CDPQ Infra s’attend maintenant à accueillir 178 000 passagers par jour dans son Réseau express métropolitain (REM) de l’Est d’ici 2046, une forte hausse par rapport à sa prévision initiale de 133 000 utilisateurs quotidiens.

La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec a présenté à La Presse une mise à jour de son projet de 10 milliards de dollars, vendredi, quelques jours après la fuite d’un rapport dévastateur de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

L’augmentation de 34 % du nombre de passagers prévus s’explique par plusieurs facteurs, a indiqué le porte-parole Jean-Vincent Lacroix. Parmi ceux-ci : l’augmentation de la vitesse des trains qui rendra le REM plus « attractif » et le déplacement de deux stations à Montréal-Nord à des endroits « beaucoup plus stratégiques ».

La filiale de la Caisse de dépôt a aussi raffiné son analyse en utilisant des données d’une enquête « origine-destination » plus récente que celle qu’elle avait utilisée au départ, explique M. Lacroix. Il souligne toutefois que la cible de 178 000 passagers continuera à « fluctuer » d’ici le dépôt d’une version définitive du projet.

Une différence de 300 %

La Presse a révélé mardi l’existence d’un rapport accablant de 84 pages préparé par l’ARTM, organisme responsable de planifier tout le transport en commun dans le Grand Montréal. Dans son avis destiné au gouvernement du Québec, l’Autorité remet en cause le bien-fondé du futur réseau de train automatisé de 32 kilomètres, qui doit relier le centre-ville à la pointe est et au nord-est de l’île.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Tronçon visé par l’avis de l’Autorité régionale de transport métropolitain

Parmi les éléments frappants du rapport, l’ARTM signale que le projet annoncé en décembre 2020 « n’attirerait que 2100 automobilistes vers le transport collectif, soit 6 % de l’achalandage du REM de l’Est ».

CDPQ Infra offre une analyse bien différente. Le groupe prévoit plutôt que 7850 automobilistes délaisseront leur véhicule au profit du REM de l’Est, ce qui représenterait 17 % des utilisateurs totaux à l’heure de pointe du matin.

« Faire 17 % de transfert modal, moi, je ne connais pas beaucoup de projets qui font ça », a avancé Denis Andlauer, directeur principal, stratégies de transport, de CDPQ Infra.

D’après les prévisions du groupe, ce sont 6000 automobilistes qui délaisseront totalement leur voiture pour monter dans le REM de l’Est, tandis que 1850 autres seront des utilisateurs « bimodaux » (auto et REM), pour un total de 7850.

Selon M. Andlauer, l’écart de 300 % observé avec les prévisions de l’ARTM découle de l’utilisation d’outils de modélisation plus récents par CDPQ Infra, qui mise entre autres sur l’intelligence artificielle. Le modèle de l’ARTM ne tient pas compte du temps que passent les automobilistes dans leur voiture pour se déplacer, ajoute-t-il, une donnée jugée fondamentale qui vient influencer leur décision d’opter pour le transport collectif.

À Lyon, où M. Andlauer a chapeauté l’implantation d’une ligne de train automatisée à la fin des années 1990, le taux de transfert modal avait atteint 12 %, dit-il, ce qui avait été jugé bon à l’époque. CDPQ Infra entrevoit par ailleurs un taux de « transfert modal » de 15 % pour la première phase du REM, système de 67 kilomètres dont la branche sur la Rive-Sud sera inaugurée l’automne prochain.

« Redondance » entre les réseaux

La filiale de la Caisse a aussi tenté de répondre aux virulentes critiques de l’ARTM sur la « redondance » qu’entraînera le REM de l’Est avec les réseaux existants. L’ARTM estime, par exemple, que 15 000 passagers de la ligne verte du métro basculeront vers le train de la Caisse.

Une note confidentielle de la Société de transport de Montréal (STM) obtenue par La Presse évoque elle aussi un risque de cannibalisation entre les deux modes de transport. La STM déplore le fait que CDPQ Infra a refusé d’envisager de raccorder son REM de l’Est à la station Honoré-Beaugrand, plutôt que d’aller jusqu’au centre-ville.

Cette solution serait impraticable, affirme Denis Andlauer.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Andlauer, directeur principal, stratégies de transport, de CDPQ Infra, en 2019

Quand on a commencé à travailler sur le projet, on a regardé toutes les options possibles et imaginables, dont celle-là. Et l’enjeu, c’est qu’on vient faire exploser la ligne verte en termes de capacité ; elle n’est pas capable d’aller chercher 13 000 passagers à l’heure de plus.

Denis Andlauer, directeur principal, stratégies de transport, de CDPQ Infra

M. Andlauer croit que la construction du REM de l’Est viendra plutôt donner de l’« oxygène » à un réseau existant qui approche de la saturation.

CDPQ Infra ne semble par ailleurs pas trop s’inquiéter de la baisse d’affluence qui découlera de la pandémie. Le groupe entrevoit un recul d’environ 13 % du nombre de passagers (qui n’apparaît pas dans ses prévisions actuelles) et une remontée d’environ 1 % par année.

Éléments « biaisés »

Denis Andlauer trouve « dommage » la publication de certains éléments « partiels » ou « biaisés » par l’ARTM. Dans son rapport, l’Autorité souligne, par exemple, que seuls 12 % des besoins en déplacement dans l’Est visent le centre-ville.

