Québec ne reviendra pas sur son rejet du projet gazier de GNL au Saguenay, en dépit des récents appels – lancés par des lobbyistes et des élus conservateurs – à augmenter la production canadienne de pétrole pour soutenir l’Europe, dans la foulée de la guerre en Ukraine.

« L’avis donné au sujet de GNL Québec est définitif. Il n’est donc pas possible de revoir notre décision quant à ce projet », a en effet maintenu jeudi le cabinet du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, par l’entremise de son attachée de presse Rosalie Tremblay-Cloutier.

En coulisses, des sources gouvernementales rappellent qu’il serait d’autant plus contre-productif pour le gouvernement du Québec de faire marche arrière, ce dernier ayant déjà annoncé son intention l’automne dernier de « renoncer définitivement à extraire des hydrocarbures sur son territoire ». L’organisme Investissement Québec a d’ailleurs déjà annoncé qu’il ne financerait pas de projets liés aux hydrocarbures.

Au cabinet du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, la porte-parole Geneviève Tremblay ajoute que « la meilleure façon de ne plus dépendre du gaz et du pétrole importés, c’est en réduisant notre consommation ». « C’est vrai pour le Québec et ça fait aussi partie des solutions identifiées par les leaders européens. Ce qu’on voit, c’est qu’un virage vers les énergies renouvelables, les énergies de la liberté, va s’accélérer en Europe. Et c’est dans ce créneau, où le Québec excelle, que nous pouvons aider à court et moyen terme », analyse-t-elle.

La crise en Ukraine a provoqué de nombreuses réactions au sujet de la production canadienne de gaz et de pétrole, ces derniers jours, surtout du côté du lobby pétrolier et des élus conservateurs, qui estiment que les bouleversements sur le marché énergétique donnent de nouveaux arguments au redémarrage de projets d’exploitation pétrolière.

Dans une lettre ouverte publiée mardi, Pierre Poilievre, candidat à la direction du Parti conservateur et député de Carleton, affirmait notamment que le Canada ne peut « ignorer ce qui alimente le pouvoir de Poutine face à l’opposition : le pétrole et le gaz naturel ». « Il existe des projets proposés à travers le Canada qui peuvent débloquer de nouveaux marchés pour ce même gaz naturel liquéfié. Prenons l’exemple de GNL Terre-Neuve-et-Labrador. […] L’accélération de ce projet et d’autres semblables aiderait l’Europe à se débarrasser de sa dépendance au gaz russe », écrivait-il.

« Arrêtez d’aider » Poutine

Quelques jours plus tôt, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, avait lancé un message similaire sur les réseaux sociaux. « Si le Canada veut vraiment aider à désarmer Poutine, alors construisons des pipelines ! L’Alberta est prête, désireuse et capable de fournir l’énergie nécessaire pour évincer la Russie des marchés mondiaux », avait-il écrit, appelant Ottawa à « arrêter d’aider » Vladimir Poutine « en tuant des pipelines ».

Au Québec, le chef du Parti conservateur (PCQ), Éric Duhaime, a aussi fait valoir que la crise en Ukraine démontrait « à quel point le pétrole et le gaz sont des armes politiques ». « Si on les produisait chez nous, non seulement ils ne monteraient pas, mais ils seraient parmi les moins chers en Amérique et 100 % à l’abri des conflits », a-t-il écrit.

« Nous devrions raviver le projet GNL QC au Saguenay. N’a-t-on pas l’obligation morale d’aider l’Europe à s’approvisionner ailleurs et ainsi saper l’avantage énergétique des Russes ? Bonus : on s’enrichirait. Si ce n’était clair avant, ça devrait l’être maintenant », a encore insisté récemment sur Twitter l’ex-attaché de presse de Stephen Harper, Carl Vallée.

Une crise climatique « bien plus importante »

À l’Institut national de la recherche scientifique, la professeure associée Louise Hénault-Ethier, qui est spécialisée en adaptation aux changements climatiques, n’est pas du tout de cet avis.

« C’est sûr que ça fait peur, la guerre, mais plus vite on va se sortir de notre dépendance aux hydrocarbures, mieux on va justement se détacher des conflits armés liés aux pipelines. Il ne faut surtout pas cligner des yeux sur la crise climatique en raison du conflit en Ukraine », affirme-t-elle.

« La crise climatique va être bien plus importante pour notre économie, beaucoup plus largement que les quelques gains qu’on pourrait faire à court terme en pensant exploiter davantage certains hydrocarbures. Le récent rapport du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, organisme intergouvernemental ouvert aux pays membres de l’Organisation des Nations unies] le démontre : on est dans une crise sans précédent », ajoute-t-elle.

Mme Hénault-Ethier déplore les « rapprochements de plus en plus fermes entre les hydrocarbures et la guerre » à travers le monde. « Tous les indicateurs sont au rouge et démontrent qu’il faut au contraire rompre le plus rapidement possible notre dépendance aux hydrocarbures pour nous tourner vers des énergies renouvelables et une rationalisation de notre consommation. Nos gouvernements doivent maintenir leurs lignes fortes, coûte que coûte », soutient la chercheuse.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, fait le même constat. « Ce conflit souligne l’importance d’effectuer une transition énergétique rapide, de mettre fin à notre consommation de pétrole et de gaz naturel, parce que ce sont les revenus de ces produits qui permettent à la Russie d’agir comme elle le fait. La rente pétrolière a permis d’enrichir Poutine et ses armées », conclut-il.

Avec la collaboration de Julien Arsenault, La Presse