Sarah* a 28 ans, donc tout l’avenir devant elle. Un avenir qu’elle voit déjà autrement, après quatre ans sur le marché du travail.

La situation

« Je n’aime pas mon travail et j’aimerais savoir si je suis capable de diminuer mon salaire », confie la jeune femme, qui travaille en technologie de l’information. « Mon rêve est de travailler dans une ferme biologique près de chez moi, comme lorsque j’étais étudiante, explique-t-elle. C’est vraiment ça qui m’allume. Je veux savoir si je peux laisser mon job de bureau. »

Elle aurait l’embarras du choix : plusieurs de ses amis possèdent des fermes dans la région où elle habite. Elle aurait moins de latitude pour le salaire toutefois qui, selon son estimation, devrait avoisiner 15 $ l’heure. Elle gagne en ce moment 46 000 $ par année.

Sarah et son conjoint, Maxime, ont acheté une maison en 2018, payée 200 000 $ et encore grevée d’un solde hypothécaire de 130 000 $, avec une mensualité de 770 $.

La situation de Maxime, tant au chapitre des revenus que des dettes, est quasi identique à celle de Sarah, « donc toutes nos dépenses communes sont divisées également ».

Travailleur autonome, Maxime gagne bon an, mal an 45 000 $. Chacun a environ 6500 $ en dettes d’études et quelque 3500 $ engagés sur sa marge de crédit.

Les chiffres

Sarah, 28 ans

Salaire : 46 000 $
Dettes d’études : environ 6500 $
Marge de crédit : 3600 $
Aucun REER
CELI : 3000 $

Maxime, 39 ans

Revenus autonomes : 45 000 $
Dettes d’études : environ 6000 $
Marge de crédit : 2000 $
Aucun REER
Aucun CELI
Propriété
Achetée 200 000 $ en 2018
Solde hypothécaire : 130 000 $
Mensualité : 770 $
Valeur marchande : environ 350 000 $

Ni l’un ni l’autre ne détient de REER.

« Nouvelle de dernière heure, je suis admissible pour cotiser à un REER à 2 % de mon salaire et 2 % de mon employeur dès la prochaine paie », nous apprendra-t-elle par courriel après notre entretien.

Elle a patiemment accumulé 3000 $ dans un CELI.

« Ce sont des cadeaux de Noël depuis que je suis toute petite, que j’aimerais ne pas toucher pour faire un voyage éventuellement, dans la prochaine année, espérons-le. »

Elle se dit prête à sacrifier une part de revenu pour accéder à « un mode de vie un peu plus simple ». Elle reconnaît cependant que le travail dans une ferme risque fort d’être saisonnier, sans doute assorti d’un autre emploi hivernal. Quoique « dans un monde idéal, j’aurais l’hiver pour pouvoir relaxer et prendre mes vacances », évoque-t-elle.

La situation se complique quand elle ajoute qu’elle aimerait « fonder une famille prochainement ».

Prochainement ? Peut-être dans un horizon de six mois à deux ans, précise-t-elle. « Pour pouvoir avoir un enfant, je considère que je dois avoir un emploi que j’aime. »

Pour Sarah, le bonheur est indiscutablement dans le pré. D’où sa question : « Puis-je me le permettre ? »

La réponse

Malheureusement, la taille des projets de Sarah prend la direction inverse de ses revenus.

« Des choix financiers devront être faits », constate le planificateur et fiscaliste Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.

« En supposant qu’elle travaille durant toute l’année 40 heures par semaine, son revenu annuel chuterait à 31 200 $ », calcule-t-il.

Ce revenu pourrait encore être inférieur si l’emploi est saisonnier. Sarah peut-elle se priver d’un revenu brut d’environ 15 000 $ par année ?

PHOTO KARÈNE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

« Elle n’épargne pas, donc on peut supposer que non, avec le mode de vie actuel », répond le planificateur.

Seule issue : réduire les dépenses et changer son mode de vie.

Or, le programme de Sarah est ambitieux : pause hivernale, voyage, fondation d’une famille, rénovations...

Notre expert constate que « la clé pour une transition de carrière réussie repose sur l’élaboration d’un budget exhaustif », sur la base duquel le couple pourra évaluer le réalisme du projet de la future travailleuse agricole.

Tous deux peuvent déjà améliorer la situation actuelle.

Bonne nouvelle, la situation hypothécaire, avec une mensualité de 770 $, est excellente, souligne-t-il. Dans un contexte de taux d’intérêt à la hausse, Sarah devrait prioriser le remboursement de sa marge de crédit.

Le cas de Maxime est différent. Étant travailleur autonome, il pourrait mettre en branle la stratégie de mise à part de l’argent. Elle consiste à porter ses dépenses de travail sur une marge de crédit d’entreprise, pour appliquer l’argent ainsi libéré au remboursement de sa marge de crédit personnelle.

« Puisque les intérêts payés sur un prêt utilisé dans le cadre des affaires sont déductibles d’impôt, Maxime pourra convertir progressivement une dette non déductible en une dette déductible d’impôt. »

Il n’y a pas d’urgence à accélérer le remboursement des prêts étudiants, dont les intérêts procurent un crédit d’impôt.

Par contre, Sarah devrait sauter sur l’occasion de cotiser au REER collectif de son employeur, auquel ce dernier contribue à hauteur de 2 % de son salaire – une cotisation REER « gratuite », fait valoir le planificateur.

Pour le reste, la route s’annonce ardue. Benoit Chaurette estime que, pour le moment, Sarah n’est pas en mesure de concrétiser son projet. Ce n’est que partie remise, toutefois, et il expose quelques jalons budgétaires pour s’approcher du but.

« Si Sarah n’est pas en mesure d’épargner, c’est le signe qu’elle a besoin de tous ses revenus pour vivre confortablement », constate-t-il. Sarah devra d’abord commencer à réduire ses dépenses afin de produire des surplus qui lui permettront de rembourser sa marge et dégager quelque épargne. « Elle pourra ainsi voir quelle diminution de ces revenus elle peut assumer sans nuire à son rythme de vie. »

Le couple devrait également constituer un fonds d’urgence équivalant dans l’idéal à trois mois de revenus. Outre le fait que cet effort montre déjà à une stricte discipline budgétaire, le fonds facilitera le changement d’emploi « en diminuant le stress financier ».

Par ailleurs, Sarah et Maxime devront tenir un budget détaillé. Ils pourront ainsi constater quelles dépenses ils seraient plus aisément en mesure de réduire dans le contexte d’une diminution de leurs revenus.

Mais avec des revenus réduits, quelle place resterait-il pour des épargnes de retraite ?

La réponse se trouve dans la démonstration que le couple sera capable de maintenir un train de vie modeste.

« Pour un ménage ayant un faible coût de la vie, une grande portion des dépenses à la retraite pourra être assumée grâce aux régimes de retraite publics [PSV, SRG et RRQ], souligne Benoit Charette. Cela est d’autant plus vrai avec les récentes bonifications des prestations au RRQ. »

Une fois les dettes et le prêt hypothécaire remboursés, l’excédent budgétaire pourra être orienté en partie vers l’épargne de retraite.

« Avec une maison payée, des prestations gouvernementales et un peu d’épargne, le couple pourrait envisager une retraite à 65 ans sans trop de soucis. À condition bien sûr de conserver un mode de vie simple. »

En somme, Sarah devra d’abord labourer et semer pour récolter un changement de carrière.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Vous planifiez un projet qui demande une utilisation judicieuse de votre argent ? Vous avez des problèmes financiers ?

Soumettez
 votre cas à l’équipe de Train de vie