D’abord attendue l’automne dernier, la version transactionnelle du Panier bleu devrait finalement faire l’objet d’une annonce de Québec en juin. On ignore encore toutefois à quel moment exactement elle sera disponible, et selon un expert, le site aura une grande côte à remonter pour se débarrasser de l’image de « Pages jaunes » qui lui colle à la peau. Sans compter les rivaux qui ont eu le temps d’apparaître depuis.

Et il y a les détaillants, déjà aux prises avec de nombreux défis d’approvisionnement et de main-d’œuvre, qui font montre d’un certain scepticisme par rapport à cette future plateforme, sans y voir de remède à leurs problèmes.

« Dans les premiers mois de lancement du Panier bleu, il y a eu cette notoriété. Sauf que, avec le temps, ça n’a pas tenu parce que ça n’a pas répondu aux attentes des cyberacheteurs québécois, analyse Bruno Guglielminetti, spécialiste de la communication numérique. L’expérience vécue par les visiteurs du Panier bleu, quand on en a énormément parlé, s’apparentait à la consultation d’un gros répertoire de Pages jaunes. Et les gens ont encore ça en tête. »

Une expérience de magasinage agréable, un mode de paiement simple et un système de livraison efficace, voilà les trois critères que devra remplir la nouvelle place de marché. « Il faut que Le Panier bleu réponde à ces demandes-là, ajoute le spécialiste. La barre, c’est Amazon qui l’a placée. Il faut qu’il soit aussi bon, aussi agréable à utiliser. »

Selon une étude réalisée par NETendances, en 2021, 48 % des achats en ligne des Québécois se sont faits sur le site d’Amazon, contre 19 % chez des marchands québécois en ligne. Près de 46 % des répondants ont toutefois affirmé avoir l’intention de magasiner sur le site du Panier bleu lorsqu’il sera transactionnel.

Retour en arrière. Le Panier bleu a été lancé au début de la pandémie par le gouvernement de François Legault pour stimuler l’achat local. Le concept, qui permettait essentiellement de répertorier des marchands et des produits québécois, avait essuyé de vives critiques puisqu’il ne permettait pas aux consommateurs d’effectuer des transactions directement sur le site. Près de neuf mois après sa création, en janvier 2021, l’organisme à but non lucratif (OBNL) Le Panier bleu a annoncé la mise en place d’une plateforme québécoise d’achats en ligne regroupant tous les détaillants d’ici qui souhaiteraient y adhérer. Cette place de marché devait en principe permettre aux consommateurs d’y faire leurs emplettes à l’automne de la même année. Le projet ne s’est pas concrétisé.

Mais voilà qu’en juin, Québec annoncera la mise en place d’une plateforme transactionnelle, confirme-t-on. « L’objectif maintenant est de rendre opérationnelle une première place de marché numérique au cours des prochains mois. Pour ce faire nous travaillons avec des partenaires pour la création d’une plateforme transactionnelle qui permettra aux détaillants d’être plus concurrentiels dans le contexte de l’économie numérique mondialisée », a indiqué par courriel Romane St-Laurent, attachée de presse de la ministre déléguée à l’Économie, Lucie Lecours.

Impossible toutefois de connaître le moment exact de l’implantation de la plateforme ni de savoir quelles seront les sommes investies. Depuis sa création, l’OBNL a reçu 4,4 millions en subventions de la part de Québec.

Scepticisme

Si elle assure ne pas être « à 100 % contre l’idée du Panier bleu », Marie Beaupré, cofondatrice de l’entreprise Les Mauvaises Herbes – qui se spécialise notamment dans la préparation et la mise en vente de produits naturels de soins corporels et ménagers –, croit pour sa part que cette plateforme ne réglera pas les problèmes auxquels font face les entrepreneurs depuis le début de la pandémie.

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Marie Beaupré, cofondatrice de l’entreprise Les Mauvaises Herbes

Elle compte d’ailleurs parmi les instigatrices d’une lettre – publiée dans La Presse récemment et signée par 300 entreprises – dénonçant le fait que l’achat local est en péril.

« Il ne semble pas y avoir eu de discussions avec les propriétaires de PME pour savoir si c’est vraiment de ça qu’ils ont besoin. Ce n’est pas de ça qu’on a besoin, soutient-elle. On a besoin de mesures concrètes qui vont avoir un impact dans notre quotidien. »

Et en ce qui concerne la mise en place de la plateforme, Mme Beaupré souligne qu’il reste beaucoup de questions sans réponses. Son entreprise a été contactée en avril par Le Panier bleu. L’organisme a sélectionné Les Mauvaises Herbes pour faire partie de la phase d’introduction de la plateforme. Et depuis, plus rien. « Je n’ai pas suivi. On n’a pas trop d’informations. Je reste sceptique, mais ouverte à l’idée. »

Des sites déjà existants

Par ailleurs, la cofondatrice des Mauvaises Herbes rappelle que de nombreux sites transactionnels ont déjà vu le jour. C’est le cas du Bon Panier, créé en septembre 2021 et qui regroupe en ce moment plus d’une centaine de commerçants québécois.

« On avait déjà eu l’idée pendant la pandémie de lancer une plateforme, explique Audrey-Ann Jean-Weisz, développeuse web et fondatrice du Bon Panier. On a été déçus du Panier bleu, qui n’est toujours pas transactionnel. On s’est dit qu’on allait se lancer nous aussi. »

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Audrey-Ann Jean-Weisz, développeuse web et fondatrice du Bon Panier

La petite équipe de quatre développeurs a mis son projet en branle après un an de travail. Si elle a refusé de donner des informations sur le nombre de visites, Mme Jean-Weisz a comme objectif d’attirer 10 000 utilisateurs par jour. La mise en place éventuelle de la plateforme transactionnelle du Panier bleu n’effraie pas la fondatrice du Bon Panier.

« Si jamais ça se fait, tant mieux. Ils auront répondu aux attentes. Mais ça ne nous fait pas peur. On peut déjà imaginer de nouvelles fonctionnalités que Le Panier bleu mettra sans doute beaucoup de temps à implanter », croit-elle.