En principe, le gouvernement du Québec et les contribuables ne seront pas touchés par les dépassements de coûts du Réseau express métropolitain (REM). En pratique, c’est une autre histoire. Et voici pourquoi.

D’abord, les faits. Aujourd’hui, la Caisse nous annonce qu’elle doit ajouter au moins 350 millions à la facture du REM 1.0. En ajoutant le surcoût lié aux problèmes du tunnel du mont Royal – en négociation avec le consortium NouvLR –, on avoisinera le demi-milliard de dollars, vraisemblablement.

Bref, le coût global direct du projet excédera probablement 7,0 milliards de dollars, si l’on exclut les à-côtés1.

La Caisse assure qu’elle ne refilera pas cette facture d’environ un demi-milliard au gouvernement du Québec, qui n’a d’ailleurs pas l’intention de la payer.

Mais voilà, ce gonflement de la facture a pour effet de bousculer les scénarios de rendements de la Caisse de dépôt. Et par ricochet, elle affectera aussi le rendement que le gouvernement du Québec pourra obtenir sur la portion de capital qu’il a investie dans l’aventure (1,3 milliard).

Au départ, la Caisse de dépôt prévoyait de faire un rendement oscillant entre 8 et 9 % sur son investissement dans le REM, compte tenu de ses prévisions d’achalandage et de revenus (72 cents par passager-kilomètre). Mais aujourd’hui, puisque les revenus attendus ne changent pas dans l’équation, l’espérance de rendement diminue forcément avec la hausse des coûts.

En entrevue, Jean-Marc Arbaud, patron de la filiale de la Caisse responsable du projet (CDPQ Infra), maintient que l’institution obtiendra le seuil minimal de 8 % de rendement. Néanmoins, il m’a avoué que « la probabilité d’atteindre 9 % diminue beaucoup » avec ces dépassements.

Or, ce constat a des incidences sur le rendement qu’obtiendrait Québec. Selon l’entente entre les deux parties, le gouvernement du Québec ne touchera pas un sou sur son injection de capitaux de 1,3 milliard tant et aussi longtemps que la Caisse n’aura pas eu son 8 % de rendement.

Plus précisément, la Caisse empochera les 72 cents par passager-kilomètre jusqu’au moment où elle aura 8 % sur son investissement. Après l’atteinte de ce seuil, Québec aura droit à 40 cents sur les 72 cents de revenus jusqu’à ce qu’il obtienne un rendement de 3,7 % sur son investissement2.

Une fois ce rendement atteint, les revenus additionnels sont partagés entre les deux parties selon leur niveau de capital dans le projet (environ 75 % Caisse et 25 % Québec).

Bref, à achalandage égal, ce projet plus coûteux diminue la probabilité que le gouvernement du Québec – et donc les contribuables – voit son investissement rapporter, comme c’était prévu au départ.

Ce n’est pas tout. Les diverses embûches retardent l’entrée en service du REM d’environ 6 à 8 mois pour la Rive-Sud et de 20 à 22 mois entre Saint-Laurent et le centre-ville, privant la Caisse de revenus durant ces périodes.

Surtout, ces hypothèses de rendement de 8 % et 3,7 % pour la Caisse et le gouvernement supposent que les prévisions d’achalandage ne changent pas. Or, la pandémie a rendu le télétravail très populaire, ce qui risque de faire baisser l’achalandage attendu du REM au cours des prochaines années et donc les recettes.

Au lancement des travaux, la Caisse de dépôt estimait que le REM 1.0 attirerait 168 000 usagers par jour en 2026 et 174 000 en 2031, au terme de l’adoption progressive du REM.

Traduit en passagers-kilomètres par année – unité utilisée par la Caisse pour collecter les revenus –, ce volume devient 631 millions de passagers-kilomètres pour l’année 2026 et 654 millions pour 2031. Un passager-kilomètre équivaut à un passager qui fait un kilomètre dans le REM.

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Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra, lors d'une mise à jour sur le projet du Réseau express métropolitain, jeudi

Questionné à ce sujet, Jean-Marc Arbaud se veut rassurant. Il estime que le télétravail aura pour effet de réduire de 10 % l’utilisation des transports en commun comme le REM. Il juge toutefois que ce recul sera compensé par le volume accru de passagers créé par les projets immobiliers de 5 milliards de dollars aux abords du REM, construits plus vite que prévu.

Et à long terme, CDPQ Infra ne prévoit donc pas de changement dans ses scénarios d’achalandage. Jean-Marc Arbaud reconnaît néanmoins qu’une fréquentation qui serait de 20 % moindre que prévu pendant 30 ans créerait un « gros problème » pour le rendement.

Le gestionnaire se dit ouvert à une reddition des comptes et à un portrait du rendement des fonds de la Caisse et du gouvernement une fois le projet terminé.

REM de l’Est

Par ailleurs, Jean-Marc Arbaud reconnaît que le REM de l’Est pose des défis financiers considérables. À 10 milliards de dollars, faut-il rappeler, le coût du REM de l’Est est environ trois fois plus élevé par kilomètre que celui du REM 1.0. Et cet investissement servira à alimenter un achalandage bien moindre.

Dit autrement, il faut s’attendre à ce que la Caisse, pour rentabiliser son investissement, exige bien davantage que les 72 cents par passager-kilomètre qu’on lui accorde pour le REM 1.0. Ces 72 cents sont versés indirectement par les usagers, les municipalités et le gouvernement du Québec.

« Non, ce ne sera pas 3 $. Il faudra que ce soit un coût par passager-kilomètre raisonnable », dit-il.

Évidemment, une structure souterraine au centre-ville ferait encore augmenter les coûts et donc la facture annuelle des parties prenantes.

1. Il s’agit des quelque 900 millions dépensés par les gouvernements pour les bretelles d’autoroute, les terminus d’autobus, la décontamination, etc.

2. À l’époque, ce 3,7 % équivalait à son coût d’emprunt des fonds sur le marché.