« Il était plus que temps ! » Voilà des propos qui résument bien l’humeur générale des propriétaires de bars qui, bien qu’ils soient heureux de pouvoir recommencer à servir des verres à leurs clients à partir du 28 février, auraient aimé pouvoir reprendre leurs activités avant cette date. Depuis le début de la pandémie, près de 12 % des bars auraient par ailleurs cessé leurs activités de façon définitive.

« Ça a pris beaucoup trop de temps », lance spontanément Renaud Poulin, président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec (CPBBT), moins d’une heure après que le gouvernement a annoncé son calendrier d’assouplissements, mardi. « On a une date, le 28. On aurait préféré avant. On perd la meilleure fin de semaine du mois de février avec le Super Bowl, souligne M. Poulin, dont l’organisation compte 1127 membres. Mais au moins, on est ouverts. On sait que le 14 mars, tout revient à la normale. Il faudra être un peu patient. »

À partir du 28 février, les bars qui rouvriront leurs portes devront fonctionner à 50 % de leur capacité. Mais dès le 14 mars, environ deux ans après leur première fermeture, ils pourront ouvrir à 100 %, et l’ensemble des mesures sanitaires sera levé, à l’exception du masque et du passeport vaccinal.

« Je dirais que je suis rassuré », indique Jacob Warren, copropriétaire du Terminal et du Verre bouteille à Montréal. « Je suis content d’avoir des dates, je suis content de pouvoir donner des informations à mes employés qui, eux, subissent très difficilement cette 5vague-là. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Portrait de Jacob Warren, copropriétaire du Terminal et du Verre bouteille, avenue Mont-Royal Est – ouverture des bars et déconfinement à Montréal

Il se demande toutefois quelle sera l’ampleur de l’aide financière. M. Warren estime qu’elle sera nécessaire en raison des règles sanitaires en vigueur jusqu’au 14 mars. « Ouvrir un petit bar à 50 % de capacité, ça ne fait pas de gros revenus, donc, d’un point de vue d’entrepreneur, j’ai encore mes inquiétudes. »

Le pire est à venir

Bien qu’ils aient la permission de repartir leur ligne de bières en fût, les propriétaires de bars ont vécu et continueront à traverser des moments difficiles, selon Renaud Poulin. La CPBBT estime que près de 12 % des bars ont fermé leurs portes au cours des deux dernières années. « Ça va être encore plus dur dans les prochaines semaines, les prochains mois. Les gens vont devoir rembourser les prêts. »

Du côté de la Nouvelle association des bars du Québec (NABQ), le président, Pierre Thibault, également copropriétaire de la Taverne Saint-Sacrement, calcule avoir perdu une quinzaine de membres au cours des 45 derniers jours.

« On est vraiment dans la dernière ligne droite, et c’est là qu’on en perd le plus, soutient celui dont l’association compte 150 membres partout au Québec. »

Depuis le retour des Fêtes, on le sent que ça s’accentue. Ça n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui, le nombre de gens qui abandonnent, qui ferment leur entreprise. Depuis le début de la crise, c’est peut-être le double. On sent l’essoufflement.

Pierre Thibault, président de la Nouvelle association des bars du Québec (NABQ)

De son côté, malgré les difficultés, Jacob Warren n’a jamais envisagé de tout laisser tomber. « J’avais déjà pris la décision que j’allais me battre jusqu’au bout pour sauver ces belles entreprises-là et c’est la même chose pour mes partenaires, assure-t-il. Dès qu’on a reçu la claque en pleine face, on s’est dit qu’il n’y avait qu’une seule solution et que c’était de travailler très fort pour s’en sortir. Pour nous, il n’a jamais été question de fermer. »

Mais M. Warren, à l’instar d’autres propriétaires interrogés, déplore le fait que les bars soient toujours les premiers établissements à fermer et les derniers à rouvrir. Plusieurs ont souvent eu l’impression d’être les grands oubliés.

« Je crois sincèrement que la crise sanitaire va avoir contribué à la stigmatisation des bars, malheureusement, avance M. Warren. Je pense que ça peut faire des dommages à notre réputation. Ça va nous prendre beaucoup de temps pour redorer notre image, même si on n’a rien fait de pas correct. »

Commerce de détail

Par ailleurs, parmi les assouplissements annoncés par Québec, les commerces ont appris de leur côté qu’ils n’auraient plus à limiter le nombre de clients en ouvrant à 100 % de leur capacité à partir du 21 février. Si la nouvelle est applaudie, la joie des associations de commerçants a toutefois été assombrie puisqu’on maintient le passeport vaccinal pour les magasins de 1500 mètres carrés et plus, à l’exception des supermarchés et des pharmacies.

« Malheureusement, nous sommes déçus qu’il n’y ait pas de calendrier de retrait du passeport vaccinal », a indiqué le directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), Jean-Guy Côté. « Nos détaillants doivent y consacrer des ressources malgré la pénurie de main-d’œuvre, en plus de devoir gérer des clients difficiles. »

Même son de cloche du côté du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), où l’on se dit « inquiet » du maintien du passeport vaccinal en raison des « nombreuses altercations » qu’il entraîne à l’entrée des magasins. « Les clients dans les files d’attente sont de plus en plus nombreux et de moins en moins patients, en particulier dans les commerces qui distribuent des produits jugés essentiels. Tout le mécontentement exprimé par ces gens impatients est dirigé, parfois avec violence, vers les employés, qui ne font qu’appliquer les règles. Les appels au calme ne suffisent pas présentement à calmer tous les esprits », a souligné par voie de communiqué Michel Rochette, président du CCCD pour le Québec.

Les employeurs satisfaits de la fin du télétravail obligatoire

Réclamée par les employeurs québécois et leurs fédérations, la fin du télétravail obligatoire est enfin à leurs portes. Ils pourront « reprendre les clés de leurs entreprises » en formule hybride pour la plupart. « On est très satisfait », affirme au téléphone Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec. « C’est une approche très raisonnable, étendue dans le temps, c’est ce qu’on demandait. Ça va donner deux semaines aux entreprises et aux employés pour se préparer à un retour très progressif. Il y a une anticipation collective, mais je pense qu’elle va baisser le jour où les gens vont revenir. » Pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), la date du 28 février est trop loin. « Pourquoi attendre de permettre à des employés de travailler dans des bureaux fermés lorsqu’on permet à des dizaines de personnes de se regrouper dans les salles de classe ? », se demande François Vincent, vice-président pour le Québec à la FCEI. De son côté, Laurence Vincent, présidente de Prével, soutient que les employeurs devront garder une sensibilité pour les employés qui ne sont pas à l’aise. « II faut donner envie aux employés de revenir travailler, et non les forcer. Il faut miser sur le plaisir de se retrouver ensemble. Travailler en personne fait toute la différence », conclut-elle.