Sobeys, maison mère d’IGA, a lancé en mars un code de bonnes pratiques pour mieux encadrer les relations parfois difficiles entre les supermarchés et leurs fournisseurs. Voilà que plusieurs associations de l’industrie, dont Metro, ont formé l’Alliance collaborative de l’industrie alimentaire canadienne dans le but de rédiger à leur tour un guide de conduite visant notamment à mieux protéger les petits acteurs.

Deux propositions se retrouvent donc maintenant sur la table pour tenter de mettre fin aux conflits qui peuvent sévir entre les magasins et ceux qui garnissent les allées des épiceries. Pendant ce temps, les ministres de l’Agriculture du pays ont formé un groupe de travail afin de déterminer quels sont les problèmes et de proposer des solutions à l’occasion de leur rencontre annuelle en juillet.

En entrevue avec La Presse, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, qui a pris connaissance de toutes les propositions, a refusé de parler d’une division au sein de l’industrie, où deux visions s’affronteraient. « La beauté dans tout ça, c’est que les gens se sont mobilisés. Ils ont reconnu qu’il y avait des problèmes. Il y a beaucoup de bonnes intentions », dit-il, ajoutant qu’il y aurait « beaucoup de leadership de la part du fédéral et des provinces ».

Mais au lieu de multiplier les suggestions de codes de conduite, pourquoi l’industrie ne s’est-elle pas ralliée derrière Sobeys lorsqu’elle a pondu son guide en mars ? La Coalition n’a pas encore écrit son guide, mais elle en a déterminé les lignes directrices, qui s’appuient sur un « processus transparent, consultatif, collaboratif » et non légiféré. « Je ne dis pas que la proposition [de Sobeys] n’a pas de valeur, c’est juste qu’elle a des trous énormes », estime Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), qui fait partie de la Coalition.

« On a fait faire des analyses et on nous dit que c’est un code qui est très basé sur les grandes marques, explique-t-elle. On n’a rien de particulier pour la PME ou le petit fournisseur. Étant donné qu’on parle beaucoup d’achat local et d’autonomie alimentaire, on voyait aussi un manque important. »

L’été dernier, La Presse a rapporté que Walmart Canada aurait en quelque sorte refilé une partie de la facture de ses investissements de 3,5 milliards dans ses magasins et en ligne à ses fournisseurs, en leur imposant de nouveaux « frais de développement ». D’autres marques auraient également fait pression sur leurs fournisseurs.

« C’est beaucoup plus difficile pour le petit, qui ne comprend pas nécessairement très bien ce que c’est de s’embarquer avec un grand détaillant, explique Mme Cloutier. Les règles ne sont pas tout le temps claires dans un contrat entre les deux parties. »

« [Il faut] que le code ne soit pas seulement pour des multinationales, ajoute Marie-Claude Bacon, vice-présidente, affaires publiques et communications, de Metro. Pour nous, la place des petites entreprises est très importante. »

Rappelons que le code proposé par Sobeys est le résultat d’un consensus avec Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada (PASC), association qui représente les grands transformateurs dans le secteur de l’alimentation au pays : Campbell’s, Catelli, Lassonde, Agropur, Kellogg’s et Nestlé.

Par l’industrie pour l’industrie

L’autre différence entre le code de conduite proposé par Sobeys et celui que souhaite produire l’Alliance, c’est qu’il s’agit d’une « démarche très inclusive avec tous les acteurs de l’industrie », selon Jean-François Belleau, directeur des relations gouvernementales et publiques du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), organisation qui fait également partie de l’Alliance.

L’Alliance souhaiterait pouvoir terminer l’élaboration de son code en décembre 2022. L’objectif est d’avoir le même code qui s’appliquerait dans toutes les provinces.

M. Belleau tient par ailleurs à assurer que la démarche proposée n’est pas « contre » le code de Sobeys ou en « réaction » à lui. IGA est membre du CCCD comme Metro, Loblaw (Maxi, Provigo), Walmart et Costco. « Ce n’est pas que ce que Sobeys a proposé n’est pas intéressant, au contraire, souligne-t-il. Mais on voulait une démarche qui rallie tout le monde, qui est inclusive. »

Marie-Claude Bacon ajoute que Sobeys a été invitée à participer aux discussions. « Comme nous avions demandé de participer au travail qu’ils ont fait avec PASC. Ça n’a pas été possible de se joindre à ce groupe-là. Ils souhaitaient vraiment que ce soit un duo. Ils ont leurs propositions et c’est ce qu’ils font cheminer. »

Sobeys s’en tient à sa proposition

Sobeys affirme vouloir s’en tenir à sa propre proposition de code. « Le fait qu’un si grand nombre d’acteurs de notre industrie parlent d’un code est un grand pas en avant, lit-on dans une déclaration envoyée par courriel. Nous sommes heureux que la nécessité d’un code soit désormais largement acceptée. Nous nous en tenons à notre proposition conjointe avec PASC et continuons à plaider en faveur d’un code obligatoire et réglementaire. Nous sommes en accord avec de nombreux principes décrits dans la proposition de l’industrie et nous sommes impatients de voir comment ce dialogue va évoluer, avec l’aide du groupe de travail, un groupe de travail fédéral, provincial et territorial, dans les mois à venir. »

« Des [acteurs] ont fait certaines suggestions, se réjouit le ministre Lamontagne. Ce qui est important, c’est qu’il y a une reconnaissance des problèmes auxquels on doit faire face. Maintenant, les gens sont mobilisés. Ce leadership, on va continuer à l’exercer pour faire atterrir le tout à la bonne place. »