Les acteurs régionaux tapent du pied en attendant de savoir comment le gouvernement Legault compte s’y prendre pour relancer le transport aérien en région, qui avait du plomb dans l’aile bien avant la pandémie. Avec un portrait qui varie d’un endroit à l’autre, certains risquent de rester sur leur faim.

Financer des liaisons par le truchement d’appels d’offres publics, élargir des programmes existants pour éponger une partie du prix des billets, appuyer financièrement le décollage d’une nouvelle compagnie… La solution à privilégier diffère d’un intervenant à l’autre en matière de transport aérien régional.

« Il n’y a pas un modèle parfait, reconnaît Daniel Côté, maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Nous sommes un peu chanceux ici, parce qu’il y a Pascan et PAL Airlines. Mais le prix du billet demeure élevé. »

Québec a été contraint de reporter la présentation de sa stratégie en raison de la crise sanitaire. Aucun échéancier n’a été évoqué. Tous les acteurs régionaux souhaitent une diminution du prix des billets ainsi qu’une augmentation de la fréquence des vols, surtout depuis qu’Air Canada a délaissé des marchés comme Baie-Comeau, Gaspé, Mont-Joli, Val-d’Or et les Îles-de-la-Madeleine (en dehors du service estival) en juin 2020. Le plus important transporteur au pays a conclu des ententes interlignes pour desservir ces destinations.

Selon les données compilées par la société de données aériennes Cirium, Air Canada (Jazz), Air Creebec, Air Inuit, Air Liaison, PAL et Pascan devraient effectuer environ 12 700 vols au Québec au premier trimestre, qui se terminera à la fin de mars. Durant la même période en 2020, lorsque la COVID-19 s’est invitée dans la province, Cirium avait enregistré près de 15 700 vols, soit environ 20 % de plus.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La pandémie avait incité Air Canada à suspendre son service dans de nombreuses régions, notamment au Québec.

La reprise n’est pas complète, et le portrait est différent d’une région à l’autre. Une solution tous azimuts pour redonner des ailes au transport régional ne sera pas suffisante pour plaire à tous.

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Plusieurs trajectoires

Aux Îles-de-la-Madeleine, où le vide laissé par Air Canada a été partiellement comblé, le maire Jonathan Lapierre, également deuxième vice-président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), voit une « certaine concurrence », mais il y a des progrès à faire. Un aller-retour vers Montréal ou Québec avoisine souvent 800 $.

M. Lapierre souhaite éviter les appels d’offres pour l’exploitation des liaisons régionales, contrairement à l’UMQ, qui a publiquement appuyé ce modèle en août 2020.

« Cela n’aura pour effet que de créer de la concurrence au débat, estime M. Lapierre. Avec ça, on s’en va dans le mur. Cela va durer deux ans, trois ans. On n’a pas le volume de population pour faire cela. »

À son avis, Québec pourrait identifier des liaisons « incontournables » et établir des modalités à respecter, comme la fréquence des vols et les fourchettes de prix. Si ces modalités sont respectées par les compagnies aériennes, celles-ci pourraient obtenir du financement gouvernemental afin d’éponger les pertes de revenus.

Mais à Baie-Comeau, le maire Yves Montigny voit les choses d’un autre œil. Avec « environ 16 000 passagers par année », il est difficile de « faire vivre plusieurs entreprises », affirme-t-il. Un soutien financier gouvernemental à une compagnie aérienne qui décrocherait la licence d’exploitation pour assurer des liaisons vers Baie-Comeau fonctionnerait dans ce marché, estime M. Montigny.

« Autrement, on se retrouve avec trois pauvres plutôt que d’avoir une entreprise viable, estime-t-il. Dans l’ancien modèle avec Air Canada, il n’y avait aucune concurrence. Les prix étaient hauts, sauf quand un concurrent arrivait. Ça prend des solutions adaptées. »

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Yves Montigny, maire de Baie-Comeau, voit d’un bon œil le modèle des appels d’offres pour les liaisons régionales.

