« Le scandale Norbourg n’aurait pas eu lieu en 2022 », croit Yvon Laprade, journaliste et auteur du livre L’autopsie du scandale Norbourg, publié en 2009.

Ce livre a servi de référence pour le film Norbourg qui sort ce mois-ci dans des cinémas à travers le Québec pour raconter l’histoire de cette fraude estimée à plus de 100 millions ayant floué plus de 9000 petits épargnants.

Le film résume en deux heures ce qu’ont réussi à faire à l’aide de manigances et d’entourloupettes l’ex-président de Norbourg, Vincent Lacroix, et son complice Éric Asselin.

« Le film est réaliste. Je ne peux pas dire que c’est une fiction. Ça se rapproche pas mal de la réalité », dit Yvon Laprade, qui a appuyé le scénariste du film à titre de consultant.

Même s’il se trouvera toujours des filous prêts à contourner les règles, la réalité du monde financier est différente de ce qu’elle était au début des années 2000 lorsque Vincent Lacroix est parvenu à détourner de l’argent avec l’aide d’Éric Asselin.

« On était à l’époque moins outillé et moins conscient de bien des enjeux », dit Yvon Laprade.

La Commission des valeurs mobilières du Québec n’avait pas la même envergure d’enquête que l’Autorité des marchés financiers aujourd’hui. En 2022, je ne suis pas certain que Vincent Lacroix aurait pu survivre très longtemps avec un stratagème comme celui-là.

Yvon Laprade, journaliste et auteur de L’autopsie du scandale Norbourg

Ce scandale aurait pu être évité s’il y avait eu une plus grande vigilance de la part des autorités, pense Yvon Laprade.

Manque de vigilance

« Les enquêtes qui n’ont pas abouti, les gardiens de valeur qui envoyaient de l’argent sans aucun contrôle, la Caisse de dépôt qui a vendu ses fonds Évolution à Lacroix sans trop se poser de questions, etc., tout ça est abordé dans le film, mais le film aurait pu insister davantage sur le manque de vigilance et de vérifications à l’époque. Le monde de la finance était un peu plus laxiste dans ses façons de réguler les marchés. Il manquait de rigueur. Tout le monde était un peu nonchalant. »

Si Yvon Laprade apprécie le film dans son ensemble, il n’hésite pas à se montrer critique. « Il y a des raccourcis, c’est certain, mais c’est quand même une histoire qui se tient », dit celui qui a passé un nombre incalculable d’heures à réaliser des entrevues et à fouiller l’affaire pour l’écriture de son livre.

« Vincent Lacroix a survécu grâce à un enquêteur [Éric Asselin] qui est passé dans le camp de Norbourg. C’est le gros morceau. Le film le montre. On le voit que c’est grâce à Asselin. Mais la personnalité d’Asselin est encore plus forte que celle projetée par le film », affirme-t-il.

« On dépeint Asselin comme un profiteur qui a besoin d’argent et qui travaille beaucoup pour le cash. Il est plus vindicatif dans les faits que dans le film. Je ne dis pas que le film rend les deux personnages plus sympathiques, je dirais qu’Asselin n’a pas beaucoup de valeurs morales. C’est plus un arriviste. Dans le film, on le sent parfois un peu plus tourmenté, alors que selon ce que j’ai pu comprendre, voir et documenter, il était davantage un wiseguy. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Vincent Lacroix arrive à sa maison de transition après sa libération, le 27 janvier 2011.

Le visage du fraudeur

Parler d’une fraude de 130 millions paraît peu aujourd’hui, lance Yvon Laprade. « Ce qui fait qu’on en parle encore, c’est qu’on a mis un visage sur un fraudeur. On a vu un petit gars de Magog, un Québécois francophone qu’on pouvait connaître, un gars du Québec qui voulait être une vedette de la finance, pas un Earl Jones ou un Bernie Madoff », dit-il.

« Norbourg se voulait une étoile montante. Beaucoup de gens avaient investi au Québec, car les fonds Évolution achetés par Norbourg appartenaient à la Caisse de dépôt. Les victimes ne cherchaient pas des rendements de 20 %. Ils ont été mis devant le fait accompli. L’imaginaire est fort là-dessus. »

Éric Asselin était le bras droit et le bras gauche de Vincent Lacroix. Il est devenu la personne qui a protégé Lacroix face aux enquêtes et a été son protecteur en échange de beaucoup d’argent, dit Yvon Laprade.

« Il était brillant, Asselin. Il connaissait les mécanismes et évitait les pièges. Il est devenu son bras gauche quand l’AMF a relancé l’enquête de la CVMQ et envoyé des citations à comparaître à Lacroix et à Asselin. C’est à ce moment qu’Asselin a réalisé que l’étau se resserrait et qu’il a dénoncé Lacroix à la GRC pour éviter de se faire poursuivre. »

Éric Asselin est présenté comme un manipulateur dans le thriller qui montre les travers de Lacroix avec les sorties aux danseuses, chez Parée, sa folie des grandeurs (avoir une filiale en Suisse), les nombreuses soirées bien arrosées au resto, les sorties de fonds, le rutilant siège social au centre-ville, la manipulation des chiffres afin d’éviter que les enquêteurs voient la réalité, etc.

Le film prend l’affiche le vendredi 22 avril. Sa sortie en salle survient au moment où l’Autorité des marchés financiers multiplie les mises en garde aux petits investisseurs contre les bandits, notamment en lien avec les cryptoactifs. Vous avez peut-être entendu à la radio une des nombreuses publicités de l’AMF qui dit : « Vous avez un intérêt pour les cryptos ? Les fraudeurs aussi. »