Deux ans après avoir vu la COVID-19 déboulonner ses plans de voyage, Roxanne Delisle ne pensait jamais attendre aussi longtemps pour ravoir son argent. Pendant que les défenseurs des voyageurs critiquent l’industrie, le dernier appel approche pour 13 000 voyageurs qui ne répondent pas.

Chaque mois, l’agence de voyages Orleans Travel and Cruise Centre à Orléans fait le suivi auprès d’Air Canada. Chaque fois, le transporteur répond que le dossier de Mme Delisle est en traitement et qu’il faut être patient. Le hic : le paiement n’arrive pas.

« Je comprends que ce sont des circonstances extraordinaires, mais je crois qu’après deux ans, on a fait preuve de suffisamment de patience, ne trouvez-vous pas ? », affirme Mme Delisle, qui a contacté La Presse parce qu’elle ne veut pas lâcher le morceau.

Le cas de Roxanne Delisle illustre le labyrinthe bureaucratique par lequel les agences, les clients et les employés des compagnies aériennes doivent circuler.

Curieusement, les billets de son conjoint et de sa fille, achetés au même moment avec la même carte de crédit, ont été remboursés quelques jours après que son agence de voyages en eut fait la demande auprès d’Air Canada au printemps 2021.

À la demande de La Presse, Air Canada a vérifié le dossier de Roxanne Delisle.

« Dans ce cas précis, je confirme qu’Air Canada n’a reçu aucune demande de remboursement de la part de l’agence de voyages en question, affirme Pascale Déry, porte-parole du transporteur. Toutefois, maintenant que ce dossier a été porté à notre attention, nous allons communiquer directement avec la cliente afin de résoudre la situation. »

L’agence de voyages assure avoir soumis la demande. Comme pour toutes ses réclamations, elle n’a pas reçu de confirmation de réception par courriel de la part d’Air Canada.

« Ce n’est pas une situation agréable, mais je n’aurai pas le choix de continuer à faire affaire avec Air Canada, parce qu’il y a peu de concurrence au Canada », se désole la voyageuse.

À qui la faute ?

Un an après avoir vu le gouvernement Trudeau voler au secours de plusieurs compagnies aériennes, ce n’est pas normal que des consommateurs attendent encore, affirme le président-directeur général de Vol en retard, Jacob Charbonneau.

Celui-ci montre du doigt l’approche d’Ottawa.

« Les ententes étaient à la pièce avec chaque transporteur, dit M. Charbonneau. Les échéances variaient d’une compagnie à l’autre. Les remboursements ne concernaient que les transporteurs canadiens, pas les compagnies étrangères. Ç’a été fait pour protéger les transporteurs. »

Les remboursements n’étaient pas automatiques. Il fallait le demander. Certains transporteurs, comme WestJet, n’ont pas reçu l’aide du gouvernement fédéral. Il n’y avait donc aucune obligation de remboursement.

Contrairement à des endroits comme les États-Unis, les compagnies aériennes ont pu émettre à leurs clients des crédits de voyage plutôt que des remises en argent en attendant l’aide d’Ottawa. Elles disaient agir de la sorte faute d’avoir les liquidités nécessaires.

La situation a créé de la confusion chez les consommateurs, estime Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs.

« Il y a des personnes qui avaient fait des pressions auprès de leur agence de voyages ou de leur transporteur et qui ne savaient pas qu’elles devaient faire une nouvelle demande de remboursement, explique-t-elle. Certains ont manqué le bateau. Les délais étaient très courts pour effectuer une demande de remboursement. »

Voyageurs recherchés

Lorsque les réclamations ne peuvent pas être remboursées par les transporteurs, le dossier tombe dans les mains du Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV). PwC, la firme mandatée pour gérer ces réclamations, n’a aucune nouvelle de 13 587 demandeurs alors que dans 3710 dossiers, l’information fournie est incomplète, mais les gens ont tous été contactés.

« Ce sont donc presque 18 000 Québécois qui pourraient être admissibles à un remboursement, mais qui n’ont pas fait le suivi nécessaire », affirme Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

« Entre le 5 octobre 2021 et aujourd’hui, nous avons effectué trois relances, poursuit-il. L’Office a fait appel en mai à une firme de téléphonistes pour rejoindre directement ces personnes, soit une quatrième relance1. »

Selon les plus récentes données du FICAV, mises à jour le 2 mai, 7048 demandes d’indemnisation ont été réglées par l’envoi d’un chèque ou par un virement bancaire, 2411 dossiers sont en traitement, 997 dossiers ont été rejetés car les réclamations étaient non admissibles, et 15 677 demandes ont été annulées puisqu’elles ont été remboursées par un tiers, comme la compagnie aérienne, l’agence de voyages ou un assureur.

Au départ, 43 430 demandes d’indemnisation ont été envoyées au FICAV.

Pour l’instant, l’OPC n’est pas en mesure de fournir une estimation de la fin complète des remboursements.

Ceux qui attendent toujours un remboursement doivent s’armer de patience, selon M. Charbonneau. Certains dossiers sont plus complexes à traiter, par exemple lorsqu’un billet a été acheté avec une agence en ligne étrangère qui n’existe plus.

1. Consultez le site de l’Office de la protection du consommateur