Il y a beaucoup plus de chances de perdre de l’argent que d’en faire (même un peu) avec son invention. Vous vous êtes réveillé avec une idée géniale ? Comment faire pour ne pas la transformer en cauchemar ?

Une bonne idée, hélas…

La coûteuse saga d’une invention utile.

C’était une excellente idée : un dispositif ajustable qui permet de retenir solidement le hayon ou le couvercle de coffre d’un véhicule, lorsqu’un objet trop volumineux en empêche la fermeture. La tige à coulisse bloquante, munie de crochets à ses extrémités, s’accroche au loquet du hayon et à l’arceau du seuil de coffre. Le système remplace les cordes et les câbles élastiques attachés à la va-vite – et à la va-dangereusement –, cause de tant de blessures aux yeux.

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Le système Hold-Up remplace les cordes et les câbles élastiques. La tige à coulisse bloquante, munie de crochets
à ses extrémités, s’agrippe au loquet du hayon et à l’arceau
du seuil de coffre.

L’invention s’est concrétisée. Raffiné par un designer industriel puis breveté et mis en production, le système a trouvé le chemin de quelques quincailleries. Des gens l’achètent sur l’internet. En trois ans, Michel Boivin en a vendu quelque 10 000 exemplaires, au prix de mille efforts et de beaucoup plus de dollars.

« J’ai 56 ans, constate-t-il, songeur. Des fois, je regarde en arrière et je me dis : quelqu’un me dirait que je vais me rendre jusque-là pour faire ça, je pense que je reculerais de trois pas. »

Il estime que son aventure lui a coûté au moins 200 000 $. Jusqu’à présent.

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En trois ans, Michel Boivin a vendu quelque 10 000 systèmes Hold-Up.

J’ai investi énormément. J’avais des appartements, je les ai vendus. Je paie encore sur ma marge de crédit pour ça !

Michel Boivin, inventeur du système Hold-Up

Un coûteux départ

Michel Boivin est électricien de métier.

Il nous parle depuis l’aéroport de Kuujjuaq, où il attend un vol reporté par le mauvais temps. Après avoir travaillé à son compte dans la région de Magog, il a accepté un contrat avec le gouvernement du Nunavik pour l’entretien des systèmes électriques des petits aéroports du Grand Nord, dont il fait la tournée jusqu’en mars.

L’idée d’un système de rétention pour hayon avait germé au milieu des années 2010, en collaboration avec un partenaire dont Michel Boivin était l’associé dans un petit atelier d’usinage. Ils ont fait d’innombrables tests avec des tiges de bois et des mécanismes approximatifs.

Son associé ne souhaitant pas investir davantage, Michel Boivin a continué seul. Son fils lui a signalé l’existence du designer industriel Michael Moliner, dont il connaissait la fille.

« Je l’ai approché. Je suis arrivé avec mes brouillons. »

Michael Moliner et son associé David Mitchell ont mis le produit au point avec une série de prototypes imprimés en 3D, en s’assurant qu’il s’ajusterait au maximum de marques de véhicules. Ils ont également mis Michel Boivin en contact avec un cabinet montréalais de propriété intellectuelle.

Pour le dépôt d’une demande de brevet au Canada et aux États-Unis, « si je ne me trompe pas, ça m’a coûté 35 000 $ », relève celui-ci.

Il fallait ensuite le fabriquer. Pour réduire les coûts et faciliter l’approvisionnement en profilés d’aluminium, il s’est tourné vers la Chine. Les moules d’injection lui ont coûté au bas mot 35 000 $ US – sans compter les frais de deux voyages.

Il a donné à son invention un nom qu’il pensait approprié à un système d’assujettissement : Hold-Up – qui retient, ou qui tient le coup.

« Je me suis dit : ça va accrocher ! »

L’ennui, c’est que ça ne s’accroche pas toujours à la bonne image : l’associant aux vols, « les gens pensent que c’est un système de sécurité ! », dit-il.

