Autrefois la chasse gardée des hommes, le monde de la finance voit de plus en plus de femmes à sa tête. En voici cinq, aux parcours atypiques, qui ont gravi les échelons des grandes banques canadiennes grâce à leur travail acharné, à leur créativité, à leur capacité d’adaptation et à leur réseautage.

Selon l’Association des banquiers canadiens, en 2019, les femmes occupaient 38 % des postes de cadres supérieurs et 49 % de ceux de cadres inférieurs au sein des six plus grandes banques canadiennes. Et les conseils d’administration de ces établissements étaient composés, en 2020, de 39 % de femmes.

Il y a une belle avancée, croit Annie Lapointe, directrice générale, BMO Marchés des capitaux, Banque d’affaires et services bancaires aux sociétés, dont on peut être fier en tant que société… mais il est important de garder en tête qu’il reste bien du chemin à faire.

« Le pourcentage d’hommes, dans le monde de la finance, est encore très, très, très élevé », dit-elle, lors d’une table ronde la réunissant à quatre autres femmes qui travaillent dans les hautes sphères de la finance canadienne.

PHOTO FOURNIE PAR BMO

Annie Lapointe, directrice générale, BMO Marchés des capitaux, Banque d’affaires et services bancaires aux sociétés

Chez BMO, dans le rôle que j’occupe, je suis probablement l’une des seules femmes au Canada. Je regarde d’où je suis partie, il y a 18 ans, et je dois dire qu’il y a une amélioration.

Annie Lapointe, directrice générale, BMO Marchés des capitaux, Banque d’affaires et services bancaires aux sociétés

« Quand je pense à mes interlocuteurs, à mes clients par exemple, qui sont des directeurs généraux et des présidents de grandes entreprises, il n’y a presque pas de femmes, ajoute-t-elle. Il reste du travail à faire. Je pense que ça va prendre un effort collectif. »

Foncer

Petits commentaires désagréables, manque de confiance malgré un large éventail de compétences, regards de biais vers les collègues masculins, questions inopinées sur la faculté de concilier famille et travail… Isabelle Ménard, cheffe régionale, Québec et Atlantique, Services privés, Gestion de patrimoine TD, et ses quatre camarades ont fait face à ce type de situations. Cela ne les a pas empêchées de retrousser leurs manches – et de foncer.

PHOTO FOURNIE PAR TD

Isabelle Ménard, cheffe régionale, Québec et Atlantique, Services privés, Gestion de patrimoine TD

« Je n’ai jamais senti qu’il n’y avait pas d’occasions pour moi, explique Mme Ménard, qui travaille depuis 25 ans dans le domaine bancaire. Mais c’est vrai qu’il faut faire sa place parce que tu te retrouves constamment en minorité. »

Catherine Parent, associée directrice, division Roynat de la Banque Scotia, acquiesce. « Il faut prendre sa place et ne pas être son propre frein », glisse celle qui, à 40 ans, travaille depuis 17 ans dans le milieu bancaire et a trois enfants de 14, 13 et 11 ans. « Je pense que j’ai évolué et j’ai appris à mieux m’assumer dans mes choix. Au début de ma carrière, j’ai eu des occasions pour changer de poste, prendre plus de responsabilités, mais les enfants étaient jeunes… Mais j’ai vite réalisé que j’étais une femme de carrière. J’ai changé ma perspective et comment j’aborde les choses. »

Recruter les talents

Tendre la main aux jeunes femmes intéressées par le milieu des banques est une priorité pour les cinq protagonistes du monde bancaire réunies en table ronde. Que ce soit par l’intermédiaire du recrutement de jeunes talents féminins, d’encouragements à monter en grade auprès de femmes de leurs équipes ou de mentorat, toutes parlent avec enthousiasme de leur rôle de « modèles ».

Formée comme ingénieure, Anne No Delaide, directrice, Est du Canada, RBC, travaille depuis 20 ans dans l’univers bancaire. Influencée, accompagnée et appuyée par des gens tout au long de son parcours, elle trouve important de redonner aux suivants… et plus particulièrement, aux suivantes.

PHOTO FOURNIE PAR RBC

Anne No Delaide, directrice, Est du Canada, RBC

« Du côté du recrutement, le bassin de talents féminins est encore trop petit, souligne-t-elle. Je pense que c’est entre autres à cause de l’équilibre vie et travail, qui est difficile, ou perçu comme difficile, dans notre milieu. Ça empêche les femmes de faire de grands pas. Malgré les progrès, ça reste un défi. Il faut donc à la fois faire de plus grands efforts pour avoir des modèles de femmes en finances et un plus vaste bassin de talents féminins. Ça prend les deux et il faut que les deux évoluent en même temps. »

Émotion

Selon Brigitte Leblanc, vice-présidente associée, Industries créatives Canada et International à la Banque Nationale, la transformation du type de gestion, plus axé sur l’humain et l’équilibre famille-travail, attire tranquillement plus de femmes dans le milieu financier.

PHOTO FOURNIE PAR LA BANQUE NATIONALE

Brigitte Leblanc, vice-présidente associée, Industries créatives Canada et International à la Banque Nationale

Je pense que le fait que les gestionnaires d’aujourd’hui, hommes et femmes, se permettent d’avoir une vie familiale et personnelle, tout en étant performants au travail, ça rassure et inspire.

