Le nombre de non-diplômés qui ont fait leur entrée dans l’industrie de la construction a bondi en 2021, révèlent de nouvelles données que La Presse a obtenues. Des chiffres qui surprennent la Corporation des maîtres électriciens du Québec et inquiètent la FTQ-Construction.

Le nombre de nouveaux employés non diplômés dans l’industrie de la construction en 2021 a connu une forte augmentation dans plusieurs corps de métier, selon les chiffres compilés par la Commission de la construction du Québec (CCQ).

Ce sont 16 929 non-diplômés qui sont arrivés sur le marché du travail tandis que seulement 4783 détenaient un diplôme d’études professionnelles (DEP) de leur métier. En 2017, au contraire, la proportion était semblable, soit 5728 non-diplômés contre 5430 diplômés.

Lorsque La Presse a présenté les chiffres à la Corporation des maîtres électriciens du Québec, ses représentants croyaient qu’ils étaient erronés.

« J’ai été un peu surpris de voir qu’on est passé de 208 en 2020 à 630 en 2021. Je trouve que le chiffre est important », affirme au téléphone Michel Bonneau, directeur des services techniques et santé-sécurité du travail à la Corporation.

« Lorsqu’on voit que le nombre de personnes qui entrent dans la construction sans diplôme d’études professionnelles augmente, on est inquiets pour l’avenir de l’industrie, parce que ça va entraîner un manque de compétence à la grandeur de l’industrie », soutient de son côté Éric Boisjoly, directeur général de la FTQ-Construction.

En 2017, seulement 126 électriciens non diplômés avaient accédé au marché de l’industrie de la construction. En 2021, ils étaient 630.

En revanche, le nombre de nouveaux électriciens ayant obtenu leur DEP est resté stable. Depuis 2017, le nombre de finissants ayant terminé la formation de 1800 heures n’a augmenté que de 186, comme en témoigne le tableau.

« Tous les apprentis, diplômés ou non, sont toujours sous supervision d’un compagnon électricien, assure Michel Bonneau. C’est sa responsabilité de s’assurer que les travaux réalisés soient conformes. Cependant, si vous engagez quelqu’un qui n’a pas encore commencé sa formation, il va être limité dans les tâches qu’il va pouvoir effectuer. »

Michel Bonneau rappelle que les huit nouvelles mesures de la CCQ entrées en vigueur en avril 2021 permettent à des travailleurs d’avoir accès au domaine sans nécessairement avoir obtenu le DEP en électricité.

Ce sont des mesures temporaires qui ont été proposées et adoptées dans le cadre de la pénurie de main-d’œuvre.

Michel Bonneau, directeur des services techniques et santé-sécurité du travail à la Corporation

La situation est semblable du côté des plombiers. Le nombre de nouveaux tuyauteurs non diplômés a grimpé de 131 à 292 entre 2017 et 2021. Pendant cette période, le nombre de diplômés est resté stable, soit 492 et 456.

La Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec croit que la situation n’est pas idéale, mais que le nombre élevé de non-diplômés dans ce domaine s’explique lui aussi par l’une des huit mesures mises en place en 2021. On reconnaît maintenant l’expérience pertinente acquise à l’extérieur de l’industrie, ce qui favorise, par exemple, l’intégration de nouveaux arrivants, soutient la Corporation.

« Ce n’est pas n’importe qui qu’on prend sur le bord de la rue, ce qu’on appelle dans notre jargon ‟l’ouverture des bassins", précise au téléphone Steve Boulanger, directeur général de la Corporation. Pour les tuyauteurs, les bassins n’ont pas ouvert et n’ouvrent jamais. Ce n’est pas comme ça que ces gens sont entrés. »

Avant l’arrivée des huit mesures, en avril 2021, les travailleurs intégraient l’industrie principalement de deux façons : soit avec un DEP et une garantie de 150 heures de la part d’un employeur, soit sans diplôme avec garantie de 150 heures de la part d’un employeur, mais lors de l’ouverture d’un bassin de main-d’œuvre pour le métier désiré dans sa région, c’est-à-dire lorsque la CCQ calcule qu’il y a un nombre insuffisant de travailleurs.

