L’entreprise sur laquelle la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) mise pour s’aventurer dans les cryptomonnaies reconnaît, pour la première fois, qu’elle pourrait se faire serrer la vis par les gendarmes boursiers, ce qui vient accroître le niveau de risque de cet investissement pouvant atteindre 300 millions annoncé l’automne dernier.

Celsius Network a récemment ajouté les changements réglementaires aux nombreux risques – comme le vol de monnaies virtuelles, les pertes de mots de passe et les transactions irréversibles – qui guettent ses déposants dans un document de six pages mis en ligne. L’expression « risques réglementaires » n’apparaissait pas auparavant dans la divulgation précédente.

Établie à Londres, l’entreprise est une plateforme qui met en commun des dépôts de cryptomonnaies comme le bitcoin et offre des prêts et des intérêts, souvent supérieurs à 10 %, aux déposants, ce qui est bien plus élevé que ce que proposent les banques traditionnelles. En octobre dernier, elle a accueilli le bas de laine des Québécois parmi ses investisseurs. Le gestionnaire de régimes de retraite n’avait pas chiffré l’ampleur de sa mise, mais elle pourrait atteindre jusqu’à 300 millions, selon son plus récent rapport annuel, rendu public la semaine dernière.

« Si je suis un investisseur dans Celsius, c’est sûr que c’est un drapeau jaune parce qu’il y a un risque qui plane au-dessus de l’entreprise », souligne Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille chez Rivemont, une firme qui offre un fonds commun de placement basé sur le bitcoin.

Le modèle d’affaires de l’entreprise pourrait être en péril selon les changements réglementaires.

Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille chez Rivemont

Lisez « La Caisse de dépôt dans les cryptobanques : risques et questions droit devant »

Les cryptobanques comme Celsius ne sont pas réglementées, mais cela pourrait bientôt changer. Aux États-Unis, par exemple, le partenaire de la CDPQ est sous l’œil des autorités réglementaires – la Securities and Exchange Commission (SEC) – depuis plusieurs mois. Une des principales raisons : Celsius rémunère ses déposants avec sa propre monnaie virtuelle, ce qui, selon certains gendarmes boursiers, constitue une offre de titres non enregistrés qui enfreint les règles.

« CEL (le jeton numérique de Celsius) est confronté à une variété de risques […] ainsi que les risques réglementaires », souligne l’entreprise, sans s’avancer sur les conséquences potentielles d’éventuels changements au cadre réglementaire.

IMAGE FOURNIE PAR CISION

Établie à Londres, Celsius Network a reçu un investissement de la CDPQ qui pourrait atteindre 300 millions.

Celle-ci effectue aussi des prêts en cryptomonnaies à des fonds spéculatifs, mais elle n’est pas considérée comme une banque pour autant. Cela fait en sorte que rien ne protège l’argent des déposants. De plus, les cryptobanques ne sont pas assujetties à un seuil minimal de capital dans leurs réserves, contrairement aux institutions financières.

Mardi, la société n’avait pas répondu aux questions envoyées par La Presse.

Beaucoup d’incertitude

Tout changement législatif au sud de la frontière aurait des conséquences pour l’entreprise, qui aurait alors à respecter une multitude de règles afin de poursuivre ses activités. En février dernier, la SEC avait imposé des amendes totalisant 100 millions US à BlockFi, une plateforme qui s’apparente à Celsius Network, pour des infractions réglementaires. Il s’agissait de la première sanction du genre. Celsius Network pourrait aussi écoper.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille et président d’Investissements Rivemont

On est en train de dire à ces entreprises : “Wô, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi”. En diffusant son avis, Celsius voulait dire aux déposants qu’il se passe quelque chose. On va voir dans les prochaines semaines si une décision sera prise.

Martin Lalonde

La Caisse voit les choses d’un autre œil.

Sa porte-parole, Kate Monfette, a estimé, dans une déclaration, que la sortie de son partenaire constituait un « effort proactif de mettre à jour [ses] politiques de divulgation », ajoutant que l’entreprise était en « hypercroissance dans un secteur en ébullition ».

« Il s’agit pour nous d’un moment propice pour nous intéresser à ce secteur et investir dans cette nouvelle catégorie d’actif tout en adoptant une approche très ciblée et réfléchie et en travaillant avec nos partenaires pour une réglementation de l’industrie », a-t-elle écrit.

M. Lalonde est catégorique : l’investissement de la CDPQ est « plus risqué qu’au départ » en raison de la tournure des évènements. Le gestionnaire de portefeuille ajoute cependant qu’il faudra quelques années avant de savoir si l’institution québécoise a fait un mauvais pari.

Plusieurs institutions financières américaines comme Morgan Stanley, JP Morgan et Wells Fargo ont effectué des incursions dans le créneau des monnaies virtuelles. La décision de la Caisse, même si elle est risquée, n’est pas précipitée, estime le gestionnaire de portefeuille chez Rivemont.

En savoir plus
  • 1 million
    Celsius Network dit compter plus de 1 million de clients à travers le monde
    Source : Celsius network
    420
    L’actif net de la CDPQ s’élevait à environ 420 milliards à la fin de 2021
    Source : caisse de dépôt et placement du québec