(Nanterre) La justice française a délivré un mandat d’arrêt international contre Carlos Ghosn, l’ancien patron de l’alliance Renault Nissan qui vit actuellement au Liban et a clamé son innocence, vendredi, face aux soupçons d’abus de biens sociaux, de blanchiment et de corruption.

Le Franco-Libano-Brésilien de 68 ans, qui devait être jugé à Tokyo pour des malversations financières, vit à Beyrouth depuis sa fuite rocambolesque du Japon fin 2019.

Le mandat délivré jeudi, dans le cadre d’une enquête instruite à Nanterre et qui vaut mise en examen, est un message fort envoyé aux autorités libanaises, qui n’extradent pas leurs ressortissants et ont interdit à M. Ghosn de voyager. Si ce mandat est exécuté, l’ex-PDG sera présenté à un juge d’instruction à Nanterre qui lui notifiera sa mise en examen.

Dans le viseur de la justice : près de 15 millions d’euros de paiements considérés comme suspects entre RNBV, filiale néerlandaise incarnant l’alliance Renault-Nissan, et le distributeur du constructeur automobile français à Oman, Suhail Bahwan Automobiles (SBA).

Outre celui visant Carlos Ghosn, le juge d’instruction en charge de l’enquête a délivré quatre mandats d’arrêt internationaux contre le fondateur de SBA, les deux fils de ce dernier et l’ancien directeur général, selon deux sources proches du dossier.

La justice leur reproche des faits de blanchiment ou de corruption.

L’information judiciaire, ouverte contre X en février 2020 par le parquet de Nanterre, notamment pour abus de biens sociaux et blanchiment, a été élargie en juillet dernier au chef de « corruption ».

« Aucun détournement »

« Il n’y a eu absolument aucun détournement, tous les montants qui ont été payés à ce distributeur sont basés sur des contrats confirmés, des performances qui se sont révélées, des demandes faites par les responsables commerciaux de Renault et Nissan », a affirmé vendredi soir Carlos Ghosn au micro de BFM TV.

« Pas un sou de Renault ni de Nissan ne m’a été indûment donné, directement ou indirectement […] S’il y avait des preuves, elles auraient déjà fuité dans la presse » a ajouté M. Ghosn, qui dément également avoir « été rémunéré par le distributeur d’Oman en (sa) qualification de patron de Renault et de Nissan ».

Le groupe Renault, partie civile depuis février 2020 dans ce dossier et qui ne s’était jamais exprimé jusqu’à présent, « prend note de la décision des magistrats », a indiqué à l’AFP son avocat, Me Kami Haeri.

« C’est une étape majeure qui s’explique par la gravité des faits nouveaux qui ont été mis en lumière au terme d’investigations minutieuses mettant au jour des relations financières occultes portant sur plusieurs millions d’euros entre Carlos Ghosn et les fondateurs et dirigeants de SBA », a-t-il ajouté.

Dans ce dossier, la justice soupçonne également M. Ghosn d’avoir tiré un bénéfice personnel d’une convention de mécénat entre Renault et l’établissement gérant le Château de Versailles, en y organisant deux soirées privées, ce qu’il conteste.

De son côté, le fondateur de la société omanaise SBA, Suhail Bahwan, « conteste formellement avoir pris part, de quelque manière que ce soit, aux infractions visées par le mandat d’arrêt » émis à son encontre par le tribunal de Nanterre, a déclaré à l’AFP son avocat, Christophe Ingrain.

« Cauchemar »

Visé par un mandat d’arrêt japonais, et par une notice rouge d’Interpol à la demande du Japon, Carlos Ghosn est contraint de rester au Liban depuis qu’il a fui l’archipel nippon en décembre 2019, caché dans un caisson de matériel audio.

« On a l’air de considérer que je suis libre […] Je dépends de la justice libanaise, c’est elle qui m’interdit de quitter le territoire », a rappelé l’ancien grand patron, qui espère « pouvoir un jour venir France » et « qu’une bonne coopération entre la France et le Liban finira par mettre fin à ce cauchemar ».

Vénéré au Liban comme un géant des affaires, il donne des conférences à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), près de Beyrouth, mais se fait discret médiatiquement.

Arrêté à Tokyo en novembre 2018, il avait justifié son évasion en assurant avoir voulu « échapper à l’injustice » et en dénonçant un « complot » des autorités japonaises.  

Pour mener à bien leurs investigations, des magistrats français s’étaient déjà déplacés deux fois à Beyrouth.

En février dernier, les magistrats de Nanterre y ont auditionné deux témoins. Au mois de juin précédent, ils avaient procédé, avec des magistrats de Paris, à l’audition libre de M. Ghosn pendant cinq jours, pour les enquêtes le visant à Nanterre et à Paris.

L’enquête à Paris s’intéresse aux prestations de conseil conclues par RNBV avec l’ancienne ministre française de la Justice Rachida Dati et le criminologue Alain Bauer. Dans ce dossier « qui suit son cours », « aucun mandat d’arrêt » n’a été lancé contre M. Ghosn, a indiqué une source judiciaire à l’AFP.