Hausses de prix généralisées et délais de livraison des matériaux de construction qui s’allongent seront le lot des constructeurs d’habitations tout au long de la belle saison. Témoignages d’entrepreneurs généraux.

Les consommateurs devront se résigner : la livraison de leur logement neuf prendra du retard dans certains cas. D’autres seront appelés à absorber une partie ou la totalité de la hausse des coûts.

« Construire un logement me coûte aujourd’hui 40 000 $ de plus par rapport à l’an dernier », confie Stéphane Jacques, directeur de projet chez JSCO, un promoteur-constructeur qui a bâti 30 condos à Laval, Repentigny et sur la Rive-Nord au cours des six derniers mois.

Dans son cas, il épargnera ses clients. Les logements qu’il livrera en juin ont été vendus en mai 2020. Il ne souhaite pas rouvrir les contrats pour refiler la hausse de prix aux consommateurs. « Ma façon de penser est de refiler la facture aux prochains acheteurs en ajustant à l’avenir ma grille tarifaire au prix courant », fait-il savoir au bout du fil.

En début d’année, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) s’attendait à des hausses de prix de 15 % pour la maison neuve en 2021. « Avec ce que je vois, je m’attends maintenant à 20 % », dit dans un entretien François Bernier, son vice-président Affaires publiques.

Matériaux et main-d’œuvre coûtent plus cher. « Nos membres observent des hausses de 10 % dans les soumissions des sous-traitants par rapport à janvier », ajoute-t-il.

Des enjeux de disponibilité

La demande domiciliaire est à ce point forte – Desjardins prévoit 60 000 mises en chantier en 2021 au Québec, un score qu’on n’a pas vu depuis plus de 30 ans – que les fabricants de matériaux ne parviennent pas à remplir leurs entrepôts après que ceux-ci eurent été vidés au printemps 2020 pendant la mise sur pause de l’économie.

« Toutes les deux semaines, je reçois une liste de prix à la hausse », se décourage Stéphane Jacques, de JSCO. Le colombage (2X4) de 8 pi se vendait début avril 7,83 $, comparativement à 3,24 $ en juin 2020, avance-t-il.

Les poutrelles, les solives de plancher et les fermes de toit se font rares. « J’ai commandé des fermes de toit en mars 2020 et elles m’ont coûté 1400 $, donne en exemple Florence Duhamel, coprésidente de Maisons D & D, entrepreneur qui se spécialise dans les agrandissements de maison. Le même fournisseur me demande 6000 $ ce printemps et il est rendu au mois d’octobre pour fournir des fermes de toit. »

Mme Duhamel souhaite une intervention gouvernementale pour assurer les approvisionnements des entrepreneurs locaux. Sa proposition va dans le sens de la demande formulée récemment par l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction au premier ministre, François Legault.

Les prix de fous dans le bois d’œuvre ont déjà fait couler beaucoup d’encre, mais la réalité est que l’inflation, sans être aussi spectaculaire que celle du secteur du bois, frappe aussi l’acier, le gypse et le PVC, soutiennent les entrepreneurs avec lesquels La Presse s’est entretenue.

Par exemple, le tuyau de PVC noir, utilisé en plomberie, a vu son prix monter de 40 %, d’après Alain Turgeon, copropriétaire des Entreprises A. R. Turgeon, de Magog, spécialiste de la pose de portes et fenêtres. Dans le cas du PVC, le grand gel qu’a connu le Texas en février dernier est le responsable des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement.

« Ce matin, j’ai reçu une seconde hausse de prix de 5 % sur les portes d’acier, poursuit M. Turgeon. Je les commande et je ne sais pas quand je vais les avoir. » L’entrepreneur de plus de 40 ans d’expérience indique que les retards dans les chantiers deviendront inévitables.

Des retards à prévoir

Pour un agrandissement de maison, Mme Duhamel dit qu’il faut compter un minimum de 10 mois pour mener le projet de A à Z, si le client n’a pas fait sortir ses plans au préalable. C’est le double du temps normal. Elle n’aura pas le choix, conclut-elle, d’augmenter ses prix pour les prochains contrats.

De son côté, M. Jacques espère livrer à temps ses condos promis pour juin. « Il suffit qu’il y ait de la contamination à la COVID chez l’un de nos fournisseurs pour que le calendrier soit chamboulé », dit-il, en se croisant les doigts.

La conjoncture reviendra à la normale le jour où l’économie rouvrira et que le consommateur se remettra à dépenser pour ses loisirs et aura moins d’argent pour la rénovation, a indiqué Michel Vincent, économiste du Conseil de l’industrie forestière du Québec, dans une récente présentation destinée aux constructeurs d’habitations.