La dépendance à un fournisseur est à proscrire dans tout domaine. Davantage quand cela touche un secteur névralgique comme l’énergie. C’est la situation de l’Allemagne et, dans une certaine mesure, de l’Europe quant au gaz naturel russe. Le conflit en Ukraine met en relief une situation pourtant prévisible.

Près de la moitié du gaz (44 %) et du pétrole (48 %) consommés en Europe provient de Russie, les États-Unis ne comptant que pour moins de 5 % des volumes importés. L’Allemagne est dans une situation d’extrême dépendance encore plus évidente avec plus de 60 % d’importation de gaz russe.

Historiquement, l’Europe est alimentée en gaz naturel pour l’essentiel par la mer du Nord et par des gazoducs russes transitant par l’Ukraine. Une importante interruption des livraisons russes vers l’Europe en 2005, causée par l’Ukraine, a profondément altéré les échanges énergétiques de la région. Ce transit de gaz a été interrompu à quelques reprises par la suite. Tant l’Europe que la Russie désiraient alors se doter de solutions de rechange qui contourneraient l’Ukraine.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Imbleau, PDG de l’Administration portuaire de Montréal

C’est à cette période que se sont amorcés les travaux du projet North Stream, un premier système de gazoducs évitant l’Ukraine et reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. À la suite de l’évènement de Fukushima, au Japon, en 2011, l’Allemagne a pris la décision historique de fermer ses centrales nucléaires et soutenu la réalisation d’un autre projet, North Stream II, qui allait pourtant la rendre encore plus dépendante de la Russie.

À une période où la Russie intégrait le nouveau G8, la vision hégémonique gazière russe visait l’encerclement de l’Europe et la pénétration des marchés nord-américains. Avec les gazoducs du Nord, la dépendance éventuelle de l’Europe était évidente. Cette première manche a été un succès pour la Russie.

À la même période en Amérique du Nord, la stagnation de la production d’hydrocarbures traditionnels faisait grimper les prix. Les prévisions étaient d’ailleurs une déplétion des ressources à moyen terme. L’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) était devenue l’avenue à privilégier. L’Europe, par gazoduc, et l’Amérique, par GNL, étaient désireuses au même moment de gaz russe.

L’exploitation des gaz et pétroles de schiste a changé la donne de façon draconienne, en confirmant l’abondance des ressources en hydrocarbures. Les États-Unis sont devenus la première nation productrice de pétrole et de gaz combinés. D’importantes installations du golfe du Mexique construites pour l’importation ont été converties pour l’exportation. N’eût été la volonté d’exploiter massivement ces nouvelles ressources, l’Amérique du Nord aurait pu devoir compter en partie sur le gaz russe. Les États-Unis étant devenus une puissance énergétique, la Russie a perdu cette deuxième manche !

Le conflit en Ukraine qui se joue sous nos yeux provoque la troisième manche d’une joute politico-énergétique complexe. Vouloir exporter de l’Amérique plus d’énergie pour offrir une solution de rechange à l’Europe est louable.

S’il est assez aisé de remplacer physiquement le pétrole russe par d’autres sources internationales, la nature physique du gaz naturel le rend plus ardu à remplacer. Le gaz se transporte à très haute pression par des gazoducs.

Le GNL est une option, mais beaucoup plus complexe à gérer. La capacité d’exportation de GNL américain, même si elle est en croissance, est limitée comparativement aux imposants volumes de gaz russe acheminés par canalisation. L’influence énergétique américaine est donc limitée.

Le Canada en renfort ?

Le Canada pourrait-il approvisionner l’Allemagne ? C’était l’objectif de certains projets développés au pays qui ne se sont pas matérialisés. Ils ont été abandonnés, se sont vu refuser leurs approbations ou sont en dormance. Le manque de capacités de gazoduc vers l’est a eu raison de certains de ces projets. Cela n’insinue pas pour autant leur faisabilité économique ni leur bien-fondé environnemental.

Si le souhait était de réactiver ces projets, cela prendrait au minimum trois ou quatre ans pour terminer leur construction. Mais les phases d’ingénierie et de processus environnementaux, même accélérés, s’ajouteraient à ce calendrier. Les capacités pour alimenter ces projets étant insuffisantes, l’approbation éventuelle de nouveaux gazoducs est davantage sur le chemin critique que les usines elles-mêmes.

Maintenant que l’Occident est à pied d’œuvre pour libérer l’Europe du joug énergétique russe, il ne suffit pas de réfléchir à des projets urgents d’infrastructures ou de rouvrir spontanément des fronts diplomatiques avec certains régimes. L’émancipation énergétique européenne annoncée est souhaitable, mais la contribution du gaz naturel à court terme est semée d’obstacles.