Copropriétaire de Pascan Aviation, Yani Gagnon croit que le principe des appels d’offres viendra « saucissonner » des liaisons déjà desservies par des vols avec escales. Un transporteur pourrait, par exemple, obtenir le trajet entre Montréal et Gaspé, tandis qu’un autre se retrouverait avec le trajet entre les Îles-de-la-Madeleine et la métropole.

M. Gagnon dit n’avoir aucune idée du contenu de la stratégie qui sera présentée par Québec. L’homme d’affaires croit qu’une partie de la réponse se trouve dans les frais connexes du prix d’un billet d’avion.

« Pour environ 40 % de la somme, les transporteurs, nous sommes des percepteurs-payeurs, affirme-t-il. Il y a plusieurs types de frais – sécurité, amélioration aéroportuaire, etc. – et de taxes des ordres de gouvernement. Si on veut baisser le prix des billets, on pourrait peut-être jouer là-dessus. »

Les maires de Gaspé et des Îles-de-la-Madeleine estiment aussi qu’un élargissement du programme de réduction des tarifs aériens – six régions sont actuellement admissibles à cette mesure – pourrait entraîner une baisse du prix des billets. Ils conviennent qu’il s’agit d’une forme de subvention.

Faire décoller un nouvel acteur ?

Parallèlement, TREQ, coopérative de transport régional qui n’est pas encore en service, tente toujours de convaincre le gouvernement Legault de lui accorder un prêt de 4 millions pour boucler son montage financier. L’organisation veut appliquer le modèle coopératif au transport régional.

« Nous pourrions trouver le montant ailleurs, dit le président du conseil d’administration de TREQ, Éric Larouche. Mais si le gouvernement québécois nous dit non, quel signal cela envoie-t-il ? Notre modèle n’est pas basé sur des appels d’offres, mais sur le libre marché. »

La coopérative estime pouvoir faire fléchir le prix des billets en exploitant des avions biturbopropulsés d’environ 80 places – cinq appareils à maturité – pour bénéficier de l’effet de volume afin de réduire ses coûts.

TREQ suscite l’enthousiasme chez certains maires, tandis que d’autres ont des questions.

« On ne connaît pas tout le modèle et toute la structure, explique le maire des Îles-de-la-Madeleine, également deuxième vice-président de la FMQ. C’est plus complexe de dire que nous sommes d’accord avec le principe. Je ne peux pas me prononcer sur quelque chose que je ne connais pas. »

M. Montingy souligne que TREQ constitue un « beau casse-tête » pour le gouvernement, qui doit tenter de s’assurer d’une « certaine équité » dans ses interventions.

Pistes de solution pour le transport aérien régional

Appels d’offres

Ce modèle, déployé à certains endroits aux États-Unis ainsi qu’en Australie occidentale, consiste à attribuer des liaisons à un transporteur à la suite de soumissions pour obtenir la licence d’exploitation. Une compagnie obtient un contrat de quelques années par liaison.

Élargir le Programme de réduction des tarifs aériens

Six régions sont actuellement admissibles à cette mesure qui permet d’éponger entre 30 % et 60 % du prix du billet selon l’endroit. La somme maximale annuelle oscille entre 500 $ et 3000 $. L’origine et la destination du déplacement doivent être situées au Québec.

Réduction des frais connexes

Lorsque vous achetez un billet d’avion, le prix tient compte de frais, notamment pour les améliorations aéroportuaires, les taxes gouvernementales, les droits pour la sécurité des passagers. Les ordres de gouvernement pourraient accepter de se priver de certains de ces revenus.

Soutien du projet de TREQ

Québec pourrait monter à bord du projet de TREQ, qui a déjà reçu un prêt sans intérêt de 3,5 millions d’Ottawa. La coopérative dit compter déjà plus de 15 000 membres et son objectif n’est pas de dégager des profits, mais d’assurer un service aérien régional. Reste à voir quel serait l’effet de l’arrivée de TREQ sur des compagnies comme Pascan, Air Inuit et Air Creebec, notamment.