Le taux d’emploi élevé frôlant les 59 % chez les 15 à 24 ans, la pénurie de main-d’œuvre et la séduisante PCU rendent plus difficiles l’attraction et la rétention des jeunes par certains employeurs qui en voient de toutes les couleurs. Au cours de l’hiver, l’un d’entre eux a lancé un cri du cœur sur Facebook, maintes fois écouté, pour faire part de son découragement face à l’attitude et aux demandes des jeunes salariés.

En janvier dernier, las de voir arriver de nouveaux employés qui repartaient aussi vite, Julien Dupasquier a lancé un cri du cœur de sept minutes sur sa page Facebook. « En ce moment, la main-d’œuvre est le seul problème de mon entreprise ! », explique l’acériculteur de Frelighsburg.

La vidéo dans laquelle il raconte ses mésaventures avec de jeunes et nouveaux employés « peu fiables », « maternés », qui jettent l’éponge sans avertissement trois heures à peine après l’embauche ou qui demandent d’être payés avant même d’avoir commencé leur besogne a rapidement été partagée.

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« Je voulais expliquer ce qui se passait, les attentes qui ne sont pas là », justifie à La Presse Julien Dupasquier.

C’est crève-cœur de se faire dire : “Je préfère être sur le chômage.” La notion d’effort et de faire plus que le minimum n’est pas là.

Julien Dupasquier, acériculteur

Le producteur de sirop d’érable admet qu’il faut être motivé pour travailler sur son érablière. « Il n’y a rien de technique, mais ça prend du vouloir », consent-il. Mais à 20 $ l’heure, il s’attend à un certain aplomb de la personne embauchée.

À bas la PCU !

Julien Dupasquier et d’autres employeurs que La Presse a interviewés nomment notamment la PCU comme responsable des trois-petits-tours-et-puis-s’en-vont de certains employés. « Les jeunes ont le choix, car tout le monde engage, constate-t-il. Ils ont tout cuit dans le bec. Et la PCU a compliqué les choses. Mes amis qui ont des entreprises de déneigement, de toiture vivent la même chose. »

« C’est trop facile d’avoir des subventions du gouvernement », renchérit un entrepreneur du secteur paysager de la Rive-Sud, qui préfère ne pas dévoiler son nom ni celui de son entreprise pour ne pas compliquer davantage son processus d’embauche. « On n’a pas le choix d’augmenter les salaires. Certains nous demandent : “Veux-tu me payer cash ?”… pour recevoir la PCU. Je comprends que ce sont des emplois saisonniers, avec des rushs. On n’est pas dans le 9 à 4 du lundi au vendredi, mais il y a plein de bons côtés. »

Un propriétaire de nombreux supermarchés dans la couronne nord, qui a lui aussi requis l’anonymat, trouve la possibilité de se rabattre sur la PCU « frustrante ». « Beaucoup sont restés à la maison depuis un an, note-t-il. Si mes enfants m’avaient dit qu’ils voulaient être sur la PCU, j’aurais dit : “Pas question. Tu n’appauvriras pas notre dette.” Travailler, c’est ça, la vie ! »

Les entrepreneurs racontent les charges de travail doublées, transférées sur des employés plus zélés, les formations données pour rien, les investissements dans le beurre et la fatigue accumulée face à un taux de roulement élevé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Julien Dupasquier ne chôme pas dans son entreprise…

Quand un employé part, ça double mon travail sur-le-champ. Le gros du travail est de former un nouvel employé. Je dois sortir de ma routine.

Julien Dupasquier

« La première semaine, il n’est pas rentable, ajoute-t-il. C’est décourageant quand tu coaches une personne deux jours et qu’elle ne reste pas deux jours de plus. »

« On publie des annonces, on investit du temps en formation, ajoute le propriétaire de supermarchés. Mais je ne veux pas catégoriser : il y a d’excellents jeunes. En général, j’ai du bon monde. Mais la proportion d’employés peu motivés est plus élevée qu’avant. Le sentiment d’appartenance est beaucoup moins fort. »

Dans l’analyse de la situation, on ne se gêne pas pour amener un argument générationnel et de réussite instantanée maquillée en images glamour sur les réseaux sociaux. « Ils ne sont évidemment pas tous pareils, souligne Julien Dupasquier. Je suis à mi-chemin entre le milieu urbain et la campagne. Je trouve ceux de la campagne plus travaillants. Ceux en milieu urbain n’ont jamais manqué de rien. Leur téléphone et leur console de jeux vidéo sont payés par leurs parents à 14 ans. »

« C’est différent avec mes travailleurs plus âgés, note l’entrepreneur paysager. Nous, on nous donnait une chance, alors que les jeunes ont le choix. Ils négocient. L’employeur a une responsabilité de créer un emploi attrayant. Cela dit, j’ai de très bons employés. »

Le propriétaire de supermarchés n’est pas tendre envers l’attitude de certains parents qui couvent leur progéniture. « Tu fais un reproche à un jeune, lui souligne qu’il est arrivé en retard, et il s’en va en pause et ne revient pas, lance-t-il. Des parents m’appellent ensuite pour dire que leur enfant est parfait ! Le problème s’est accentué depuis un an. »

Des solutions

L’entrepreneur paysager se réjouit de pouvoir compter sur la présence de travailleurs guatémaltèques dans son équipe. « L’an dernier, avec eux, ce fut la plus belle expérience qu’on a eue, dit-il. Les travailleurs étrangers sont souriants, ont la bonne attitude, sont heureux d’être ici, ils se présentent au travail. Alors que les étudiants lâchent souvent, viennent la moitié du temps. Il a fallu augmenter beaucoup les salaires pour les séduire. »

PHOTO FOURNIE PAR DYAN SOLOMON

Dyan Solomon, copropriétaire des restaurants Olive et Gourmando et Foxy

Selon Dyan Solomon, restauratrice, il revient entre autres à l’employeur de favoriser le travail à long terme chez les jeunes. « L’idée du travail a changé », analyse la copropriétaire de chez Olive et Gourmando et Foxy, à Montréal. « Certaines choses que les jeunes pensent sont positives. Ils ont une moins grande fixation sur l’argent et sont moins ambitieux. Ils veulent être heureux au travail. Ce n’est pas mauvais, surtout dans notre industrie. Ils sont anxieux et plus émotifs. Ils partent par anxiété, alors que le stress fait partie du travail. Il faut donc trouver ce qui les motive. On n’a pas le choix. »

Les parents de ceux qui sont prêts à arriver sur le marché du travail devraient couper le cordon avec eux. « Ceux qui ne laissent pas travailler leurs ados font erreur », estime Dyan Solomon, qui précise cependant ne pas avoir vécu de situations très fâcheuses avec des employés. « En travaillant, ils apprennent la valeur de l’argent, comment le gérer, ils rencontrent d’autres gens, sortent de leur bulle, ils vont être moins craintifs de travailler. Ça leur donne de l’autonomie. Tu es tenu responsable de ce que tu fais. C’est la vraie vie et ça donne des leçons. »

Avec Francis Vailles, La Presse