« Quand on passe de l’orange au jaune, le télétravail devient facultatif. »

Et ça, ça va probablement arriver à la mi-juin.

Je n’ai pas écouté toutes les conférences de presse de François Legault et de Christian Dubé du début à la fin, mais j’en ai écouté de longues heures, depuis un an.

Et il me semble que mardi, c’était la première fois que la fin du télétravail obligatoire était clairement évoquée.

La première fois qu’on voyait le bout du tunnel. La possibilité de revenir, enfin, travailler avec les collègues, en vrai.

Et moi, j’ai hâte.

Je sais que cette opinion ne fait pas l’unanimité.

Depuis le début de la pandémie, on a été témoin d’une immense palette de réactions et d’attitudes face au risque posé par le virus, face à l’anxiété et au stress. Et donc à plein de gens qui ont des attitudes plus ou moins inquiètes face à la possibilité de se retrouver à nouveau en groupe.

Une grande neuropsychologue, Sonia Lupien, nous a expliqué à La Presse, en conférence l’an dernier, dès le début de cet immense chamboulement, qu’en substance, toutes les réactions étaient compréhensibles, prenaient leurs sources dans des réalités plus qu’ancestrales.

Un village ne peut pas réagir à l’unisson face à une menace d’invasion de mammouths, avait-elle raconté, pour illustrer son propos. Certains doivent grimper aux arbres pour les voir venir le plus tôt possible et mettre en garde tout le monde constamment, faire preuve de la plus grande vigilance.

D’autres doivent garder leur sang-froid pour continuer de faire vivre la communauté, en prenant les risques nécessaires pour continuer de chasser ou de cueillir, afin que la menace ne paralyse pas la vie de tous.

Le message que j’ai alors entendu était clair : respectons-nous mutuellement, même si nos attitudes face au virus sont différentes.

C’est ce que nous devons aussi nous dire les uns les autres, maintenant que nous devons préparer le retour au travail, en vrai, en personne.

Car ce retour ne sera pas simple.

Toutes sortes de sondages nous ont appris une seule chose clairement : l’idée de revenir au bureau, comme avant, ne fait pas du tout l’unanimité. Certains le veulent vraiment, d’autres pas du tout.

Un sondage fait dans la région d’Ottawa-Gatineau et publié par Radio-Canada en février dernier faisait état de neuf travailleurs sur dix favorables à une poursuite du télétravail, au moins à temps partiel.

Même son de cloche dans la région de Québec. Cette fois, c’est un sondage Léger publié par Le Journal de Québec qui nous disait que 68 % des répondants souhaitaient que le gouvernement maintienne les fonctionnaires en télétravail, notamment pour les bienfaits sur leur qualité de vie, mais aussi sur la congestion routière dans toute la région.

En revanche, mon collègue Karim Benessaieh rapportait en octobre dernier les résultats d’un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, mené auprès de 1203 PME, qui disait que 64 % des dirigeants de ces sociétés n’étaient pas en faveur du télétravail. Et plus de la moitié des leaders sondés parlaient d’une baisse du moral de leurs équipes.

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Évidemment, tout dépend du type de travail dont on parle. Et du type de travailleur.

Il est évident que la flexibilité qu’offre le télétravail convient à toutes sortes de profils. Par exemple, les parents séparés qui ont de jeunes enfants ou ceux de la génération X qui ont des parents âgés à gérer trouvent la vie pas mal moins compliquée quand ils n’ont pas à aller physiquement au bureau, en plus de leurs autres obligations quotidiennes. Ceux qui ont de la difficulté à se concentrer avec le bruit au bureau, les sources de distraction, ont plus de facilité à fonctionner quand ils sont seuls à la maison. Et, au contraire, ceux qui deviennent plus productifs dans des lieux plus éclatés que les quatre murs de leur bureau sont plus heureux. Ceux qui habitent loin et perdent beaucoup de temps, inutilement, en transport estiment aussi que le télétravail du confinement leur rend la vie pas mal plus facile. Et ceux qui ont toujours été craintifs face au virus et ne se débarrasseront pas de ces peurs rapidement n’ont pas nécessairement envie de se retrouver à nouveau parmi des dizaines de personnes, dans les mêmes espaces de travail.

Bref, ce ne sont que quelques clichés, mais les raisons sont nombreuses pour apprécier la liberté qu’offre le télétravail.

Mais il y a aussi des réalités cruciales qu’on ne trouve pas en télétravail. L’amitié entre collègues qui enjolive la vie et dope la productivité quand on est en équipe. Le sentiment, justement, de faire partie d’un groupe et la responsabilisation collective qui joue aussi un rôle essentiel dans la poursuite de projets. Le dépaysement. Ce n’est pas tout le monde qui a envie de passer la journée dans le même logement, pour à la fois y travailler et y vivre le reste de sa vie. Il y a ceux qui veulent une frontière entre leur vie professionnelle et leur vie de parent, par exemple. Certaines mères l’ont dit surtout depuis le début de la pandémie : elles veulent la coupure entre leurs deux identités.

Et que dire de toutes les activités professionnelles, des conférences et des évènements de type gala ou symposium ou congrès, etc. où presque tout l’intérêt réside dans tout le réseautage qu’on peut y faire, tant qu’on y est pour vrai.

Et la reconnaissance de l’importance de cette présence, sur les lieux professionnels, avec tout ce que cela comporte pour forger l’esprit d’équipe et le sens d’appartenance à une entreprise et à sa mission, se doit d’être reconnue. Car sinon, qu’est-ce qui empêcherait des propriétaires et des patrons de sous-traiter à l’étranger ? Ça se fait déjà beaucoup.

Les travailleurs qui croient pouvoir tout faire en restant à la maison ne peuvent pas ne pas tenir compte de telles avenues.

Cela dit, les employeurs qui tiennent à faire revenir leurs équipes au bureau ne pourront pas non plus évoquer des scénarios cauchemardesques.

En pandémie, on a fait la démonstration claire qu’une foule d’activités pouvaient se dérouler à distance. Des cours de yoga aux consultations en psychologie en passant par les « pitchs » à de possibles clients, les réunions de production ou de conseils d’administration.

Et la peur du virus, même dans six mois, même dans un an, devra être prise en compte. Ce ne sont pas des craintes qu’on pourra se mettre à ignorer du jour au lendemain en ordonnant aux employés de rentrer au bureau. La flexibilité, l’empathie et la confiance devront être de rigueur.

Et puis peut-être que les patrons qui veulent absolument voir leurs troupes rassemblées en vrai auront à gérer un autre problème : les employés trop heureux de se retrouver enfin, qui auront juste envie de placoter, de rire, de partager.

Ça, ça serait un beau problème, si vous voulez mon avis.