Samira Sakhia s’est jointe en 2001 à l’entreprise pharmaceutique Paladin, propriété de la famille Goodman, à titre de cheffe de la direction financière, jusqu’à la vente de Paladin en 2014 au groupe Endo. En 2016, elle revient assister Jonathan Goodman, à titre de présidente de Thérapeutique Knight, où elle a orchestré en 2019 l’acquisition du groupe latino-américain Biotascana, avant de devenir en septembre 2021 la nouvelle PDG de Thérapeutique Knight. Entrevue avec une femme qui avoue travailler fort pour atteindre les résultats qu’elle souhaite obtenir.

Q. Vous avez participé au développement de Paladin, une entreprise pharmaceutique montréalaise qui a été vendue pour 3 milliards en 2014, afin de revenir seconder son fondateur, Jonathan Goodman, pour mettre en place Thérapeutique Knight. Quelle était votre motivation ?

R. Lorsque Paladin a été vendue au groupe Endo, Jonathan Goodman a fondé Knight avec un produit pour le soulagement de maladies tropicales rares que ne voulait pas racheter Endo. Moi, je suis restée chez Paladin pendant un an pour assurer la transition. Puis, en mai 2015, j’ai décidé de quitter Paladin et de prendre une année sabbatique, je le méritais…

En septembre 2016, j’ai décidé de revenir épauler Jonathan dans sa volonté de créer une nouvelle société de commercialisation de produits pharmaceutiques, un Paladin 2.0. J’ai été présidente, puis, en 2020, cheffe des opérations et enfin PDG depuis septembre dernier.

Q. Expliquez-nous le modèle d’affaires de Thérapeutique Knight. Vous n’êtes pas une société qui développe de nouveaux médicaments. En faites-vous seulement la commercialisation ?

R. C’est exact. On est une société pharmaceutique qui achète des droits de commercialisation pour des médicaments innovateurs. Au départ, on ne le faisait que pour le Canada, qui représente moins de 2 % seulement du marché mondial.

On a donc décidé de prendre de l’expansion du côté de l’Amérique latine, où on a fait l’acquisition en 2019 de la société Biotascana, présente dans 10 pays importants : le Mexique, la Colombie, l’Équateur, la Bolivie, le Pérou, le Chili, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay.

Cela nous ouvre une fenêtre additionnelle de 5 % du marché mondial, ce qui nous permet d’avoir un plus grand accès à des médicaments novateurs. On est devenus un Paladin plus gros et plus vite.

Q. Avant l’acquisition de Biotascana, quelles étaient vos sources de revenus ?

R. De 2014 à 2016, l’entreprise a réalisé cinq émissions d’actions et a levé 685 millions. On avait le médicament pour les maladies tropicales rares et on a acheté cinq autres produits, dont deux produits oncologiques pour les cancers du sein et de la prostate, deux autres pour la gastroentérologie et enfin un produit pour la gestion des abus d’opioïdes.

Mais essentiellement, nos revenus provenaient d’investissements que l’on a faits dans des fonds de capital de risques de sociétés de biotech. On investit dans ces fonds pour trouver de nouveaux produits que l’on pourra commercialiser, mais on a fait plus de 50 millions de revenus par ces fonds au cours des années.

Q. En 2019, avant votre acquisition, vous avez dû composer avec un actionnaire militant. Ç’a été une dure épreuve ?

R. Absolument. C’est le propriétaire d’une entreprise comme la nôtre en Israël qui est devenu actionnaire de Knight et qui nous reprochait de ne pas investir nos capitaux assez rapidement. Ce n’est pas notre façon de faire.

Jonathan Goodman et notre service d’affaires juridiques se sont occupés de la campagne négative de ce militant pendant que moi, je poursuivais le développement de nos projets. Sa plainte n’a pas été retenue par les actionnaires lors d’une assemblée extraordinaire, mais cela use.

Q. La transaction avec Biotoscana s’est conclue en novembre 2019, tout juste avant l’éclatement de la COVID-19. Comment s’est déroulée l’intégration des activités en Amérique latine ?

R. L’année 2020 a été une année très difficile. Biotascana était la propriété de deux fonds d’investissement. C’était en fait quatre entreprises qui avaient été regroupées en une seule. Il a fallu changer la culture du court terme pour l’adapter à la nôtre, qui est de construire sur un plus large horizon.

J’ai dû réorganiser toute la haute direction. Au début sur place, mais rapidement en télétravail. J’ai nommé une nouvelle vice-présidente scientifique pour tout le groupe qui est établie au Brésil, notre nouveau vice-président juridique est lui aussi au Brésil, notre chef de la direction financière quitte Montréal pour s’établir à Montevideo.

Q. Le télétravail, est-ce que ç’a eu du bon ?

R. Oui, on a développé une nouvelle dynamique. On est devenus beaucoup moins rigides et on priorise le talent. Mon job à moi, c’est de créer l’identité et la culture pour l’ensemble du groupe. On a 700 employés en Amérique latine et une quarantaine à Montréal.

Q. J’ai remarqué que certains initiés de l’entreprise, notamment le fondateur, Jonathan Goodman, et vous, aviez réalisé plusieurs achats de lots d’actions récemment. Est-ce que la valeur de l’action de Thérapeutique Knight est un enjeu pour vous ?

R. Oui, absolument, c’est une pression importante, surtout depuis plus d’un an alors que la valeur de l’action se maintient autour des 5 $. Il y a trois ans, alors qu’on n’avait que de l’argent et très peu de revenus, l’action s’échangeait à plus de 10 $.

Au cours des 12 derniers mois, terminés au 30 septembre, on cumule des revenus de 240 millions et un bénéfice d’exploitation de 39 millions, tout de même. On vient de compléter trois trimestres consécutifs au cours desquels nos résultats n’ont cessé de s’améliorer, on vient d’acquérir pour 220 millions le médicament Exelon de Novartis, qui atténue les symptômes de la démence et de l’alzheimer, mais le marché n’en tient pas compte.

Q. Vous êtes une femme d’origine pakistanaise qui avez atteint le sommet. Quelle est la valeur de l’inclusivité pour vous ?

R. Avant, c’était un enjeu qui ne me préoccupait pas du tout. Je faisais ce que j’avais à faire et j’étais très bien avec ça. Chez Paladin, mon équipe était totalement diversifiée. C’était un peu l’ONU. Maintenant, c’est devenu un enjeu pour moi. Je crois à la diversité bien au-delà de celle des genres. Il faut que toutes les minorités aient leur voix, leur place, elles nous enrichissent comme entreprise et comme société.

Je viens d’embaucher au Brésil notre nouvelle vice-présidente scientifique qui est âgée de 60 ans. C’est une personne super compétente qui était surtout responsable des affaires réglementaires. Elle vient de se confier à quelqu’un pour lui dire combien elle était surprise et contente qu’on lui ait fait confiance à 60 ans pour tenter autre chose. Je l’ai pourtant choisie parce qu’elle est compétente et qu’elle a déjà fait de la supervision scientifique. Il faut rester ouverts.