À l’heure où les chaînes internationales d’approvisionnement sont menacées, des fabricants québécois entreprennent des courses à relais où chaque fournisseur ajoute sa part à la pièce du précédent pour aboutir au produit final. Nous remontons l’une de ces filières, qui mène en quatre étapes à l’autocar X3-45 de Prevost, prêt à être livré. Aujourd’hui : la petite pièce d’acier d’Estampro.

La Beauce recèle toutes sortes de petits trésors méconnus.

Prenez Estampro, par exemple, une dynamique entreprise située – cachée ! – dans la minuscule municipalité de Saint-Évariste-de-Forsyth. Ses employés (bientôt 150) sont à peine moins nombreux que les habitants de l’endroit (597).

Pourtant, les assemblages de métal qu’on y fabrique se retrouvent dans les véhicules les plus hétéroclites, sous la plupart des latitudes et à presque toutes les altitudes – y compris en haute montagne.

L’une de ces pièces prendra place dans la face avant de l’autocar X3-45 de Prevost. La petite plaque d’acier constitue le point de départ d’une chaîne de fournisseurs québécois. À chaque étape, la pièce du précédent est intégrée dans la suivante, comme des poupées gigognes emboîtées les unes dans les autres. Il existe une autre expression, mais l’actualité internationale s’y prête mal.

  • Estampro fabrique plusieurs pièces destinées aux autocars de Prevost, dont ces robustes composantes de suspension.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Estampro fabrique plusieurs pièces destinées aux autocars de Prevost, dont ces robustes composantes de suspension.

  • Le dessin d’une des deux pièces destinées à la face avant de l’autocar X3-45. Elles n’étaient pas en production au moment de notre visite.

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR ESTAMPRO

    Le dessin d’une des deux pièces destinées à la face avant de l’autocar X3-45. Elles n’étaient pas en production au moment de notre visite.

  • Cette pièce en fin grillage d’acier a été taillée sur la vieille presse d’estampage qui se dresse derrière Dominic Fortin. Il s’agit d’une des machines d’origine que son père a achetées avec l’usine en 1984.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Cette pièce en fin grillage d’acier a été taillée sur la vieille presse d’estampage qui se dresse derrière Dominic Fortin. Il s’agit d’une des machines d’origine que son père a achetées avec l’usine en 1984.

  • Les trois enfants du fondateur Gaétan Fortin, Sébastien, Caroline et Dominic, se tiennent devant un des nouveaux robots soudeurs de l’entreprise, à l’ouvrage sur un châssis.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Les trois enfants du fondateur Gaétan Fortin, Sébastien, Caroline et Dominic, se tiennent devant un des nouveaux robots soudeurs de l’entreprise, à l’ouvrage sur un châssis.

  • D’origine camerounaise, Léonie Langa est opératrice de robot soudeur. Estampro compte 125 employés, auxquels 25 nouveaux travailleurs étrangers se joindront bientôt. Les premiers ont été engagés en 2011.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    D’origine camerounaise, Léonie Langa est opératrice de robot soudeur. Estampro compte 125 employés, auxquels 25 nouveaux travailleurs étrangers se joindront bientôt. Les premiers ont été engagés en 2011.

  • Dominic Fortin, président d’Estampro, et Jocelyn Trottier, chargé du projet, exhibent le fin assemblage d’acier qui sera incorporé dans un tableau de bord d’autocar Prevost, pour maintenir les fils et les instruments.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Dominic Fortin, président d’Estampro, et Jocelyn Trottier, chargé du projet, exhibent le fin assemblage d’acier qui sera incorporé dans un tableau de bord d’autocar Prevost, pour maintenir les fils et les instruments.

  • Dans l’usine, un châssis de véhicule spécialisé en acier soudé, en cours d’inspection, s’allonge sur près de 12 mètres. Les dimensions critiques sont vérifiées avec un système de mesure 3D portatif.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Dans l’usine, un châssis de véhicule spécialisé en acier soudé, en cours d’inspection, s’allonge sur près de 12 mètres. Les dimensions critiques sont vérifiées avec un système de mesure 3D portatif.

  • Deux des 40 soudeurs de l’entreprise sont à l’œuvre sur un châssis de véhicule alpin.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Deux des 40 soudeurs de l’entreprise sont à l’œuvre sur un châssis de véhicule alpin.

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« Prevost fait vivre énormément d’entreprises dans la région », constate Dominic Fortin, président d’Estampro. « II y a plein de fournisseurs qui mettent leurs efforts en collaboration et qui réussissent à faire un produit que Prevost va installer sur sa ligne de production. C’est un beau maillage, et on a un beau groupe de fournisseurs au Québec. »

Estampro joue ce rôle auprès de plusieurs entreprises québécoises et étrangères, pour lesquelles elle fabrique des pièces qui pèsent des centaines de kilos… ou quelques infimes grammes.

