Plus de deux mois après la fin du conflit de travail dans quatre usines américaines de Kellogg, les allées de céréales des supermarchés québécois sont toujours aussi dégarnies.

La multinationale justifie ce ralentissement en plaidant que ses activités demeurent affectées par la pandémie, contraignant ainsi les fidèles amateurs de Rice Krispies ou de Corn Flakes à se tourner vers d’autres marques pour remplir leur bol matinal… le temps que la situation revienne à la normale.

« Les Corn Flakes, c’est difficile à trouver depuis longtemps », laisse tomber Nancy Valois, gérante de catégories chezPasquier, qui exploite des magasins à Delson et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Selon les marchands interrogés, en plus de la grève, la pénurie de main-d’œuvre, la difficulté à s’approvisionner en carton et les perturbations dans les transports contribuent à ralentir l’arrivée des boîtes de céréales à bon port. Des arguments également invoqués par Kellogg, dans un courriel envoyé à La Presse. Impossible toutefois de savoir à quel moment le rayon des céréales retrouvera son air d’antan.

« L’arrêt a été long. Le retour sera long », résume Michel Rochette, président pour le Québec du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), qui représente les grandes enseignes comme IGA, Metro, Loblaw, Costco et Walmart.

« C’est tout un écosystème qui essaie de redémarrer et qui se répercute jusqu’à la chaîne finale : le transport, l’arrivée dans les commerces, l’entreposage, ajoute-t-il. C’est la chaîne d’approvisionnement qui a été en arrêt pendant un long moment. C’est l’accumulation des délais sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement qui fait en sorte que ça prend un bon moment pour récupérer tout ça. »

Après une tournée de magasins de différentes enseignes, La Presse a pu constater que la variété et la quantité n’étaient pas au rendez-vous sur les tablettes destinées aux boîtes de céréales, causant parfois l’exaspération des clients déçus de ne pas pouvoir mettre la main sur ce qu’ils cherchent. Corn Flakes, Rice Krispies ou Mini-Wheats sont devenues des denrées rares.

Retour en arrière

Les espaces vides au rayon des céréales ont commencé à apparaître l’automne dernier. Retour en arrière : le 5 octobre 2021, 1400 travailleurs des usines de Kellogg de Battle Creek (Michigan), Omaha (Nebraska), Lancaster (Pennsylvanie) et Memphis (Tennessee) ont déclenché la grève. « Pendant plus d’un an, tout au long de la pandémie de COVID-19, les travailleurs de Kellogg de tout le pays ont travaillé de longues et dures heures, jour après jour, pour produire des céréales prêtes à manger Kellogg pour les familles américaines », pouvait-on lire dans un communiqué publié par le syndicat de la Bakery, Confectionery, Tobacco Workers and Grain Millers International Union (BCTGM), lors du déclenchement de la grève.

« La réponse de Kellogg à ces employés fidèles a été d’exiger qu’ils renoncent à des soins de santé de qualité, à des prestations de retraite et à des congés payés. L’entreprise continue de menacer d’envoyer des emplois supplémentaires au Mexique si les travailleurs n’acceptent pas les propositions scandaleuses qui suppriment les protections dont ils bénéficient depuis des décennies. »

Quelques semaines plus tard, les problèmes d’approvisionnement ont commencé à se faire sentir dans les supermarchés du Québec. Or, le 21 décembre, une entente est intervenue entre les salariés et la multinationale dont le siège social est situé à Battle Creek, au Michigan. Pourtant, dans les magasins, plusieurs boîtes colorées brillent toujours par leur absence. « Ce n’est pas revenu encore comme c’était », se désole Mme Valois, ajoutant dans la foulée qu’il est bien difficile de savoir à quel moment les espaces vacants seront comblés par un nombre suffisant de boîtes.

Dans un courriel envoyé à La Presse, le service des communications de Kellogg écrit que les activités de la multinationale sont toujours affectées par la pandémie, notamment en raison de « l’inflation, [des] défis logistiques, [des] pénuries d’emballage et de main-d’œuvre, ainsi que [de] l’arrêt de travail prolongé dans quatre usines céréalières américaines au quatrième trimestre 2021 ».

« Nous avons travaillé dur pour remédier à ces pénuries intermittentes et remettre les marques de céréales Kellogg sur les tablettes des magasins », a-t-on ajouté.

De l’espace pour les acteurs québécois

D’ici là, certains supermarchés tentent d’offrir d’autres produits à leurs clients. « J’essaie de trouver de nouvelles variétés, des choses différentes, assure Nancy Valois. Il y a des trous, il y a des affiches qui mentionnent qu’il y a des problèmes d’approvisionnement. Les clients sont au courant et ils le voient ailleurs aussi. »

Cette situation a pu être profitable pour des entreprises québécoises, comme La Fourmi bionique, dont les sacs de granolas ont, dans certains supermarchés, pu avoir une meilleure visibilité. Corey Eisenberg, président des céréales produites à Montréal Grandma Emily, a de son côté constaté une légère augmentation de ses ventes.

Dans le cas de La Fourmi bionique, bien que l’entreprise ait connu son lot de pépins depuis le début de la pandémie, elle a toujours réussi à honorer ses commandes auprès des marchands, assure sa présidente, Geneviève Gagnon.

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Geneviève Gagnon, présidente fondatrice de La Fourmi bionique

« Il y a beaucoup d’ouverture pour placer nos produits dans des emplacements secondaires qui auraient pu être auparavant occupés par des céréales conventionnelles, indique-t-elle. Il y a une plus grande disponibilité des emplacements en épicerie qui autrement sont comblés par un Mini-Wheats. »

Une bonne nouvelle pour La Fourmi bionique, fondée il y a 18 ans, puisqu’elle veut se défaire de cette image de produit de niche, perçu comme étant plus cher, qui lui colle à la peau. Pour cette raison, Mme Gagnon souhaite que ses sacs de granolas sortent des sections bios des épiceries.

« On est capables de compétitionner dans les grandes surfaces. On est un produit de masse. On a un produit qui plaît à tout le monde. Je ne vise pas les consommateurs qui ont des restrictions alimentaires. Je veux vraiment être un produit comme le Croque-Nature (Quaker). Je veux être considérée au même titre par une famille. »

« La réalité, ajoute-t-elle, c’est que la majorité des gens vont continuer à fréquenter les allées du conventionnel. Si on n’est pas là, ils ne vont jamais nous mettre dans leur panier. »