La proximité de l’Office des transports du Canada avec Ottawa encore montrée du doigt

En apparente violation de son code de déontologie, l’agence chargée de protéger les voyageurs a impliqué le chef de cabinet du ministre fédéral des Transports dans sa réflexion sur le remboursement des passagers en mars 2020, soulevant de nouvelles inquiétudes à l’égard de son indépendance.

Pourtant, le code de déontologie de l’Office des transports du Canada (OTC) – un tribunal quasi judiciaire – proscrit ce genre de pratique, soulignent des experts et défenseurs des droits des voyageurs.

Les échanges se sont déroulés quelques jours avant la sortie du 25 mars 2020 effectuée par l’Office sur les controversés crédits de voyage, révèlent des correspondances divulguées à la suite d’une ordonnance de la Cour d’appel fédérale.

« Cette question a été abordée entre le président [de l’OTC], le sous-ministre et le chef du cabinet du ministre […] au cours de la fin de semaine », peut-on lire dans un courriel envoyé par Caitlin Hurcomb, de l’OTC, à Vincent Millette, de Transports Canada, daté du 23 mars 2020.

Mme Hurcomb lui confirme également que l’Office s’apprête à annoncer que les crédits de voyage offerts par les compagnies aériennes seront considérés comme une forme de dédommagement acceptable.

« Cette déclaration indique ce que l’OTC considère comme approprié dans cette situation ; une approche qui garantirait que les passagers ne soient pas totalement dépourvus tout en tenant compte des préoccupations des compagnies aériennes », écrit-elle.

L’OTC est responsable de l’application du Règlement sur la protection des passagers aériens, qui prévoit entre autres des remboursements en cas d’annulation de vols.

Marc Garneau était le ministre des Transports en mars 2020. Le nom de son chef de cabinet n’est pas mentionné dans les courriels. Sur son profil LinkedIn, Marc Roy indique qu’il a occupé cette fonction de juin 2018 à février 2021. Celui-ci n’a pas répondu à La Presse.

Après avoir annulé des milliers de vols au début de la pandémie, les compagnies aériennes avaient opté pour des crédits de voyage plutôt que de rembourser les voyageurs – une approche vivement critiquée par la classe politique et les consommateurs.

En déclarant, le 25 mars 2020, que les crédits de voyage constituaient une approche « raisonnable » envers les passagers touchés, l’OTC avait déclenché une avalanche de plaintes.

Indépendant, en principe

Selon l’article 39 du code de conduite de l’Office, ses membres doivent s’abstenir de communiquer avec des acteurs politiques ou des fonctionnaires d’autres ministères et organismes fédéraux, des gouvernements provinciaux ou étrangers ou des organisations internationales au sujet d’une question qui est, était ou pourrait être soumise à l’agence.

« C’est très clair, dit Richard Leblanc, spécialiste en gouvernance, droit et éthique à l’Université York, à Toronto. La raison est pour préserver l’intégrité de l’OTC et éviter les conflits d’intérêts. L’Office devrait s’expliquer. »

Ce n’est pas la première fois que l’organisme de réglementation est montré du doigt, puisque plusieurs courriels diffusés publiquement ont fait état d’étroites correspondances entre l’agence, l’industrie aérienne ainsi que des fonctionnaires fédéraux.

Lisez « L’indépendance de l’OTC mise en doute »

Porte-parole bloquiste en matière de transports, Xavier Barsalou-Duval était aussi l’un des deux vice-présidents d’un comité des Communes qui a remis en question le rôle de l’OTC dans un rapport publié en juin dernier.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Xavier Barsalou-Duval est porte-parole bloquiste en matière de transports.

La participation du chef de cabinet de M. Garneau à des discussions est « problématique », estime-t-il.

« Dans un procès où le ministre de la Justice appelle le juge pour lui dire quelle position prendre, cela ferait scandale », illustre M. Barsalou-Duval. Avec l’OTC, le même principe devrait s’appliquer.

Pour Gabor Lukacs, fondateur de Droits des voyageurs, ces correspondances constituent un autre exemple de la nécessité d’enquêter de manière indépendante sur le rôle de l’Office.

« Le but de toutes ces démarches était de contourner les règles en vigueur », déplore-t-il.

M. Lukacs reproche à M. Garneau de « ne pas avoir dit la vérité » en déclarant, le 28 mai 2020, devant le Comité spécial sur la pandémie, que « l’Office des transports du Canada est un organisme quasi judiciaire indépendant de Transports Canada et du gouvernement canadien ».

Chez Option consommateurs, l’avocate Sylvie De Bellefeuille estime que l’Office manque de transparence et que les consommateurs semblaient « assez loin » dans les priorités.

« Les crédits de voyage, ce n’était pas une solution qui convenait à tous, affirme-t-elle. Il y avait une écoute de l’OTC face aux demandes des transporteurs. Nous avions aussi envoyé une lettre au ministre, mais nous n’avons pas eu de réponse. »

En soirée, mardi, l’Office a indiqué ne pas vouloir commenter le contenu divulgué en Cour d’appel fédérale puisque la cause est toujours pendante. L’organisme a ajouté que son message sur les crédits de voyage en mars 2020 « n’était pas une décision du tribunal », mais une sortie pour éviter que les nombreux passagers touchés par les vols annulés ne « reçoivent rien ».

Pour sa part, Transports Canada a dit exercer un rôle de conseiller du ministre. Dans ce contexte, il est « possible » que des fonctionnaires « doivent demander de l’information factuelle » à l’OTC, a écrit un porte-parole de Transports Canada, Simon Rivet. Même si l’Office est « autonome », il « rend compte de ses opérations au Parlement par l’intermédiaire du ministre des Transports », a ajouté M. Rivet.

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    Nombre de plaintes reçues par l’OTC entre mars 2020 et mai 2021, dont plus de 9700 au sujet des remboursements.
    Office des transports du Canada