Difficile mise en marché

« Ce qui est dur, c’est le développement, réussir à s’installer dans un magasin », constate Michel Boivin.

En 2018, il a participé à l’émission Dans l’œil du dragon. « Je n’ai pas été chanceux », dit-il. Lors de l’enregistrement, il a pu montrer un beau produit, mais aucun historique de ventes qui justifierait un investissement. Pourtant, quand l’émission a été diffusée, quelques mois plus tard, il en a vendu « pour 10 000 $ sur l’internet en dedans de 20 minutes », raconte-t-il.

Il s’est débrouillé seul.

Le champion mondial des boîtes qui dépassent des coffres, IKEA, n’a pas montré d’intérêt, laissant Michel Boivin démonté. Il a tenté sa chance auprès des chaînes de quincaillerie, qui ont refusé d’établir des relations avec le fournisseur d’un produit unique.

Un quincaillier indépendant de la région de Magog a tout de même accepté de mettre son produit en étalage.

« Ils le mettent à côté des balais d’essuie-glace ! déplore Michel Boivin. Ce n’est pas là qu’il va ; il faut que tu le mettes à côté des câbles et des élastiques ! »

La chaîne CANAC a distribué le produit quelque temps, mais elle a dénoncé l’entente quand Michel Boivin a été forcé d’augmenter son prix en raison des difficultés d’approvisionnement consécutives à la COVID-19.

Avait-il fait une étude de marché ?

« C’est moi qui ai fait les études de marché, avec des recherches sur l’internet », répond-il.

Il relève que le Canada compte 15 millions de voitures. « Je me suis dit : si je suis capable d’aller chercher 2 % du marché, c’est énorme ! »

« Mais il faut essayer de le promouvoir, ajoute-t-il. Je ne sais pas comment. J’essaie. »

PHOTO FOURNIE PAR MICHEL BOIVIN

La tige est extensible, pour s’ajuster aux ouvertures.

De toutes les manières. Lorsqu’il voit sur la route une voiture avec un hayon retenu par des cordes, il lui arrive de klaxonner pour intercepter le conducteur.

« Souvent, trois fois sur quatre, j’en vends un ou deux. Les gens sont surpris : ils ne savent pas que ça existe ! »

Il a tout de même réussi à percer sur Costco en ligne.

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Le système Hold-Up est distribué par la chaîne suisse de réno-bricolage Jumbo (24,95 francs suisses).

Étonnamment, un agent commercial de Montréal a réussi à placer le Hold-Up chez la chaîne suisse de réno-bricolage Jumbo (24,95 francs suisses). Un petit marché semble également se développer du côté des carrossiers, qui se servent du Hold-Up pour maintenir une portière ou le coffre ouvert pendant le ponçage.

Il a fait de la publicité sur les réseaux sociaux. « C’est là-dessus que je réussis à aller chercher des gens qui s’intéressent au produit. »

Il répond aux commandes depuis le Nunavik, avec l’application de magasin en ligne installée sur son téléphone.

Je charge 5 $ pour le transport. Ça m’en coûte 10 $, avant les taxes. Sauf que je me dis qu’il y a un prix à payer pour me faire connaître.

Michel Boivin, inventeur du système Hold-Up

Son produit est utile, efficace, bien conçu, esthétique. « Je n’ai pratiquement jamais de retour », dit-il. Son seul défaut – une peccadille – est de lui coûter une fortune.

« Il faut être patient, c’est ce que je me dis. C’est pour ça que mon vrai gagne-pain, en ce moment, c’est de faire le métier que je connais. Pour l’instant, c’est ma passion qui me tient. Je ne le lâche pas, parce que j’y crois. Quand tu y crois, tu continues à investir. »

Un peu de soutien

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Le 19 janvier dernier, le président de la Fédération des inventeurs du Québec, Christian Varin, a été déclaré coupable de fraude, après avoir détroussé quelque 500 clients d’un total de plus d’un million de dollars, en leur faisant croire qu’il avait déposé des demandes de brevets en leur nom.