Famille soudée

Estampro est née en 1984, quand Gaétan Fortin est devenu l’unique propriétaire d’une petite usine d’estampage dont il a rapidement élargi les activités de sous-traitance.

En 2009, alors qu’un contrat potentiel avec un constructeur allemand d’éoliennes allait entraîner des investissements majeurs, les trois enfants de Gaétan Fortin, qui s’étaient joints à lui depuis une dizaine d’années, ont racheté les parts de leur père.

Sébastien, Caroline et Dominic sont maintenant tous trois dans la quarantaine.

« On s’entend bien, assure ce dernier. Comme on dit en Beauce, on a chacun notre carré de pisse. Sébastien est notre vice-président aux opérations. Caroline s’occupe de tout ce qui est financier. Moi, je suis plus aux ventes, vision du marché et ingénierie. »

Depuis une dizaine d’années, « on est spécialisés dans le transport et les véhicules spécialisés », dit-il.

Vraiment spécialisés.

Dans l’usine

Estampro fabrique les châssis des véhicules qui chargent les bagages à bord des avions, pour une entreprise française qui les exporte un peu partout sur la planète.

Dans son usine de mécanosoudure, l’un de ces monstres d’acier, en cours d’inspection, s’allonge sur près de 12 mètres.

« On fabrique les châssis au complet, précise Dominic Fortin. On peut parler de 150 à 200 sortes de pièces métalliques, faites dans notre usine. »

Et comment une entreprise de Saint-Évariste-de-Forsyth obtient-elle un contrat avec une entreprise française ? « Ils avaient un manque de capacité locale, explique le président. Ils savaient qu’on était capables de faire des châssis pour l’entreprise italienne. Ils m’ont contacté, et on a regardé ça ensemble. »

C’est tout simple.

Et cette entreprise italienne ? Il s’agit de Prinoth, qui a racheté en 2009 l’ancienne usine de dameuses et de véhicules à chenilles de Bombardier (entre-temps passée de BRP à Camoplast), à Granby.

Un de ces lourds châssis de plus de 10 mètres de long et 2 mètres de large est en cours d’assemblage par un des quatre robots soudeurs de l’entreprise. « Ils ont des yeux ! », lance Dominic Fortin. Leurs caméras et leur système d’intelligence artificielle leur permettent de repérer les écarts dimensionnels et de s’ajuster en conséquence.

Au centre du monde et des sécheuses

À l’autre extrémité du spectre pondéral – et de l’autre côté de la rue, dans son vaste atelier d’usinage –, Estampro taille des filets en fines mailles d’acier, légers comme un nuage. À peine plus grande que sa main, la pièce que brandit Dominic Fortin est l’œuvre de la vieille presse d’estampage qui dresse son lourd bâti d’acier tout à côté.

« C’est l’une des machines achetées par mon père ! », souligne-t-il avec une fierté mêlée d’amusement.

En une semaine, Estampro découpe 20 000 de ces pièces dans un matériau importé d’Asie. Elles sont ensuite expédiées au Mexique, où elles reçoivent une bordure en plastique. Ce sont dès lors des filtres, qui seront intégrés dans des sécheuses fabriquées en Arizona. Saint-Évariste-de-Forsyth est au centre du monde.

Dentelles d’acier

Pour Prevost, Estampro fabrique plus de 150 pièces différentes.

La dernière en date tient davantage de la dentellerie que de l’usinage. Ajouré, aérien, l’assemblage de feuillard métallique est si fin qu’il est expédié dans une solide caisse garnie d’un lit de mousse. Un autre fournisseur l’incorporera dans le tableau de bord de l’autocar, pour maintenir les fils et les instruments.

Souvent, Prevost arrive avec une idée de design, avec ce qu’il aimerait avoir, et c’est à nous, les fabricants, de nous casser les méninges pour nous assurer que ce soit le plus blindé possible, de la découpe métallique jusqu’à la livraison chez nos clients pour l’assemblage dans l’autobus.

Dominic Fortin, président d’Estampro

Par comparaison, la pièce destinée à la façade en fibre de verre de l’autocar X3-45 est plutôt simple.

Elle se présente comme une robuste plaque d’acier découpée au laser et aux bords pliés, à peu près de la taille d’une feuille de papier, sur laquelle des écrous et d’autres éléments de montage ont été soudés.

Elle est expédiée directement à l’usine d’Élite Composite, à Sainte-Clotilde-de-Beauce.

« On a fait une soumission à Élite, mais ce sont des pièces Prevost », précise Dominic Fortin.

Quel sera son destin à l’étape suivante ? La suite la semaine prochaine.