Après presque 100 ans, une page de l’histoire économique du Québec se tourne. L’École de papeterie de Trois-Rivières, qui a vu le jour en 1923 pour doter la province d’une de ses premières industries importantes, a formé ses derniers techniciens.

Le programme, qui menait à un diplôme d’études collégiales, est abandonné par le cégep de Trois-Rivières, qui a décerné en mai dernier ses diplômes à une poignée de finissants.

Pour la ville qui s’est longtemps considérée comme la capitale mondiale des pâtes et papiers, la fin de ce programme créé sur mesure pour l’industrie est certainement un signe des temps. Le secteur des pâtes et papiers a fortement décliné au cours des dernières années, et le site d’une des principales usines de Trois-Rivières accueille maintenant un musée consacré à l’industrie.

Mais la raison pour laquelle le programme de formation technique au cégep de Trois-Rivières a pris fin, c’est parce qu’il devenait de plus en plus difficile de recruter des élèves, explique Nathalie Cauchon, directrice des études de l’établissement scolaire.

PHOTO STÉPHANE LESSARD, LE NOUVELLISTE

Le cégep de Trois-Rivières

« Malgré tous nos efforts, on avait très peu d’étudiants », explique-t-elle lors d’un entretien avec La Presse.

Pour tenter de séduire un plus grand nombre de jeunes, le programme avait évolué pour tenir compte des nouveaux besoins de l’industrie en matière de technologies vertes. Il avait changé son nom, Technologies papetières, pour Écodéveloppement et bioproduits. « Mais on n’a pas eu plus de succès », dit Nathalie Cauchon.

Selon elle, toutes les formations techniques sont plus ou moins victimes de la désaffection des jeunes, pas seulement celle destinée au secteur des pâtes et papiers. « On a une génération moins intéressée par ce genre de métiers », constate-t-elle.

Le fait que l’industrie papetière ait périclité n’a évidemment pas facilité le recrutement, convient-elle. « Je reconnais qu’il y a moins de besoins », dit-elle.

En fait, l’industrie des pâtes et papiers souffre de la rareté de la main-d’œuvre, selon le PDG de Produits forestiers Résolu, Rémi Lalonde. « Les mécaniciens et les électriciens, en particulier, sont difficiles à trouver », précise-t-il.

Quant aux employés d’usine, l’entreprise les forme elle-même. « On veut former nos gens », dit-il.

Depuis le début des années 1980, le déclin de l’industrie s’est accéléré.

Les usines restantes ne pourront pas toutes survivre, a fait savoir récemment le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, qui pilote un plan d’aide de 1 milliard de dollars pour cette industrie.

Maîtres chez nous

Il y a beaucoup d’histoire derrière ce programme de formation pour le secteur des pâtes et papiers, qui est né de la volonté du gouvernement de l’époque de tirer profit des richesses naturelles du Québec.

C’est Honoré Mercier, ministre des Terres et Forêts et fils du premier ministre du même nom, qui a appuyé le projet d’École de papeterie de Trois-Rivières. C’était, selon lui, « nécessaire dans un pays où l’industrie des pâtes cellulosiques et du papier a fait de remarquables progrès au point d’être une des industries essentielles à l’avenir économique », peut-on lire dans les archives.

L’objectif était d’attirer des usines au Québec, à une époque où les grandes entreprises américaines ou britanniques venaient chercher notre bois pour le transformer ailleurs, rappelle Mario Parenteau, responsable de la recherche à Innofibre, centre de recherche sur les pâtes et papiers établi à Trois-Rivières.

Quelques années avant, le gouvernement québécois avait interdit l’exportation de billots aux États-Unis, ce qui a forcé les entreprises étrangères à investir localement et, éventuellement, à faire de ce secteur un pilier de l’économie du Québec.

Honoré Mercier fils avait prévu les besoins de main-d’œuvre de cette industrie naissante et les objections des investisseurs étrangers. « Pour lui permettre de lutter avec avantage contre les industries similaires établies à l’étranger, une main-d’œuvre avertie est nécessaire, avait-il plaidé. C’est à former une telle main-d’œuvre que s’emploiera l’École de papeterie. »

C’est ce qu’a fait l’École de papeterie pendant presque 100 ans, jusqu’à nos jours. Quelque 180 diplômés en sortaient chaque année durant l’âge d’or de l’industrie. De nombreux cadres et directeurs d’usine y ont été formés, selon Mario Parenteau.

L’École de papeterie a vu le jour en 1923 et a été agrandie en 1948 pour y intégrer une usine pilote au coût de près de 2 millions de dollars, une somme considérable pour l’époque. Elle est devenue l’Institut de papeterie de la province de Québec en 1958, avant d’être intégrée au cégep de Trois-Rivières dans les années 1960, lors de la création de ces établissements d’enseignement.