Depuis le retrait forcé de la Fédération des inventeurs du Québec (FIQ), les deux plus anciens organismes de soutien aux inventeurs, Invention Québec et Inventarium, poursuivent leur mission auprès de cette clientèle très particulière.

L’Inventarium existe depuis une trentaine d’années. Avant que la FIQ ne vienne bousculer le marché, « on pouvait ouvrir de 20 à 30 dossiers par mois, indique Daniel Paquette. Maintenant, on en ouvre une douzaine par mois ».

Invention Québec, qui fêtera son 50anniversaire au printemps, accueille pour sa part une quinzaine d’inventeurs par mois.

Sa présidente actuelle, Sylvie Brisson, y travaille depuis 35 ans. « Il y a 5525 inventeurs qui sont passés par chez nous et qu’on a accompagnés. »

« Notre mission première, c’est de donner le plus d’informations possible à l’inventeur, pour qu’il prenne une décision adéquate, décrit Sylvie Brisson. On travaille en collaboration avec des agents de brevets, des ingénieurs, des dessinateurs, des personnes qui font des vidéos 3D, des agents de marque… »

La bonne démarche

Les démarches d’Invention Québec et d’Inventarium sont relativement similaires.

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL PAQUETTE

Daniel Paquette, président fondateur d’Inventarium, avec le volumineux dossier d’enquête qu’il a assemblé sur les exactions du président de la Fédération des inventeurs du Québec.

Chez Inventarium, elle s’entame avec une ouverture de dossier, « qui comprend un formulaire de divulgation confidentielle et quelques formulaires d’information », décrit Daniel Paquette.

Ces documents sont remis à un premier intervenant, qui fera l’analyse du dossier.

« Il va donner son opinion professionnelle, et on va retourner à l’inventeur un rapport d’une quinzaine de pages, avec des commentaires, des suggestions, des recommandations, non seulement au niveau de la protection intellectuelle, mais également à propos du développement du produit et de la commercialisation. C’est quand même assez complet, et ça donne une bonne idée à la personne pour décider si elle arrête ou si elle continue. »

Si le rapport préliminaire ne ferme pas la porte, les consultants d’Inventarium effectuent ensuite une recherche internationale de brevets, question de vérifier si l’idée n’a pas déjà été brevetée.

Dépôt provisoire

Si la voie semble ouverte, une demande provisoire de brevet est déposée. « Ce n’est pas un brevet comme tel, mais c’est une date de priorité qui est octroyée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui est reconnue dans tous les pays membres du traité du PCT [Patent Cooperation Treaty] », explique Daniel Paquette.

L’inventeur a un an pour déposer une demande officielle de brevet qui, s’il est accordé, prendra effet à la date du dépôt de la demande provisoire.

Chez Inventarium, ces trois étapes – analyse préliminaire, recherche internationale de brevets, dépôt d’une demande provisoire – coûtent de 3000 $ à 3500 $.

Chez Invention Québec, la facture pour la recherche internationale de brevets et son rapport s’élève à 1250 $. Le dépôt provisoire y ajoute 1480 $. « Il faut que l’inventeur nous fournisse des dessins acceptables pour le Bureau des brevets, précise Sylvie Brisson. S’il ne peut pas les fournir, on les fait à 185 $ par planche. »

Un an pour agir

Tout se joue durant les 12 mois qui suivent le dépôt de la demande provisoire. L’inventeur a un an « pour évaluer le potentiel, voir si ça vaut la peine pour lui d’investir plus avant, estimer les coûts de fabrication », décrit Sylvie Brisson.

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Sylvie Brisson, présidente d’Invention Québec

On leur dit : dans l’année, c’est là où vous devez mettre le plus d’efforts possible pour voir à la commercialisation, conclure un partenariat avec une entreprise, ou créer vous-même votre propre entreprise.

Sylvie Brisson, présidente d’Invention Québec

Si l’inventeur a encore des ambitions, de l’espoir et des fonds, il pourra ensuite déposer une demande officielle de brevet.

