Quand le premier ministre François Legault a lancé un appel à l’achat local, au printemps dernier, j’en ai parlé dans le journal et j’ai entendu bien des cyniques répliquer que ça ne ferait probablement qu’un temps. Qu’une fois passé l’élan patriotique, les consommateurs recommenceraient à se fier d’abord à leur budget pour choisir les produits les moins chers, surtout à l’épicerie.

Je suis allée fouiller dans mes vieux courriels pour vous donner une idée.

« Acheter local ? Quand ça fera le bonheur de mon portefeuille oui, mais si c’est plus cher… non. Mon portefeuille avant tout », m’avait écrit une lectrice.

« Consommer local, c’est un choix qui demande des changements profonds. Sommes-nous prêts ? Ou est-ce simplement une autre initiative futile qui fait bonne figure ? », demandait une autre.

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Une cliente et une commerçante discutent au-dessus d’un étalage de légumes à l’occasion, mercredi, de l’ouverture du marché fermier de Saint-Lambert.

« Quand les prix pour les achats locaux seront plus accessibles, les gens seront plus portés à acheter local », m’avait expliqué encore un autre lecteur.

« Je suis totalement pour l’achat local dans tout. Je suis également prête à me passer d’un tas de produits importés. Mais est-ce le cas de la majorité des gens, y compris nos dirigeants ? Ils gouvernent pour “le gros” des gens. Je ne crois malheureusement pas que les choses changeront après la crise actuelle », avais-je aussi lu.

Où en sommes-nous un an plus tard ?

Est-ce que la bulle de bonne volonté a éclaté ?

Pas du tout.

Du moins pas du côté alimentaire.

Non seulement les consommateurs poursuivent leur élan local, ils poursuivent aussi leur élan végé, bio, naturel. La lutte contre le gaspillage alimentaire fait également partie des préoccupations.

On dirait que la pandémie, peut-être en nous obligeant à ralentir et à moins nous éparpiller, en nous donnant du temps à la maison, nous a permis de prendre le temps de choisir comment mieux consommer.

« Non seulement les chiffres ont été très bons, mais on a vu de nouveaux visages dans nos marchés, toute une nouvelle clientèle », affirme Jean-Nick Trudel, directeur général de l’Association des marchés publics du Québec, dont le regroupement est passé de 133 à 140 membres. « Et on compte encore. »

« Depuis un an, c’est fulgurant. Il y a une solidarité dans le quartier, une empathie, un sentiment de devoir, enfin. Ce n’est pas juste du local folklorique qu’on cherche, on veut savoir qui le fait. Il y a vraiment un boom. Ça a explosé. Et il y a de la place pour plus de producteurs », ajoute Max Dubois, le fromager derrière le marché fermier de Saint-Lambert.

« Au début de la pandémie, on a craint le pire », dit Geneviève Cousineau, fondatrice et gestionnaires des marchés Bio-local. « Mais finalement, on a eu une augmentation du chiffre d’affaires de 12 %. »

« On est à la mi-mai et à peu près au même niveau de ventes que pour toute l’année 2020 », ajoute Trevor Manning, copropriétaire de Semis Urbain, à LaSalle, qui propose de la terre, du compost, des semences et des semis bio.

Donc les consommateurs ont embarqué et sont prêts à payer les prix qu’il faut ?

« Avant, on vendait nos semis plus chers que les autres, car ils étaient bio. Les gens chialaient, mais c’était ça que ça coûtait. Aujourd’hui, tout le monde a les mêmes prix que nous », ajoute Manning.

Donc, les consommateurs semblent réellement avoir changé leur fusil d’épaule, comme le démontrait une étude récente de la Banque de développement du Canada selon laquelle 80 % des consommateurs sont prêts à payer plus cher pour faire un choix écologique, y compris le fait d’être prêt à payer jusqu’à 20 % de plus et même davantage pour acheter vert (contre 20 % des gens qui refusent de payer toute prime écolo).

D’ailleurs, Guylaine Duvernay, copropriétaire des boulangeries Le Pain dans les voiles, qui entend augmenter un petit peu les prix de ses sandwichs au jambon cet été, pour refléter le nouveau coût réel de ses cochonnailles, ne s’en fait même pas. Elle est trop fière de son projet et est convaincue que les clients vont embarquer : toutes les charcuteries offertes dans ses trois boulangeries seront préparées avec des porcs nourris au pain ! Du pain récupéré de ses boulangeries de la Rive-Sud – Saint-Bruno et Mont-Saint-Hilaire – où il n’y a pas autant de cueillette d’invendus par les banques alimentaires qu’à Montréal.

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Le Pain dans les voiles fait un virage vers l’économie circulaire : toutes les charcuteries offertes dans ses trois boulangeries seront préparées avec des porcs nourris au pain récupéré de ses succursales de la Rive-Sud.

« On le fait vraiment par conviction, et c’est le fun ! », dit-elle. Les cochons sont alimentés avec le pain réduit en poudre, mélangée avec du lait, par un éleveur de Saint-Damase.

Ça ne permet pas d’économiser sur les coûts en moulée, explique la femme d’affaires. Même que ça coûte un peu plus cher.

« Mais c’est meilleur. »

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Guylaine Duvernay, propriétaire des boulangeries Le Pain dans les voiles

Et les consommateurs cherchent ce genre de produits.

« On sent la fierté, l’engouement, la volonté de soutenir l’agriculture locale », ajoute Geneviève Cousineau, qui aimerait juste que la Ville de Montréal soit un peu plus prête à aider les vrais marchés fermiers, justement. Pas les revendeurs de bananes.

Elle gère deux marchés. Un à Candiac et un à Verdun. Et c’est le jour et la nuit, dit-elle.

Un excellent sujet de discussion pour les prochaines élections. Comme on n’arrête pas de le dire depuis le début de la pandémie : on est rendus là.