Laisser passer l’occasion. Voilà ce que craignent plusieurs grandes chaînes de restauration québécoises qui veulent pouvoir ouvrir leur terrasse d’ici la mi-mai afin d’embaucher au plus vite du personnel, sans quoi les cégépiens et les étudiants, qui terminent actuellement leur session, risquent d’aller chercher ailleurs.

« Si on ne parle pas de nous, s’il n’y a pas d’espoir, les gens vont se tourner vers autre chose », soutient Jean Bédard, président de Sportscene, groupe qui gère La Cage — Brasserie sportive. « Il faut être capable d’avoir une prévisibilité à court terme. Depuis cinq semaines, pas de son, pas d’image. Là, on voit arriver l’été. Rendu au mois de juin, il va être trop tard [pour embaucher]. »

Selon ses calculs, il pense devoir recruter entre 500 et 1000 employés en prévision de la prochaine saison estivale, tout dépendant des mesures sanitaires en place. Actuellement, 7 salles à manger des restaurants La Cage, sur un total de 42, sont ouvertes.

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Jean Bédard, président de Sportscene

La Cage ainsi que plusieurs autres grandes chaînes québécoises telles que le Groupe d’alimentation MTY (Bâton Rouge, Ben & Florentine, Mikes), St-Hubert, Foodtastic (La Belle et la Bœuf, Monza, L’Gros Luxe) et les restaurants Normandin se sont regroupés pour demander d’une seule voix au gouvernement la possibilité d’accueillir des clients sur leur terrasse — là où les risques de propagation sont reconnus pour être moins élevés — en zone rouge, histoire de pouvoir reprendre leurs activités progressivement avant un retour à l’intérieur, en salle à manger. En ayant le feu vert, ils pourraient ainsi recommencer à recruter des employés qui, devant l’incertitude, leur ont filé entre les doigts. Les restaurateurs interrogés s’inquiètent par ailleurs du mutisme du gouvernement à propos de leur industrie.

« Si on ne parle pas de réouverture de restaurants du tout, pour nous autres, recruter du personnel, c’est pratiquement impossible parce qu’il n’y a personne qui pense qu’on va ouvrir, ajoute M. Bédard. C’est important de donner un signal. »

Fermeture et horaires moins flexibles

Éric Lefebvre, président du Groupe MTY, craint que les étudiants « délaissent les restaurants parce qu’on n’est pas certains de quand ça va rouvrir ». « Si je me mets dans la peau d’un étudiant, ça serait difficile de me dire que je m’en vais travailler en restauration sans savoir s’il va y avoir de la restauration. »

Résultat : certains établissements pourraient devoir fermer, faute de serveurs en salle et d’employés en cuisine, affirme M. Lefebvre. « On a des restaurants qui sont prêts à ouvrir et qui ne peuvent pas parce qu’ils n’ont pas d’employés », ajoute-t-il.

M. Lefebvre rappelle qu’en mars, lorsque les restaurants ont rouvert à Québec — pour être refermés quelques semaines plus tard, une franchisée à la tête de trois succursales de Ben & Florentine a dû se résoudre à reprendre les activités dans seulement deux établissements. Elle ne trouvait pas suffisamment d’employés pour ouvrir le troisième. « On va se retrouver avec [d’autres] situations comme celle-là », prévient-il.

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Éric Lefebvre, président du Groupe MTY

Lorsque les activités fonctionnent à plein régime, MTY emploie 17 000 personnes au Québec. Le groupe compte 1150 établissements dans la province, dont 268 avec salle à manger et service aux tables. Actuellement, une trentaine peut accueillir des clients à l’intérieur.

Du côté de l’Association Restauration Québec (ARQ), on demande également l’ouverture des terrasses au plus vite et l’accès aux salles à manger pour les gens d’une même bulle familiale. L’Association s’attend à un été difficile si les établissements ne peuvent pas bientôt déterminer leurs besoins en main-d’œuvre. « La saison touristique risque d’être assez particulière », souligne François Meunier, vice-président aux affaires corporatives et gouvernementales de l’ARQ.

« Si on connaît autant d’effervescence que l’an dernier avec le tourisme intra-Québec, ce qui va arriver, c’est qu’il y a des restaurants qui ne seront peut-être pas capables de servir tous les Québécois qui iront visiter la Gaspésie, l’Estrie ou les Laurentides. On peut penser qu’il va y avoir des capacités d’accueil coupées, des heures de service coupées, voire même des journées. »

Une crainte également formulée par Jean Bédard qui s’attend à devoir repousser l’ouverture de certains restaurants. Dans d’autres cas, on devra servir uniquement le soir ou fermer le dimanche, par exemple. « Les consommateurs vont peut-être être un peu déçus de l’offre de restauration. Si on veut relancer le centre-ville, si on veut relancer les hôtels. Ça va prendre du monde pour travailler. »

Passeport vaccinal

Par ailleurs, bien qu’ils soient impatients de reprendre leurs activités le plus tôt possible en terrasse, les restaurateurs interrogés ne militent pas pour un passeport vaccinal — qui permettrait aux gens vaccinés de fréquenter certains lieux publics —, préférant laisser le gouvernement gérer la situation pour qu’un plus grand nombre de gens possible soient vaccinés.

« Est-ce qu’on est capables de gérer quelque chose comme ça dans nos restaurants ? Est-ce qu’on a envie de gérer ça dans nos restaurants ? Je ne suis pas certain, répond Éric Lefebvre. Je pense que notre préférence, ça serait de laisser le gouvernement gérer ces choses-là et de gérer la vaccination. »

« En zone orange (où les restaurants sont ouverts), on a déjà une responsabilité avec la preuve de résidence, la réservation obligatoire, rappelle François Meunier. Si, en plus, on se rajoute le passeport vaccinal… on en a beaucoup […] sur les épaules. »