« Les agences de brevets, c’est hors de prix, commente Daniel Paquette. Il y a peu d’inventeurs indépendants qui vont se rendre jusqu’au bout avec une agence de brevets conventionnelle. »

Pour la préparation et le dépôt d’une demande de brevet au Canada et aux États-Unis, les tarifs des deux organismes sont semblables : entre 5500 $ et 8500 $, selon la complexité du dossier.

C’est alors que les fortunes se défont davantage qu’elles se font.

Sylvie Brisson et Daniel Paquette sont d’accord : les chances de succès de l’inventeur indépendant sont de l’ordre de 3 à 5 %.

Et comment se définit ce succès ? « Quand on dit succès, moi, je dis que le gars amène son produit sur le marché », répond le policier inventeur.

Mais le coffre-fort ne se remplit pas pour autant : encore faut-il que le fruit de son génie trouve grâce auprès du consommateur et qu’il se vende en quantité suffisante pour rembourser l’outillage, la fabrication, les coûts de marketing et de distribution… et enfin générer un profit.

Les rangs des inventeurs à succès s’éclaircissent ici encore davantage. Les succès de l’ampleur du tapis Sauve-pantalon ou du Puzz-3D sont rarissimes.

Ça ne s’invente pas : conseils en vrac

• « Il faut passer les étapes de la démarche une après l’autre, et ne pas en sauter, comme ce monsieur qui voulait aller tout de suite au brevet provisoire », prévient Daniel Paquette.

Il discute au téléphone avec l’inventeur sur la base du rapport d’analyse préliminaire pour l’aider « à prendre une décision éclairée, parce que ce n’est pas quelque chose qu’on apprend à la petite école ».

• « C’est ce que je donne comme exemple aux inventeurs : vendez-moi votre produit pour me montrer comment vous vous différenciez des autres, indique Sylvie Brisson. Ça fait réaliser beaucoup de choses à l’inventeur. »

Un bon exercice à faire avant d’entreprendre toute démarche…

• « La clé du succès d’un inventeur, tout en considérant le fait que les supports financiers pour eux sont rares, c’est d’être vraiment bien avisé », affirme le designer industriel David Mitchell.

« Assurez-vous dans un premier temps d’aller voir des ressources qui vous guideront de façon désintéressée. Si la chose est possible. »

• Auprès d’un investisseur ou d’une entreprise, « on suggère souvent de faire une approche avec une vidéo 3D, souligne Sylvie Brisson. C’est moins onéreux, ça démontre très bien l’invention, et ça donne un bon coup d’œil ».

• Stratège, consultant et chargé de cours en propriété intellectuelle à la maîtrise en gestion de l’innovation de l’ÉTS, Luc E. Morisset suggère de consulter le site du Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce (CABAMC), « une nouvelle entité qui existe depuis à peu près un an et demi ».

« Ils ont un répertoire des agents qui sont accrédités, reconnus, compétents. Ils sont suivis, un peu comme les ingénieurs. »

Consultez le Registre des agents de brevets et de marques de commerce

Quelques ressources

Inventarium

On trouve sur son site le Guide pratique de l’inventeur, rédigé par Daniel Paquette.

Consultez le site d’Inventarium

Invention Québec

C’est le plus ancien service d’aide aux inventeurs.

Consultez le site d’Invention Québec

Canadian Innovation Centre

Luc E. Morisset en suggère la visite : le Canadian Innovation Center, à Waterloo, en Ontario, est un organisme à but non lucratif qui offre depuis plus de 30 ans ses services aux innovateurs, inventeurs et PME.

Consultez le site du Canadian Innovation Centre (en anglais)

L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC)

On y trouve autant de l’information utile que des banques de données sur les brevets, dessins industriels, etc.

Consultez le site de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada Consultez le site de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

La matrice d’affaires (Business Model Canvas)

Mon modèle d’affaires est un outil proposé par la Banque Nationale.

Consultez le site de la Banque National