(Ottawa) Les trois principaux partis de l’opposition ont tous déposé des projets de loi à la Chambre des communes pour préserver les fonds de pension des travailleurs en cas de faillite d’une entreprise. Maintenant que le Nouveau Parti démocratique (NPD) appuie le gouvernement libéral, l’un de ces projets de loi aura-t-il de meilleures chances d’être adopté ?

Claude Sénéchal était retraité depuis 12 ans lorsque Sears a déclaré faillite en 2017. Du jour au lendemain, sa rente mensuelle a été amputée de 30 %. Il a aussi perdu tous les avantages sociaux que lui garantissait l’entreprise à la retraite : assurance-vie, assurance dentaire, assurance pour les soins de la vue et les soins médicaux.

« Dans le cas d’un retraité qui a 65 ans et plus, tu ne peux pas te refaire, constate-t-il. C’est impossible. Il faut que tu acceptes de te serrer la ceinture et de vivre avec moins. »

En octobre 2017, 3100 retraités de Sears, qui bénéficiaient d’un régime à prestations déterminées, étaient dans cette situation au Québec. La liquidation des actifs de l’entreprise a permis d’amoindrir leur perte de revenus qui est aujourd’hui de 14 %. Pour certains, cette perte fait tout de même encore très mal.

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Claude Sénéchal, retraité de Sears

Je connais des gens de 70-72 ans qui sont retournés travailler 15 heures par semaine pour aller se chercher un petit revenu d’appoint. Quand tu as travaillé pendant 35 ans pour une même entreprise, je trouve ça déshumanisant. Ça n’a pas de sens !

Claude Sénéchal, retraité de Sears

Dans une lettre ouverte en mars, nombre de groupes, dont la Fédération canadienne des retraités et le Réseau FADOQ, priaient le gouvernement libéral d’adopter une loi pour protéger les régimes de retraite. « Les pensions sont des salaires différés », ont-ils rappelé.

Consensus dans l’opposition

Le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique ont tous déposé des projets de loi à la Chambre des communes pour éviter que d’autres personnes vivent un tel cauchemar. Les retraités sont parmi les derniers créanciers remboursés en cas de faillite d’une entreprise. Ils ne bénéficient d’aucun statut particulier, contrairement aux banques qui sont payées en premier.

« Les retraités ne sont pas représentés dans les créanciers prioritaires au même titre que les taxes municipales », explique la députée bloquiste Marilène Gill. Celle-ci en est à sa troisième tentative depuis 2015. Son projet de loi précédent pour corriger cette situation s’est rendu jusqu’à l’étape du comité parlementaire lors de la dernière législature, avant de mourir au feuilleton après le déclenchement des élections.

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Marilène Gill, députée de Manicouagan

« Juste l’année dernière en juin, tous les groupes qui appuyaient le projet de loi couvraient 3,5 millions de personnes au Canada, indique-t-elle. Pour moi, c’était significatif. Ça démontrait qu’il y avait un besoin de la population. »

La législation qu’elle propose comprend désormais une indemnisation pour la perte des assurances collectives. Le projet de loi du député néo-démocrate Daniel Blaikie va encore plus loin en exigeant que ces assurances soient carrément maintenues et que les retraités soient payés en premier, avant les banques. Il requiert également que les fonds de pension fassent rapport régulièrement au Bureau du surintendant des institutions financières afin que des mesures soient prises rapidement s’ils sont sous-capitalisés.

Le but est d’avoir un régime de retraite bien financé où on ne laisse pas un passif s’alourdir. Et s’il y en a un au moment d’une faillite, que les retraités aient une priorité de remboursement plus élevée.

Daniel Blaikie, député d’Elmwood–Transcona

La conservatrice Marilyn Gladu suggère aussi que les retraités soient parmi les créanciers prioritaires en cas de faillite – pas les premiers –, mais son projet de loi ne contient rien pour les assurances collectives. « C’est un grand coût qui est incertain », justifie-t-elle.

Son projet de loi offrirait toutefois une assurance qui garantirait jusqu’à 2000 $ par travailleur et permettrait de transférer un fonds de pension sous-capitalisé vers un autre régime de retraite. Il est déjà rendu à l’étape de la deuxième lecture.

Compromis nécessaires

S’il y a consensus entre les trois partis de l’opposition pour prioriser les retraités en cas de faillite, ils devront faire des compromis pour régler la question une fois pour toutes. « Ça fait 10 ans qu’on essaie d’avoir un projet de loi sur ce sujet, alors c’est le temps de décider sur quoi nous pouvons nous mettre d’accord », affirme Marilyn Gladu.

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Marilyn Gladu, députée de Sarnia–Lambton

La députée de la circonscription ontarienne de Sarnia–Lambton se dit ouverte à des amendements, mais ne veut pas plier sur la question des assurances collectives qui ne serait pas acceptée par les conservateurs et les libéraux.

La protection des fonds de pension ne fait pas partie de l’entente entre le gouvernement de Justin Trudeau et le NPD, mais Daniel Blaikie a tout de même bon espoir qu’un projet de loi sera adopté.

