

Au pays, les consommateurs sont prêts à donner des renseignements personnels si les cartes et applications offrant des programmes de fidélisation offrent des « réductions importantes » sur l’achat de nourriture, ont constaté les chercheurs. Ce sont près de 65 % des gens interrogés qui sont ouverts à l’idée de révéler des données personnelles en échange d’un rabais allant jusqu’à 15 % à l’épicerie, au restaurant ou à l’achat de mets préparés. Par comparaison, 43 % des répondants le feraient pour une réduction de 10 %. « Essentiellement, au-delà des obligations légales des entreprises alimentaires, les Canadiens sont négociables, mais ils doivent en voir la valeur », peut-on lire dans le rapport.

Une entente gagnant-gagnant

Selon Hans Laroche, les membres des différents programmes sont conscients qu’ils retireront des bénéfices en échange de leurs données. Voilà pourquoi ils se prêtent au jeu. « Les gens comprennent de plus en plus que le fait d’être identifié avec une carte de fidélité ou une application mobile, c’est un processus d’échange, affirme-t-il. Oui, je te révèle mes données, mais reviens-moi avec des offres et du contenu pertinent. »

« Si tu es un client de Best Buy adhérant au programme de fidélisation et que 90 % des produits que tu achètes, c’est de l’équipement de photographie, tu ne seras pas intéressé par un courriel indiquant que les lave-vaisselles sont en promotion, illustre-t-il. La valeur vient de deux choses : les rabais et le contenu. Ne m’envoie pas des offres sur des couches pour nouveau-né si j’ai dans la soixantaine et que je n’ai plus d’enfants à la maison », donne-t-il également en exemple.

Une nécessité pour les détaillants

Si l’adhésion à des programmes de fidélisation gagne en popularité auprès des consommateurs qui cherchent à économiser, ceux-ci deviennent également une nécessité pour les détaillants. « C’est rendu une obligation », affirme Jean-Maximilien Voisine, président fondateur de Milesopedia, un site d’information et de références sur les différents programmes de fidélisation.

« C’est une manière d’être proche de ses clients, pas nécessairement pour connaître toute leur vie personnelle, mais pour pouvoir s’adapter sur la gestion des stocks, par exemple. Ça serait un peu vieille école de ne pas aller dans cette direction. »

« Tu ne peux pas être un détaillant et ne pas connaître tes clients, ajoute Hans Laroche. C’est fini, ça. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui peuvent survivre sans connaître leurs clients. De plus en plus, les programmes utilisent les données, pas juste pour vendre, mais pour créer de l’engagement, augmenter la fréquence d’interaction avec la marque. »

« C’était écrit dans le ciel qu’IGA débarquerait d’Air Miles, rappelle-t-il. Les gens ne voyaient plus la valeur d’Air Miles. Ça prenait des mois et des années avant de pouvoir accumuler. Et le détaillant n’avait pas accès aux données. »

Au début du mois, les clients d’IGA ont appris qu’ils n’accumuleraient plus de points sur leur carte Air Miles en faisant leur épicerie. Empire, société mère d’IGA, a mis la main sur Scène+, avec la Banque Scotia, sonnant la fin d’une relation qui aura duré 20 ans avec Air Miles.

La meilleure stratégie pour le consommateur

Pour les clients qui souhaitent réduire leur facture d’épicerie, quelle est la meilleure stratégie à utiliser ? « Mon conseil, c’est de ne pas garder ses points comme des REER. Il faut les utiliser fréquemment, estime M. Voisine. Ne gardez pas vos points pendant 10 ans. Ça ne sert à rien. C’est comme garder de l’argent dans votre compte chèques sans le faire fructifier. »

« La meilleure stratégie pour le consommateur, c’est de voir où il fait le plus d’achats et d’adhérer aux programmes de ces détaillants-là », suggère Hans Laroche.

Y a-t-il un danger ?

En 2019, la mise à jour de l’application mobile de Tim Hortons a fait en sorte qu’une nouvelle fonctionnalité permettait de suivre les déplacements des utilisateurs, sans que ceux-ci le sachent. Cela permettait notamment à la chaîne de restaurants de beignes et de café de connaître les différents lieux fréquentés par les clients. À la suite d’une enquête, les commissaires fédéral et provinciaux de protection des renseignements personnels ont conclu à une « atteinte massive » à la vie privée. Bien qu’il y ait lieu de se méfier, Hans Laroche insiste pour dire qu’un « détaillant sérieux » n’utilisera pas les données personnelles à mauvais escient. « Peu de grandes marques vont se permettre de faire des choses qui ne sont pas éthiques avec les données, soutient-il. Le danger de tout gestionnaire qui a un programme de fidélisation, reconnaît-il toutefois, c’est de se faire voler ses données. »

Quelques programmes de récompenses

  • Metro & Moi (Metro)
  • PC Optimum (Provigo, Maxi, Pharmaprix)
  • Air Miles (Jean Coutu, IGA [encore pour quelques mois])
  • Scène+ (IGA à partir de 2023)
  • Inspire (SAQ)
  • Petro-Points (Petro-Canada)
En savoir plus
  • 13,5
    Selon l’étude LoyauT 2021, réalisée par R3 Marketing et Léger, ce sont près de 13,5 programmes qui occupent le portefeuille ou le téléphone intelligent des Canadiens.
    SOURCE : R3 Marketing et Léger