Selon Philippe Meunier, PDG de l’agence de publicité Sid Lee et cofondateur de l’École des sciences de la créativité La Factry, la créativité est plus nécessaire que jamais dans les entreprises, au sortir de la pandémie, pour continuer de croître et retenir les employés.

Q. En crise de pénurie de main-d’œuvre, comment la créativité peut-elle être utile aux directions ? Comment convaincre le milieu des affaires de faire preuve de créativité ?

R. Avant, quand on parlait de créativité, c’était l’équivalent de dire : je suis bon en peinture, je suis capable d’utiliser des crayons de couleur. Ce terme n’existait pas dans le lexique des gens d’affaires. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Des études le démontrent : la créativité est une compétence du futur, car les défis sont tellement grands qu’on a besoin de créativité et de multidisciplinarité pour pouvoir les résoudre. Pour retenir les talents et les recruter, c’est une des meilleures choses. Tout le monde est créatif. Il s’agit d’allumer une lumière pour créer une passion. Si tu es embauché dans une organisation, à 26 ans, pour faire une chose d’une seule façon, à répétition, tu vas perdre ta motivation. Tandis que si on t’encourage à explorer ta créativité, à briser les règles, tu vas peut-être découvrir d’autres intérêts. La créativité est une bougie d’allumage qui permet de te dépasser. Quand il n’y a personne pour faire jaillir cette créativité, on manque des occasions.

Q. Est-ce qu’une PME doit penser différemment pour sortir de la pandémie ?

R. On a longtemps géré nos entreprises à la « steak, blé d’Inde, patate ». Mais aujourd’hui, ça ne fonctionne plus. Il faut autre chose. La créativité va demander de sortir de sa zone de confort. Comme entrepreneur, il faut se demander comment faire différemment. Est-ce que je dois changer ma façon de recruter ? Pourquoi instaurer encore un horaire de travail fixe ? Ce sont des choses que la pandémie nous a fait voir et repenser, car on faisait face à des problèmes. La première chose que les dirigeants doivent avoir, ce sont des gens créatifs dans leur conseil d’administration. On est habitués de voir des financiers, avocats, gens d’affaires. On souhaite rarement des gens qui vont briser les règles dans les C. A. Mais c’est crucial aujourd’hui, autrement des entreprises vont mourir. J’ai déjà lu que 65 % des métiers importants de l’avenir n’existent pas encore. Ça va demander de la créativité pour s’adapter et être performant à ce niveau. La créativité est donc une ressource essentielle pour les entrepreneurs.

Q. Que répondent les dirigeants de La Factry devant un entrepreneur qui dit : je n’ai pas ça en moi, je ne serai jamais créatif ?

R. On le plonge dans le bain. Dans sa tête, la créativité est purement quelqu’un capable de faire de la musique. J’explique que la créativité, c’est deux choses qui ne vont pas ensemble et qu’on fusionne pour former une nouvelle chose. On a tous ça dans notre cerveau, mais on ne l’a pas activé. Aujourd’hui, des étudiants de l’ÉTS (École de technologie supérieure) viennent explorer des ateliers de créativité à la Factry On montre comment articuler leur muscle créatif. Qu’on soit financier, avocat, ingénieur, tout le monde est créatif. La preuve, c’est que si je t’enferme dans une prison avec une cuiller, un bout de papier et un verre d’eau, tu vas travailler fort pour trouver une solution pour sortir de là !

Q. En termes de création publicitaire, spécifiquement, le Québec rayonne de plus en plus sur la scène internationale. Est-ce donc difficile pour les agences de communication, publicité et marketing de retenir leurs employés et d’embaucher ?

R. Les créatifs d’agences de pub, de design, d’architecture commencent à rayonner à l’international, effectivement. Il y a 20 ans, ce n’était pas à notre portée de remporter des prix au Festival international de la créativité de Cannes. On gagne partout maintenant. Or, quand on rayonne, on crée de l’attention. C’est facile maintenant d’embaucher un créatif à Montréal. Aux États-Unis, on sait que les talents sont moins chers au Canada. Oui, on est en train de se faire voler notre talent. Mais comme certains reviennent avec une nouvelle expérience, c’est intéressant. Le réel problème, c’est la base, la pépinière de talents. On ne rentre pas assez de jeunes dans l’industrie pour les faire grandir. Parallèlement, un ado qui a un problème d’attention, par exemple, va se retrouver plutôt sur Google, à réaliser des films par lui-même, se créer une voie accélérée pour sa formation. Ça prend donc un changement d’attitude dans les entreprises pour trouver et accueillir de telles personnes.

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  • 400
    Sid Lee compte plus de 400 employés à Montréal qui travaillent en hybride, notamment dans de nouveaux bureaux de 88 000 pieds carrés à la Place Ville Marie.
    Source : SID LEE