« Je suis quand même optimiste – pas que le gouvernement serait peut-être prêt à faire quelque chose sur l’enjeu –, mais qu’il y aurait peut-être une façon de trouver un consensus sur les bancs de l’opposition, dit-il. On a vraiment juste besoin d’une majorité dans la Chambre des communes. »

L’un des projets de loi pourrait donc être adopté sans l’appui du gouvernement, qui ne détient pas une majorité de sièges. Il reste que les partis risquent d’avoir de la difficulté à s’entendre.

Même s’il avait été invité, Daniel Blaikie brillait par son absence lundi à une conférence commun de presse de Marilyn Gladu et de Marilène Gill qui appellent à un effort transpartisan.

Le député d’arrière-ban Ryan Turnbull, qui a parrainé une pétition sur la protection des fonds de pension, était aussi absent, et ce, même s’il tente de convaincre ses collègues au caucus libéral d’aller de l’avant.

« Ultimement, si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais », affirme en entrevue le directeur québécois du syndicat des Métallos, Dominic Lemieux, qui était présent à la conférence de presse.

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, ne ferme pas la porte. « Nous nous entendons tous sur le fait que les pensions devraient bénéficier de plus amples protections », a déclaré par écrit son attachée de presse, Laurie Bouchard. « […] Nous voulons notamment éviter qu’il y ait des conséquences néfastes et imprévues qui puissent être subies par les entreprises, les travailleurs et les retraités. »

Le paiement obligatoire des avantages sociaux pourrait, par exemple, rendre une entreprise en faillite moins attrayante pour un rachat.

Il est trop tard pour les retraités de Sears comme Claude Sénéchal, mais celui-ci compte bien continuer de mener le combat. « Ce n’est pas parce que nous, on n’est plus directement impliqués, qu’on va laisser tomber la balle », conclut-il.

Quand une assurance fait toute la différence

Les centaines de retraités de Groupe Capitales Médias ne sont pas tous égaux. Ceux qui ont travaillé pour le quotidien Le Droit pourront récupérer la majeure partie de la perte de leurs revenus de retraite après la restructuration de l’entreprise en 2019. L’Ontario offre un régime d’assurance pour garantir les prestations en cas de faillite, ce que le Québec n’a pas.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation de retraités du Groupe Capitales Médias, à Montréal, en 2019

« C’est l’un des grands avantages dont on bénéficie en Ontario, un avantage qu’on ne soupçonnait pas », fait remarquer Pierre Jury, qui était éditorialiste au Droit jusqu’en 2020. Comme beaucoup, il ignorait l’existence du Fonds de garantie des prestations de retraite (FGPR) jusqu’à ce qu’il en ait besoin.

Des six quotidiens de Groupe Capitales Médias, Le Droit est celui dont le fonds de pension a enregistré les plus lourdes pertes. Les employés ont perdu 28 % de leur régime à prestations déterminées. Pierre Jury s’attend à récupérer presque l’entièreté de ce manque à gagner l’automne prochain.

La situation de Pierre Pelchat, un retraité du Soleil, est tout autre. Son revenu de retraite est amputé de 22 % depuis 2020. « Ce qui est choquant, c’est qu’on a cotisé et on a joué les règles du jeu, confie-t-il. Puis, quelqu’un décide du jour au lendemain que c’est terminé. Vous aviez 100 000 $ dans votre compte en banque, il vous en reste 75 000 $ et vous n’avez plus un mot à dire. »

Des retraités militent depuis plusieurs années pour que le gouvernement québécois crée une assurance qui garantirait les prestations des fonds de pension en cas de faillite comme celle qui existe en Ontario.

Le FGPR existe depuis 1980 et est administré par l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers. Il garantit la première tranche de 1500 $ des prestations mensuelles.

« C’est un autre type de protection qui n’exige aucune contribution du gouvernement », explique Jean-Paul Joanisse, trésorier de la Fédération canadienne des retraités. En Ontario, le fonds est entièrement financé par les entreprises qui offrent des régimes à prestations déterminées. Sa valeur s’élevait à près de 1,2 milliard en 2021, selon son plus récent rapport annuel.

Québec reste à convaincre

Malgré leurs lettres, leurs manifestations et leurs conférences de presse, les retraités n’ont pas réussi à convaincre le ministre des Finances, Eric Girard. Il craint que cela n’accélère « le déclin des régimes à prestations déterminées ». Une rencontre est toutefois prévue entre le groupe de retraités et des employés de son cabinet le 13 mai.

« Nous sommes très sensibles à la situation des retraités, a-t-il déclaré par écrit. Par contre, un fonds de garantie similaire à celui de l’Ontario impliquerait un coût supplémentaire significatif pour tous les participants de tous les régimes. » Il fait valoir que la loi 68 adoptée en décembre 2020 pour permettre les régimes à prestations cibles donne de nouvelles options aux retraités pour transférer leurs avoirs lorsque leur fonds de pension est menacé.

Pierre Pelchat et Jean-Paul Joanisse ne baissent pas les bras. Ils espèrent sensibiliser tous les partis politiques à leur cause en prévision de la prochaine campagne électorale. Ils devront aussi convaincre les syndicats, qui craignent de perdre une partie de l’argent qui irait normalement dans l’enveloppe pour le renouvellement des conventions collectives.

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    Nombre de régimes à prestations déterminées au Québec
    Source : Retraite Québec