Leader par-ci, leadership par-là, vous n’en avez pas marre, vous ?

Cette idée se propage trop souvent dans les médias : être gestionnaire ne suffit pas, il faut être leader ! Ce leader doté d’habiletés quasi surnaturelles, visionnaire, empathique, qui inspire ses employés à tout prix et en toutes circonstances afin qu’ils deviennent de meilleures versions d’eux-mêmes. Prenons un instant pour réfléchir à la question et tenter de déconstruire ce mythe qui ne correspondra jamais à la réalité d’un gestionnaire.

Déjà, j’ai rarement vu, en entreprise, une fonction ou un titre nommé « leader ». Plutôt : chef d’équipe, superviseur, directeur, vice-président… Seraient-ce tous des leaders cachés comme Superman sous son uniforme de journaliste ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Cylril Vulgarides, président de Technologia

Enlevons d’abord un peu de pression sur les épaules du gestionnaire et usons de réalisme, et d’empathie, pour comprendre le contexte dans lequel il travaille. Quel que soit son niveau hiérarchique, un gestionnaire remplit principalement trois rôles. Il est :

1. Meneur d’équipe ;

2. Responsable d’une opération, des livrables et des résultats ;

3. Responsable de l’amélioration de son opération et de la gestion du changement.

Son quotidien est fait de nombreuses activités : établir une vision, un plan d’action, gérer un cadre budgétaire, respecter des échéanciers serrés, livrer des résultats, prendre des décisions souvent difficiles, gérer l’équipe (performance, conflits et collaboration, etc), rendre des comptes, voir à l’amélioration constante des opérations… tout en étant en réunion une bonne partie de la journée ! En d’autres termes, la liste des tâches à accomplir pour le gestionnaire est longue, et c’est sur l’ensemble de ces tâches que ce dernier sera évalué. Or, dans le discours actuel, on a tendance à négliger, voire ignorer, la partie opérationnelle ou technique des tâches du gestionnaire, pour ne se préoccuper que de l’aspect développement d’équipe. Mais qui diantre va gérer l’opération et le quotidien ?

Tous les leaders ne font pas preuve de leadership

Historiquement, la notion de leadership a été associée au dirigeant principal d’une organisation, en référence à des gens comme Steve Jobs, Lee Iacocca, Bill Gates et d’autres du même calibre. Autant de dirigeants qui ont laissé leur marque grâce au succès de leurs produits et de leurs entreprises. On associe également la notion de leadership à de grands personnages, comme Gandhi, René Lévesque, Churchill, Jean Béliveau… Dans ce contexte, la fonction de leader n’a rien à voir avec l’ensemble des compétences de l’individu. C’est plutôt associé à des personnages publics qui étaient la figure de proue d’une équipe ou d’une organisation ayant obtenu du succès ou de la reconnaissance. Le leader joue clairement un rôle : il est reconnu de tous, il est suivi, il a un certain ascendant sur les autres, etc. Il se révèle (parfois) visionnaire… Il est un leader dans le regard des autres !

Quant au leadership, terme emprunté à l’anglais, il définit la capacité d’un individu à mener d’autres individus (ou organisations) vers l’atteinte d’un objectif. On dira alors d’une personne qu’elle fait preuve de leadership, qu’elle est capable de guider, d’influencer et d’inspirer. Mais cela n’est pas réservé au gestionnaire ; chaque membre de l’équipe peut faire preuve de leadership, à un moment ou à un autre. Le leadership appartient à tous ! Revenons à Steve Jobs, par exemple. On dit de lui qu’il était un leader, toutefois, les témoignages sur ses piètres performances en matière de leadership sont nombreux. Il faut donc éviter de mettre tous ces termes dans le même panier.

Cessons de faire rimer « gestionnaire » et « déception »

Dans les faits, pourquoi ne faisons-nous pas l’éloge du gestionnaire ? Pourquoi n’en avons-nous que pour le leader et le leadership, jusqu’à les mettre en opposition avec le gestionnaire ? Comme mentionné d’entrée de jeu, le gestionnaire est, de facto, un meneur d’équipe. Dès lors, est-ce parce que, historiquement, les gestionnaires ont négligé leurs équipes que nous cherchons des sauveurs auprès de leaders ? Est-ce que, pour attirer et retenir les talents, nous nous sentons obligés d’ajouter des couches de bienveillance, d’humanisme, de pleine conscience, de développement personnel, et j’en oublie, en omettant de parler du travail plus opérationnel du gestionnaire ?

Le monde professionnel évolue sans cesse et la quête de résultats et de succès ne dérougit pas. La culture d’entreprise, les styles de gestion, les pratiques de collaboration doivent constamment s’adapter à la nouvelle réalité des organisations, mais aussi des attentes des équipes et des individus. Les attentes envers les supérieurs immédiats sont certainement légitimes, mais aussi peut-être trop élevées, compte tenu des ressources et du temps dont ils disposent pour y répondre. Le gestionnaire a un travail à faire, une mission à réaliser et des objectifs à atteindre. Il est, lui aussi, sous pression et doit incarner au mieux la vision de l’entreprise… souvent dictée par ses supérieurs. Survaloriser le « leader » génère nécessairement des attentes peu réalistes (et de sérieuses déceptions !) chez les collaborateurs.

Sommes-nous en train de jeter le bébé avec l’eau du bain ? Manifestement, cette nouvelle tendance, basée sur la bienveillance et toutes ces belles attitudes, bien que prenant son assise sur de bonnes intentions, fait en sorte que les gestionnaires eux-mêmes n’arrivent plus à se reconnaître. Il serait donc temps de se recentrer, mais aussi de donner un nouveau coup de roue à nos démarches de développement de nos cadres.

Le gestionnaire et le leader ne font qu’un ! Il y a de bons gestionnaires et de moins bons, comme dans chaque métier. La compétence de leadership, ça se développe, et tout gestionnaire a avantage à y investir de l’énergie. Toutefois, ce leadership n’aura de sens qu’au regard des objectifs d’affaires et de la finalité que l’organisation souhaite atteindre.

Cherchons des solutions réalistes, qui appartiennent tant aux organisations qu’aux gestionnaires eux-mêmes, mais également aux employés, pour nous assurer que nos entreprises deviennent des écosystèmes dans lesquels le succès tient compte d’un équilibre entre la réussite financière, le dépassement de soi, le plaisir au travail, et dans lesquels le leadership est l’affaire de tous. Chaque collaborateur a un rôle à jouer et chacun peut ajouter sa pierre à l’édifice. Les résultats d’une équipe sont l’affaire de tous ses membres.