Brigitte Leblanc, vice-présidente associée, Industries créatives Canada et International à la Banque Nationale

« Auparavant, on voyait davantage des gestionnaires qui fonçaient, sans émotion, ajoute-t-elle. Ce changement est un facteur déterminant, je crois, pour encourager plus de femmes à s’intéresser à ce milieu, à y entrer, à y rester et à y faire carrière. »

Éducation

Un autre facteur à considérer, afin d’attirer plus de femmes dans le milieu : l’éducation. S’il y a plus de femmes qui obtiennent un diplôme en finances et dans tous les domaines connexes, elles seront nombreuses à lever la main pour les postes offerts.

« C’est à l’entrée que ça se passe, souligne Isabelle Ménard, de Gestion de patrimoine TD. Il faudrait vraiment que lors des embauches, ce soit moitié-moitié hommes et femmes. Les femmes qui sont présentes vont évoluer dans l’entreprise. Je dois tout de même ajouter qu’il m’arrive d’avoir des candidates incroyables pour des postes, que ce soit à l’interne ou à l’externe, et que je doive les pousser, les convaincre de postuler. Pourtant, une fois en poste, elles sont formidables ! »

Annie Lapointe, de BMO Marchés des capitaux, tressaille : elle a fait le même constat pendant son parcours professionnel. « Il y a un mythe à déboulonner, lance-t-elle. Tu peux être une femme, dans ce milieu, avec une famille si tu le souhaites. C’est possible ! Parfois, c’est inconscient. Tu te dis : “C’est un milieu de gars, un métier de gars, donc c’est une carrière pour un gars.” Mais les femmes ont toutes les compétences, elles cochent toutes les cases ! On dirait que ce n’est pas inné, cette confiance-là… Il faut que ça passe par l’éducation, le coaching, le mentorat, bref un accompagnement des jeunes femmes tout au long de leur carrière. C’est très important ! »

Concilier famille et travail

Faut-il en parler ? La question fait rire et réfléchir les cinq femmes, toutes mères de famille. Toutes ne sont pas du même avis. Après tout, si cinq hommes étaient réunis, le sujet de la conciliation serait-il prioritairement abordé ?

« C’est l’éléphant dans la pièce, remarque Catherine Parent, associée directrice, division Roynat, de la Banque Scotia. On ne veut pas en parler, mais il faut le faire ! Nous n’avons pas un travail de 8 h à 16 h. Ce n’est pas rare que je reçoive des appels ou que je doive réviser des documents le soir, la fin de semaine ou en vacances, sans parler des moments où je suis sur une transaction. Lorsque je ferme la porte de mon bureau ou que je me rends dans la voiture prendre un appel, personne ne vient me déranger. Et personne ne chiale. Ça fait partie de notre réalité. Mon conjoint et mes enfants sont habitués. »

PHOTO FOURNIE PAR BANQUE SCOTIA

Catherine Parent, associée directrice, division Roynat, 
de la Banque Scotia

Mère d’une fille de 17 ans, mariée à un entrepreneur, Anne No Delaide, directrice, Est du Canada, RBC, aborde la question en parlant de ses valeurs. « J’ai eu des parents entrepreneurs, raconte-t-elle. Je ne les ai pas beaucoup vus dans ma jeunesse, mais j’ai tiré beaucoup de leçons de ça. Je les ai vus travailler fort et maintenant, je travaille fort. Je privilégie le temps de qualité. Ma fille, de toute façon, fait de la natation au niveau compétitif, je pense qu’elle a un horaire plus chargé que le mien ! Aussi, je dois dire que mon travail est ma passion. En ce sens, est-ce qu’on se rend toujours compte qu’on est en train de travailler quand on le fait ? »

Du sur-mesure

À 50 ans, Brigitte Leblanc, vice-présidente associée, Industries créatives Canada et International à la Banque Nationale, mère de deux enfants de 16 et 19 ans, rappelle qu’aucune formule n’est toute faite. La solution clés en main n’existe pas. « Ce que j’ai remarqué, au fil des années, c’est que chaque foyer a ses subtilités et ses particularités », dit celle qui travaille depuis 22 ans à la Banque Nationale.

L’objectif, c’est de trouver un point d’équilibre et il n’est pas le même pour chaque famille. Généralement, chacun finit par trouver cette balance-là, tôt ou tard.

Brigitte Leblanc, vice-présidente associée, Industries créatives Canada et International à la Banque Nationale

Annie Lapointe, 42 ans, et Isabelle Ménard, 47 ans, parlent toutes deux de ce fameux sentiment de culpabilité qui assaille souvent les mères : la tête à la maison lorsqu’elles sont au boulot et la tête au boulot lorsqu’elles sont à la maison… Il faut chasser ce sentiment, clament-elles, ou du moins, apprendre à surfer dessus, sans trop s’en faire.

« Il faut être heureuses dans ce qu’on vit et dans ce qu’on fait, précise Mme Lapointe, directrice générale, BMO Marchés des capitaux, Banque d’affaires et services bancaires aux sociétés, mère de trois enfants âgés de 12, 9 et 7 ans. Et alors, on va rayonner. Oui, on sera peut-être moins présente avec les enfants, mais quand on sera là, on sera de bonne humeur et on va leur montrer un beau modèle. Je trouve que c’est gagnant-gagnant ! »

Mme Ménard, cheffe régionale, Québec et Atlantique, Services privés, Gestion de patrimoine TD, mère de deux adolescentes de 14 et 17 ans, abonde dans le même sens. « Ah ! La culpabilité ! Il faut arrêter avec ça. C’est surutilisé. Si mes filles étaient ici, elles diraient qu’elles n’ont manqué de rien. Au contraire, elles diraient : “Vas-y, maman, parle de ton expérience, on est fières de toi !” »