L’oligarque russe Roman Abramovitch aurait investi dans une firme américaine, Sculptor Capital Management, qui est aussi actionnaire minoritaire du Cirque du Soleil.

Selon le Wall Street Journal, Roman Abramovitch aurait investi au fil des ans des sommes dans plusieurs firmes de fonds de couverture (hedge funds) aux États-Unis par l’entremise de la société new-yorkaise Concord Management. Le Wall Street Journal nomme cinq firmes américaines dans lesquelles M. Abramovitch aurait investi, dont Sculptor Capital Management, située à New York.

Depuis novembre 2020, Sculptor est l’un des actionnaires minoritaires du Cirque du Soleil. À travers ses différents fonds, Sculptor détient actuellement 3 % du Cirque.

Est-ce dire que Roman Abramovitch a des intérêts financiers dans le Cirque du Soleil par l’entremise de Sculptor ? Pas nécessairement. Ça dépend dans quels fonds de Sculptor il aurait investi.

Sculptor Capital Management est une firme d’investissement qui gère plusieurs fonds distincts (au moins une dizaine, selon son dernier rapport annuel) pour ses investisseurs. Un investisseur chez Sculptor n’investit pas nécessairement dans tous les fonds de Sculptor. Au 31 décembre 2021, l’actif total sous gestion de la firme était de 38 milliards US.

Sculptor n’a pas répondu à nos questions, notamment pour savoir précisément si M. Abramovitch est l’un des investisseurs des fonds de Sculptor qui détiennent 3 % du Cirque du Soleil. On ne sait donc pas s’il a investi dans les fonds de Sculptor ayant ensuite investi dans le Cirque du Soleil, ou s’il a investi dans d’autres fonds de Sculptor.

Sculptor n’a pas confirmé non plus si le milliardaire russe avait investi des sommes chez eux, comme l’a écrit le Wall Street Journal.

De son côté, le Cirque du Soleil ne connaît pas l’identité des investisseurs de chacun de ses actionnaires. « On ne connaît pas les actionnaires des fonds qui investissent dans notre entreprise », dit Caroline Couillard, directrice en chef mondiale des relations publiques du Cirque du Soleil. L’entreprise québécoise n’a pas souhaité commenter davantage le dossier. Sculptor ne siège pas au conseil d’administration du Cirque.

Pages Jaunes

Roman Abramovitch aurait aussi investi dans une autre firme américaine, Empyrean Capital Partners, qui détient environ 21 % des actions de l’entreprise montréalaise Pages Jaunes, a révélé mardi Le Journal de Montréal.

Pages Jaunes a indiqué au Journal de Montréal n’avoir « aucune connaissance » des intérêts possibles de M. Abramovitch dans Empyrean Capital Partners, l’une des cinq firmes citées par le Wall Street Journal comme celles où il aurait investi de l’argent.

Une situation complexe

Ces exemples impliquant – ou pas – l’oligarque multimilliardaire russe le plus connu en Occident démontrent l’importance et la complexité des investissements des oligarques russes en Occident, ainsi que la difficulté de leur imposer des sanctions économiques.

M. Abramovitch, qui valait 14,5 milliards US en avril 2021 selon Forbes, fait l’objet de sanctions économiques au Royaume-Uni, dans l’Union européenne et au Canada, mais pas aux États-Unis.

Selon le Wall Street Journal, plusieurs firmes américaines se sont tout de même fait suggérer en mars de geler les actifs de M. Abramovitch, qui tentait alors d’en vendre une partie.

Au Royaume-Uni, M. Abramovitch est actionnaire majoritaire du club de soccer de Chelsea, qui se retrouve en pratique à fonctionner sous la tutelle du gouvernement britannique en raison des sanctions économiques. Les entreprises dont M. Abramovitch est actionnaire minoritaire – par exemple, l’entreprise sidérurgique britannique Evraz – peuvent poursuivre leurs activités relativement normalement.

Actionnariat minoritaire ou majoritaire, le principe de base des sanctions reste le même : un oligarque sanctionné ne peut pas tirer de bénéfices de ses actifs (par exemple, il ne peut pas recevoir de dividendes ou vendre ses actifs).

« On se retrouve dans une situation où les aspects pratiques entrent parfois en conflit avec les principes derrière les sanctions, dit Jennifer Quaid, professeure de droit pénal des entreprises à l’Université d’Ottawa. C’est facile de dire qu’il faut geler tous les actifs d’un oligarque. Mais lorsqu’on sanctionne, il faut faire attention de ne pas provoquer des conséquences collatérales qui vont faire plus de mal à l’économie canadienne. »

De façon générale, le gouvernement du Canada estime que ses sanctions économiques imposées à la Russie et aux oligarques sont « parmi les plus fortes ». « Lorsque nous imposons des sanctions [aux oligarques], nous rendons leurs actifs inutiles et nous les privons de leur valeur. Ils ne peuvent être ni vendus ni transférés – les transactions sont tout simplement impossibles », indique par courriel le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Qui est Roman Abramovitch ?

  • Sa fortune était évaluée à 14,5 milliards US en avril 2021 par Forbes (il était alors au 12e rang des personnes les plus riches de Russie).
  • Il possède, depuis 2003, le club de soccer de Chelsea, l’une des meilleures équipes du Royaume-Uni et du monde.
  • D’abord « trader » dans le marché du pétrole, il a acheté des champs pétroliers pour créer son entreprise pétrolière Sibneft dans les années 1990 ; il a vendu Sibneft pour 13 milliards en 2005.
  • Selon le Wall Street Journal, M. Abramovitch tenterait de jouer un rôle de médiateur entre Kyiv et Moscou ; lui et deux négociateurs ukrainiens auraient été victimes d’un « possible empoisonnement alimentaire » lors d’une séance de négociations (leur état s’est amélioré et leur vie n’est pas menacée).
  • Selon le Wall Street Journal, l’Ukraine aurait demandé aux États-Unis de ne pas inscrire M. Abramovitch sur la liste des oligarques sanctionnés en raison du rôle qu’il pourrait jouer dans les négociations entre la Russie et l’Ukraine. M. Abramovitch assiste cette semaine aux négociations à Istanbul.