Consultez les huit mesures mises en place en avril 2021

Parmi les nouvelles données de la CCQ, les briqueteurs-maçons non diplômés sont aussi plus nombreux, tandis que le nombre de nouveaux diplômés a chuté.

Presque quatre fois moins de diplômés

Chez les charpentiers-menuisiers, le nombre de diplômés qui entrent sur le marché du travail a baissé année après année, pendant que le nombre de non-diplômés a atteint un sommet en 2021. Il est passé de 796 en 2017 à 5252 en 2021.

Pour les métiers d’électricien et de tuyauteur, ce n’est pas l’ouverture des bassins qui explique la hausse, précise Marie-Noëlle Deblois, conseillère aux affaires publiques à la CCQ. « Pour les autres métiers que vous citez, il est vrai de dire que les bassins ont été ouverts beaucoup plus souvent au cours des dernières années, ce qui s’explique par des demandes de main-d’œuvre sans précédent. »

Marie-Noëlle Deblois rappelle que l’activité économique, qui atteint des sommets jamais vus, et la pénurie de main-d’œuvre généralisée mettent une pression importante sur les mécanismes d’entrée dans l’industrie. Ces mécanismes ont été conçus dans un contexte totalement différent pour répondre à des problématiques qui ne sont plus les mêmes qu’avant, explique-t-elle.

« L’accès à l’industrie est un grand défi, tout comme l’intégration des groupes sous-représentés, la rétention des travailleuses et des travailleurs. »

Consultez le tableau des nouveaux salariés par statut de diplomation de la Commission de la construction du Québec

Formation en hausse, assure le ministère du Travail

Avec le Programme d’aide à la relance par la formation (PARAF) lancé en novembre 2020 et l’Opération main-d’œuvre annoncée en novembre 2021, le ministère du Travail et de l’Emploi s’est engagé à former plus de gens, notamment dans le secteur de la construction, soutient par courriel la conseillère en communication et relations médias Catherine Poulin.

Elle indique qu’en ce qui a trait aux professions d’électricien et de charpentier-menuisier, 1699 personnes ont participé à la mesure de formation de la main-d’œuvre (MFOR) financée par le Ministère du 1er avril 2021 au 22 mars 2022. « On constate que les formations sont en hausse dans les deux secteurs », écrit Catherine Poulin.

En charpenterie-menuiserie, le nombre de participants est passé de 621 à 889 (d’avril 2021 à mars 2022). Dans le programme d’électricité, le nombre a augmenté de 155 à 328.

Un manque de coordination, dit la FTQ-Construction

Selon la FTQ-Construction, l’industrie gagnerait à régler le manque de coordination entre les écoles de métiers et la CCQ, qui fait en sorte que des non-diplômés sont parfois engagés par les employeurs avant les diplômés.

« Quand les bassins ouvrent juste avant la diplomation des cohortes, on a eu des exemples de ça, les diplômés se retrouvent avec des employeurs qui ont priorisé des gens sans diplôme, car ils avaient besoin de main-d’œuvre deux semaines avant la fin de leur formation », soutient Éric Boisjoly.

Meilleure rétention de la main-d’œuvre diplômée

Une meilleure coordination aurait des avantages pour toute l’industrie, si l’on se fie au rapport de la CCQ Les abandons dans l’industrie de la construction au Québec, publié en janvier 2021. Après 5 ans, 35 % des non-diplômés quittent l’industrie, contre 24 % des diplômés.

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    C’était, en 2021, le nombre de femmes peintres dans la construction, le domaine où l’on trouve la plus grande présence féminine. Suivent les charpentières-menuisières avec 1168, les manœuvres avec 1122 et les électriciennes avec 489.
    Source : Commission de la construction du Québec