Or, il faudrait ajouter à cela que 27 % des usagers de l’Est se déplacent aussi vers le « centre » de l’île, un territoire que CDPQ Infra desservira avec la branche nord du REM de l’Est, avance M. Andlauer.

Malgré la tempête causée par la fuite du rapport de l’ARTM, CDPQ Infra considère l’organisme comme un « partenaire de chaque instant ». Denis Andlauer n’a pas voulu entrer dans un « débat politique », après plusieurs jours d’échanges au vitriol au sujet du REM de l’Est au Salon bleu de l’Assemblée nationale.

Il reste que le dossier est loin d’être réglé. Un comité d’experts indépendant doit déposer d’ici quelques semaines un rapport sur l’intégration architecturale du REM de l’Est, dont les structures en hauteur soulèvent une vive controverse. Le projet devra ensuite faire l’objet d’une étude par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement au printemps.

CDPQ Infra devra également finaliser ses études d’affluence et s’entendre avec l’ARTM sur un cadre tarifaire, comme la filiale l’a fait pour la première phase du REM. Si toutes ces étapes sont franchies, le groupe, qui construira, financera et exploitera le réseau, espère une mise en service en 2029.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse Valérie Plante a déploré que son cabinet ait été informé tardivement du déplacement d’un tronçon du REM de l’Est de la rue Sherbrooke Est à l’avenue Souligny.

Legault fait une offre à Plante

Le premier ministre François Legault a fait une offre à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, dans l’espoir d’obtenir son appui clair et ferme au REM de l’Est, a appris La Presse.

Il lui propose de créer un « groupe de travail » réunissant la Ville, le gouvernement et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) pour « discuter des améliorations possibles au tracé actuel et du projet dans son ensemble ».

Au cours des derniers jours, Valérie Plante a martelé que la création d’un comité mixte avec la Caisse était une « condition gagnante » pour que le projet reçoive son appui. « Il faut qu’on soit autour de la table décisionnelle. Je ne parle pas de la couleur de la brique, je ne parle pas de quelle œuvre d’art on met où, je ne parle pas d’aménagement paysager. » Il s’agit d’avoir une voix en ce qui concerne le tracé et l’intégration urbaine, disait-elle jeudi. Elle déplorait que son cabinet ait été informé la veille d’un changement de tracé « majeur » annoncé le mois dernier (un tronçon de 4,5 km déplacé de la rue Sherbrooke Est à l’avenue Souligny). Elle ne veut pas d’un autre comité « consultatif » ; elle réclame un comité « décisionnel ».

François Legault a mis sur la table la création d’un « groupe de travail » dans une tentative d’exaucer le souhait de la mairesse. Les échanges ont commencé sur le sujet. Le premier ministre attendait une réponse de la mairesse vendredi après-midi.

Nous discutons actuellement avec la Ville de Montréal pour déterminer de quelle façon nous pouvons mieux collaborer ensemble, discuter de l’aménagement urbain, des améliorations possibles au tracé actuel et du projet de REM dans son ensemble, afin que la Ville puisse y faire valoir ses points de vue.

Nadia Talbot, attachée de presse de François Legault

Si la forme et le mandat du groupe de travail « ne sont pas définitifs » à ce stade-ci, « il est clair que nous souhaitons que la Ville de Montréal soit satisfaite du projet dans sa globalité et puisse prendre part activement aux discussions entourant le projet, avec le gouvernement et CDPQ Infra », la filiale de la Caisse responsable du dossier, a-t-elle ajouté. François Legault a promis la présentation d’un « beau projet ajusté » au cours des prochains mois.

Changement de ton

Le premier ministre a changé de ton à l’égard de la mairesse au cours des deux derniers jours. À la suite de la manchette de La Presse de mardi sur l’avis dévastateur de l’Autorité régionale de transport métropolitain, il avait dit mardi que « la balle [était] dans le camp de Mme Plante. [À elle] de proposer un nouveau projet qui fait son affaire ». Il laissait le sort du projet entre ses mains. La mairesse avait déploré qu’elle soit ainsi « acculée au pied du mur », d’autant que CDPQ Infra lui a de son côté demandé d’appuyer le projet, à défaut de quoi elle l’abandonnera.

François Legault cherche depuis à apaiser les tensions, alimentées par les sorties cinglantes de sa ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, contre l’ARTM et la STM.

Jeudi, il a confirmé que le gouvernement était prêt à financer une partie de l’aménagement des abords du tracé du REM, des sommes importantes qui s’ajouteraient aux 500 millions promis par Valérie Plante. La mairesse chiffre ces travaux à 1 milliard de dollars au total. Elle s’est dite rassurée par les engagements financiers de Québec, elle qui en avait fait une autre condition pour appuyer le projet.

Son cabinet n’a pas voulu réagir à l’offre de M. Legault quant à la création d’un groupe de travail. « Nous saluons l’ouverture du gouvernement, des discussions sont actuellement en cours avec le gouvernement du Québec au sujet de la gouvernance », a indiqué Marikym Gaudreault, attachée de presse de la mairesse Valérie Plante.

Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard, La Presse